N'ayant pas trouvé ce que j'étais venu chercher à North Button, à savoir de beaux fonds sous-marins, des poissons, des coraux bien vivants, variés et colorés, des oiseaux, ..., bref de la vie marine, je décidais de plonger vers le Sud où les copains de Tehani Li, Tereva et Xe devaient être allés, s'ils avaient suivi l'itinéraire suggéré par Rathnam et donné aux autorités maritimes indiennes.
Une longue étape de 110 milles par un vent toujours faible mais assez stable, soit 33 heures de navigation non-stop, sans rencontrer âme qui vive (ou presque) sur ce long parcours. Les eaux des Andamans sont vraiment désertes !
Ce grand saut me faisait quitter Middle Andaman (aussi appelée Great Andaman), l'île principale, pour rejoindre Little Andaman (aussi appelée South Andaman) qui est l'île la plus méridionale de l'archipel. Entre les deux, le détroit de Duncan où sévit un sacré courant.
Le Duncan Passage entre Middle Andaman et South Andaman |
Sir Hugh Rose Island.Déjà 12 h que j'ai quitté North Button, et je n'ai fait qu'un tiers du parcours. |
Depuis 6 heures du matin , je navigue au vent de travers ou au petit largue avec 4 à 6 nœuds de vent réel (c'est très peu), mais Sabay Dii avance quand même honorablement. Comme le temps est très stable et que la nuit approche, je vais tangonner le génois, pour pouvoir dormir tranquille quelques heures.
La nuit se passe paisiblement. Allongé dans le cockpit, j'ouvre un œil toutes les heures pour vérifier que tout va bien et qu'il n'y a personne. Ce qu'il y a de bien aux Andamans, c'est qu'il n'y a pas de pêche industrielle, et donc pas de chalutiers ni de lamparos, comme en Thaïlande ou en Malaisie. Quelle tranquillité pour le navigateur solitaire !
Dans la matinée, je me trouve dans le Duncan Passage, avec un peu plus de vent mais surtout un courant traversier incroyable qui me pousse vers l'Ouest. Je passe près des Sisters Islands où je pensais voir mes copains, mais personne. Je continue en direction de South Brother Island où je compte m'arrêter.
Soudain, j'aperçois un bateau de pêche sportive qui traîne ses lignes à vive allure, probablement à la recherche de thon ou d'espadon. Il vient droit sur moi, mais à cent mètres, il stoppe : une grosse touche. Du très gros ! Ça bataille et puis j'ai l'impression qu'ils ont perdu le contact : poisson détaché, ligne coupée ? Ils sont maintenant trop loin pour comprendre ce qu'il s'est passé.
De mon côté, ça fait près de 30 heures que j'ai mes leurres en action et toujours rien. Mais ce courant intense et ce bateau de pêche au gros me redonne un peu espoir. Une heure plus tard, gros départ sur une de mes deux lignes. Je lâche l'écoute de grand-voile pour ralentir le bateau et prend ma canne en main. Une belle canne pour poisson de 80 kg avec un moulinet multi-vitesse en titane, à frein carbone ; tout ce qu'il faut pour taquiner de gros spécimens. Mais là c'est vraiment très gros. Impossible d'arrêter le départ de ma tresse sous peine de tout casser. Et puis d'un coup, ça se calme. J'arrive à reprendre quelques mètres. C'est dur mais ça ne bataille pas, comme si le poisson avait abandonné la lutte et se laissait traîner. Après 10 minutes passèes à reprendre 500 mètres de fil, je comprends ce que je suis en train de remonter : une grosse tête de thon !
Cette tête de thon pèse près de 20 kg. L’œil est de la taille d'une sous-tasse à café, et les quelques bribes de chair qui reste attachées au crâne m'offriront quatre kilos de ripaille. C'est dire la taille de l'animal (probablement entre 100 et 150 kg). Un poisson qui n'a pas eu de chance, car au moment où il se débattait, il a été happé par un requin beaucoup plus gros que lui.
Eh oui ! On est ici loin de tout corail. La chaîne alimentaire est complètement différente. Les poissons sont de nature pélagique, et dans cet univers, les plus petits se font manger par des plus gros, jusqu'à arriver aux requins blancs, requins tigres, ... qui n'ont pas de prédateurs.
Dans ce détroit, tout est réuni pour donner libre cours à cette lutte impitoyable entre les espèces de gros poissons. Trop gros pour moi et probablement pour le bateau de pêche que j'ai vu une heure plus tôt.
Je continue ma route mais maintenant le fond est remonté et je zigzague entre des îles et des hauts fonds non indiqués sur les cartes officielles, en essayant de repérer les bancs de sable. Le sondeur indique entre 15 mètres et 5 mètres sous la quille. Prudence !
Quelques dauphins me rejoignent, discrets.
Il est 14 h 30 et j'aperçois enfin South Brother Island
Alors que je me prépare à empanner, nouveau départ sur une de mes cannes. Je prends tout de suite les choses en main. Cette fois-ci avec 15 mètres de fond, ce ne peut être un thon. Le poisson sonde ; probablement une carangue, poisson très combatif tant qu'il est au fond, mais vite découragé lorsqu'on l'amène à la surface.
Effectivement, c'est une belle carangue Ignobilis.
Après presque deux ans de bredouille dans le détroit de Malacca, entre Malaisie et Thaïlande, me voila enfin avec du poisson. Il me reste à le préparer (tartare, marinade, darnes à la poêle, filet à l'huile, etc.) et j'ai de quoi me régaler pendant un mois. Il était temps !
Tout étant remis en ordre, j'effectue mon empannage et vais me mouiller au Sud de South Brother.
Un mouillage suggéré par Rathnam dans son itinéraire-type, mais très particulier. Le courant y est terrible (j'ai mesuré jusqu'à 5 nœuds au speedomètre) ce qui empêche de se mettre à l'eau sous peine de dériver violemment et de ne pouvoir rejoindre son point de départ. Par ailleurs, toute l'île est bordée de corail acéré empêchant d'y débarquer sans risque. Bref, un mouillage pour rester confiné dans son bateau. Apparemment Rathnam qui ne fait pas de bateau, n'est jamais venu ici !
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