Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

vendredi 30 juillet 2021

Chronique d'un naufrage pas annoncé et évité de justesse

Je fais une petite parenthèse dans la narration de la croisière en Mer de Marmara pour vous raconter ce qui vient de m’arriver (dans la nuit du 26 au 27 juillet). Une actualité brûlante, mais qui fait froid dans le dos. En effet, je pense que c’est cette fois-ci que je suis passé le plus près de perdre mon mrveilleux (houps ! j’ai failli dire le mot) Sabay Dii, et peut-être, bien plus grave, la vie.

Chronique des évènements …

Depuis plusieurs jours soufflait un Meltem soutenu (entre 18 et 25 nœuds en journée, avec rafales imprévisibles à plus de 30 kt), ce qui est fréquent en cette fin du mois de juillet, sans faiblir la nuit, ce qui est plus rare. Donc vent très fort presque tout le temps avec, parfois, un petit répit dans la matinée. Cette situation m’a bloqué trois jours d’affilée dans le bateau du côté d’Ayvalik. Impossible de me baigner ou d’aller à terre en annexe tant l’eau très agitée circulait vite autour du bateau. J’ai profité d’une accalmie (avec quelques claques à 32 kt au départ quand même) pour naviguer au portant vers le Sud, sous gréement réduit (trinquette seule). J’avais repéré un mouillage sympa qui s’est avéré pas trop agité à Bademli (dont je vous reparlerai un jour prochain).

Le lendemain, nouveau saut de puce pour rejoindre Denizköy, que je connaissais déjà pour m’y être arrêté au début du mois de juin, en montant vers Istanbul, et que je considérais comme un bon mouillage (5 à 7 m d’eau sur un fond de sable d’excellente tenue), et ouvert vers le Sud-Ouest, ce qui est bien avec le vent dominant de Nord-Est qui règne ici en maître quasi absolu. Je suis arrivé à Denizköy le 25 juillet vers 16 heures avec un vent peu soutenu qui s’est complètement évanoui vers 18 heures.

Denizköy est un hameau mais sur cette commune s'est installé un village de vacances très populaire.

La nuit était annoncée calme par la météo, ce qui avait l’air de se confirmer. Je me suis donc couché vers 21 heures, serein, en pensant passer enfin une nuit tranquille, après deux semaines sous tension. Moins d’une heure plus tard, le bateau faisait des bonds dans tous les sens ; force 7 avec rafales à force 8.  Et ça a duré ainsi toute la nuit. Heureusement l’ancre croche parfaitement dans le sable dense de Denizköy et Sabay Dii n’a pas dérapé. Donc rien de grave, mais dans ces conditions, on reste en veille pour parer tout dérapage. Donc une nuit de plus à veiller. Lever de bonne heure pour essayer de trouver (avec peine) un peu d’approvisionnement frais dans ce hameau, repas sur le pouce et sieste.

Pendant cette nuit de quasi veille, j’ai eu tout le temps d’analyser la situation. Le phénomène qui s’était produit avait toutes les caractéristiques d’un vent catabatique.

Un quoi ?

Un vent catabatique (de καταβατικος qui signifie descente en grec). Ce type de vent se produit au voisinage d’une pente raide. On pourrait parler de vent gravitationnel dans la mesure où l‘on a une masse d’air froid qui tombe à cause de sa densité plus importante que celle de l’air chaud en bas de la pente (alors qu'en général, les vents n'ont rien à voir avec le phénomène de gravité mais plutôt avec des phénomènes de température et de pression, les deux étant liées).Le phénomène a pour caractéristique, outre sa localisation, sa soudaineté et sa violence. Les forces 7 à 8 ne sont pas exceptionnelles. Ce genre de vent se rencontre surtout dans des zones polaires, comme les Canaux de Patagonie ou le Groenland, mais on le rencontre aussi en Grèce et en Turquie, notamment par temps de Meltem fort, dans les zones de gradient d’altitude élevé. 

 

 

Or le petit village de Denizköy est situé au pied de l’Akgeyik Tepesi qui culmine à 745 m. Pour ne rien arranger, il est situé au SW de la montagne, ce qui signifie que le vent catabatique va être orienté NE. Il va donc renforcer le Meltem qui est ici du NE, et à la brise de terre (due au fait que l’eau de mer est plus chaude, la nuit, que la terre), elle aussi orientée NE. Ce sont donc trois vents se renforçant mutuellement qui arrivent de la montagne, quelques heures après le coucher du soleil, sur la plage de Denizköy. D’où sa soudaineté et sa violence. Les mêmes causes donnant les mêmes effets, je m’attendais à ce que le phénomène se reproduise à nouveau la nuit suivante. D’où l’idée de m’éloigner de Denizköy et d’aller jeter un coup d’œil à l’île de Kizkulesi, à quelques milles au large, qui présentait un mouillage apparemment sympathique.

 

 

Donc, après ma petite sieste, j’ai levé l’ancre pour Kizkulesi Adasi, en gardant en tête l’idée de ne pas m’y attarder si le mouillage ne me paraissait pas excellent, pour revenir planter mon soc dans le sable de Denizkôy en vue de passer une deuxième nuit probablement agitée et inconfortable, mais relativement sûre.

 

Kizkulesi Adasi se trouve à quelques milles seulement de Denizköy.

L'île Kizkulesi

Arrivé à Kizkulesi, j’ai immédiatement été conquis par le mouillage que j’avais repéré sur carte. D’abord par la beauté du site : une eau turquoise et cristalline dans laquelle se fut un régal de prendre un bain, avec un bel environnement terrestre, dont une tour carrée perchée au sommet d’un surplomb, que j’avais déjà imaginé aller voir le lendemain matin pour admirer cette belle crique éclairée pas le soleil levant.

Au loin Denizköy, mais "aux pieds" du bateau, c'est une eau de lagon du Pacifique.

La tour carrée que je veux aller voir de plus près.

Bien sûr, la qualité technique du mouillage était de la plus grande importance, et tout semblait se conjuguer en faveur de cet endroit. Un grand plateau sous 6 mètres d’eau, avec un fond de sable que je suis allé explorer en détail avec palmes et lunettes de plongée. Aucune roche traitresse dans les environs et mon ancre déjà enfouie qui avait l’air bien crochée. En outre le mouillage était ouvert au SW, ce qui laissait une porte de sortie en cas de nécessité.

Une belle crique à l'Ouest.

J'ai choisi de mouiller sous la bande de terre car il y a un banc de sable sous 6 mètres d'eau. Au Nord de cette bande de terre, il n'y a que 1 mètre d'eau (insuffisant pour les 2 m de tirant d'au de Sabay Dii).

Notez le banc de sable sur lequel je suis allé mouiller l'ancre.
Sabay Dii sur son banc de sable, avec une grande porte ouverte au SW, au cas où.

L'îlot à l'Ouest est acore. Une véritable falaise tombant à pic dans la mer.

Comme la nuit précédente, tout commença par un grand calme, mais échaudé par la mésaventure de la veille, j’ai pris soin de noter sur mon ordinateur et sur la tablette que j’avais pris la précaution de garder dans le lit, la position de l’ancre avec un cercle d’évitement de 30 mètres (pour une longueur de chaîne de 40 m). Puis, régulièrement, j’ai vérifié que Sabay dii ne sortait pas du disque ainsi délimité. Coucher à 21 heures et toutes les demi-heures environ, un coup d’œil à la tablette. Vers 22 heures, le vent s’est levé soudainement mais pas trop fort (15 à 20 kt). A mon relevé de 23 heures, Sabay Dii était à la limite du cercle ce qui était normal car la chaîne s’étire lorsque le vent forcit. Tout avait l’air de bien se passer et je me suis rendormi.

Mais vous savez bien que même en dormant, nos sens continuent à fonctionner, et que notre cerveau ne cesse de traiter leurs informations. Dans mon sommeil, j’ai bien perçu que le vent avait forci, mais j’ai aussi perçu qu’il n’y avait plus les coups de boutoir caractéristiques d’une chaîne qui se tend et rappelle le bateau. Je me suis donc réveillé vers 23 h 15, avec le désagréable pressentiment que quelque chose n’allait pas. Un coup d’œil à la tablette pour découvrir que j’avais dérapé de 100 m, et que je me dirigeais à toute vitesse (3 kt) en direction de la falaise qui n’était plus qu’à une cinquantaine de mètres.

Inutile de vous dire que je n’ai pas pris le temps de m’habiller pour foncer démarrer le moteur. Plein gaz pour remettre Sabay Dii face au vent qui soufflait en furie à plus de 32 kt avec des vagues incroyables pour une crique aussi confinée. Un coup d’œil au sondeur pour voir qu’il y avait 68 mètres d’eau et que mon ancre qui pendait dans le « vide sous-marin » ne risquait pas de me faire un traitre croche-pied. En moins de trois minutes, j’avais esquivé la falaise et la catastrophe qui m’était promise avec.

On voit bien le cercle de mouillage autour de la position initiale de l'ancre et le dérapage entre 23 h et 23 h 15. Je l'ai échappé belle. Mais pourquoi, le vent a-t-il soufflé vers l'Ouest au lieu du Sud-Ouest, comme d'habitude ?

Une fois sorti de la crique, j’ai tenté de remonter mon ancre en faisant l’acrobate sur la delphinière, à l’avant du bateau, dans une mer en furie. Mais 40 mètres de chaîne et une ancre qui pendouille, ça pèse très lourd (4 kg X 40 + 20 kg = 180 kg). Pour aider mon guindeau qui était à la limite de griller, j’ai profité des sauts de cabri du bateau pour remonter par à-coups le mouillage, et découvrir en fin de compte qu’à l’ancre était accroché un interminable tuyau d’incendie que je n’ai pu rejeter à l’eau. J’ai assuré l’ancre avec son turban, et j’ai mis à la fuite, avec le moteur au ralenti, et ma pauvre annexe attachée à l’arrière de Sabay Dii, faisant des embardées en surfant des vagues de plus de 2 m. Ce n’est que 5 heures plus tard, à plus de 20 milles de la côte, que les effets de ce vent catabatique démoniaque ont cessé, laissant une mer confuse soumise à une houle très courte et désordonnée.

5 heures du matin. Denizköy et sa montagnette sont à 20 milles, adns l'axe su soleil levant. Et ma petite annexe qui en a vu de toutes les couleurs est toujours là, fidèle comme un chien.

Entre temps, j’avais eu le temps de faire un petit calcul. A la vitesse de 3 kt, j’avais juste une demie minute pour démarrer ma manœuvre           [50 : (3 x 1832) x 3600 = 32 secondes].

Si je me m’étais pas réveillé à temps, moins d’une minute plus tard le bateau se fracassait sur les falaises, ne me laissant aucune chance de m’en tirer sans gilet (et même avec un gilet) dans une mer déchaînée, de nuit, contre une roche acérée et verticale.

Quand on dit que pour le marin et son bateau, le danger vient toujours de la côte et non de la mer, on a bien raison. Du coup, j’ai continué à naviguer toute la nuit et le lendemain pour rejoindre la Mer Ionienne dont la côte est moins escarpée, en espérant pouvoir enfin passer deux ou trois nuits au calme. C’est donc de là (dans la baie d’Alaçati dont je vous ai déjà parlé comme d’un mouillage presque idéal) que j’écris ce message, de nuit, pendant que Sabay Dii, bien accroché à la Terre danse avec beaucoup de swing dans un vent de force 6 (donc violent mais ni brutal ni dangereux). Je vais enfin dormir peinard !

Pour celles et ceux qui se soucient de moi, je vous rappelle qu’en 12 ans de navigation, une situation aussi dangereuse ne s’est produite qu’une fois, alors que chaque année passée sur la terre ferme, ce sont plusieurs situations extrêmement périlleuses que j’ai rencontrées, en tant que piéton de ville, à vélo ou en voiture, et dans lesquelles m’a vie ne tenait parfois qu’à un fil. Donc dîtes vous que sur mon bateau, je suis plus en sécurité que n’importe où ailleurs, sauf à rester dans un fauteuil et mourir d’ennui.

Sur ces mots, au dodo, pour une nuit tranquille, mais avec mes sens toujours en éveil, tels des anges veillant sur mon berceau, pendant que je roupille, enfin. Rrrrrrrrroooonnnnnnnnnnnnn !!!!!!

Moralités de la nuit : 

  • avoir toujours un bateau parfaitement organisé et rangé, pour pouvoir déguerpir immédiatement en cas d'urgence ;
  • au mouillage, privilégier la cabine avant pour dormir, car c'est là qu'on entend le mieux le comportement de la chaîne de l'ancre
  • avoir près de soi de quoi vérifier sa position pendant la nuit (car en solo, il faut bien dormir), et si possible avoir une alarme de mouillage qui sonne lorsqu'on s'éloigne d'une certaine distance du point initial de mouillage (mais cela ne dispense pas de la veille personnelle, car tout appareil électrique peut se mettre en pause ou à l'arrêt inopinément) ;
  • savoir gérer ses activités de jour pour ne pas dormir comme une masse la nuit, et savoir gérer son sommeil, pour s'éveiller à intervalles de temps réguliers, tout en étant capable de se rendormir immédiatement après vérification ;
  • ne jamais faire confiance à la météo, et ne pas tenter de généraliser abusivement ses observations (comme je l'ai fait en étant sûr que le vent pousserait au SW et non à l'W).

vendredi 23 juillet 2021

Karabiga

Un peu d’histoire …

La ville de Karabiga est connue depuis l’antiquité sous le nom de Priapos (du nom du dieu grec local), puis sous le nom de Pegae du temps de l’Empire romain d’Orient. Tous les historiens anciens (Strabo, Thucydides, Arrian, Pline l’Ancien, …) mentionnent cette cité comme un lieu de production de bon vin, mais surtout comme un port sûr.

Biga Çayı : carte

Karabiga et le fleuve Biga Çayı

En 334 av. J.-C., Alexandre le Grand, n’a que 22 ans. Élève du grand Aristote, il a hérité de son père, le roi Philippe 2 de Macédoine, assassiné deux ans plus tôt, d’une armée très expérimentée. Jeune, brillant et ambitieux, il veut réaliser le rêve de Philippe 2 (qui avait déjà réussi à soumettre les cités grecques, dont Athènes et Thèbes) : conquérir la Perse. Ne faisant rien au hasard, il envoie son général Panegorus prendre possession du port stratégique de Priapos, où il débarque quelques mois plus tard avec l’armée macédonienne pour affronter les Perses sur les rives du fleuve Granique (l'actuel fleuve Biga Çayı). Ce sera la première occasion de révéler son génie militaire en mettant en déroute les satrapes perses (2000 cavaliers et 10000 fantassins tués). En trois batailles successives sur les Perses, il s’ouvre les portes de l’Asie Mineure.

Karabiga fut donc le point de départ de la conquête du plus grand empire de tous les temps puisque s’étendant jusqu’à l’Indus, onze ans plus tard, à la mort d’Alexandre le Grand (il n’a alors que 33 ans), mais Karabiga n’en deviendra pas célèbre pour autant. On ne retrouve une trace historique de Karabiga qu’à l’époque byzantine où on parle d’une citadelle. Je pense que les ruines qui dominent la ville et que je suis allé explorées en sont le vestige, mais personne à Karabiga n’en a la moindre idée.

Ensuite Karabiga a sombré dans l’anonymat le plus complet, ce qui en a fait aujourd’hui une petite ville vivant paisiblement de la pêche locale et de l’agriculture maraîchère essentiellement, et nourrissant une ambition touristique naissante et mesurée. Bref, comme vous l'aurez deviné, un endroit que je trouve avec ses sympathiques habitants, tellement attachant que si j'étais Stambouliote, je viendrais régulièrement y passer quelques jours de vacances.

Inutile de rechercher Karabiga dans le Guide du Routard ou dans tout autre guide de voyage. Mais si l’on se rappelle que depuis l’antiquité ce lieu fut considéré comme un bon port, il ne faut pas être étonné de trouver Karabiga dans le Guide de Navigation de la Turquie. Voilà ce qu’en dit Rod Heikell, l’auteur de ce guide qui est certainement l’un des meilleurs connaisseurs de la Turquie maritime (même si je ne suis pas toujours d’accord avec ses appréciations) :

Karabiga est un petit village somnolent qui vit de l’agriculture et des carrières de marbre. Le marbre extrait à Can, à l’intérieur des terres, est chargé sur de petits caboteurs et caïques dans le port. Le charbon extrait à Can est également chargé ici, mais l’aspect parfois un peu encrassé des alentours du port ne doit pas vous empêcher d’y faire escale. Le village, peu touché par le tourisme, est empreint d’une délicieuse atmosphère rustique qui rappelle celle d’un petit village agricole français.

Comme d’habitude, je n’ai pas fait le choix d’amarrer Sabay Dii dans le port, préférant de loin aller mouiller l’ancre non loin de la charmante plage au Nord de la ville, où l’on est bien mieux protégé du vent dominant.

La Baie de Karabiga (on voit bien les trois quais du petit port de Karabiga, et au Nord une barge permanente)

Zoom de la vue précédente avec Sabay Dii au mouillage entre la plage du Nord et la barge permanente.

Vue depuis Sabay Dii


La plage est très bien entretenue, avec du sable fin probablement rapporté, et une eau propre, relativement épargnée par le mucilage dont elle est protégée par de discrets barrages flottants. On se baigne donc avec plaisir, ce qui n’est pas si fréquent en ce moment en Mer de Marmara.

En arrière plan, la cheminée de la centrale thermique (au fuel).

La plage est partagée entre plusieurs concessions privées très bon marché et une grande zone d'accès libre sans parasol.




Les abords de cette plage ont aussi été récemment aménagés (allée bordée de jeunes arbres et en cours d’électrification, sanitaires publics, nouveaux petits restaurants, bancs, tables et chaises à l’ombre et à disposition du public pour pique-niquer). Du coup, en fin d’après-midi et le week-end, c’est l’endroit où tous les habitants, jeunes ou vieux, mais très souvent en famille, viennent passer quelques heures à discuter au frais ou à se faire une grillade en plein air. Ambiance bon enfant comme toujours en Turquie rurale.

Ces dames sont venues faire la causette avec leur théière et leur repas du soir.
 

Pour ce qui est du port, je n'ai pas remarqué la moindre activité de chargement de marbre ou de charbon pendant les jours où j'étais à Karabiga, et son aspect assez propre me fait penser que ce type de transport est rare voire en sommeil. Par contre, le petit port de pêche semble bien actif, même si en cette période de mucilage, la pêche commerciale est soumise à de fortes limitations et contraintes.

La ville en elle-même n'est pas belle avec de vieux bâtiments dans quelques rues poussiéreuses se coupant à angles droits, mais par contre, c'est agréable d'aller y faire les courses car il n'y a pratiquement pas de voitures. La plupart des véhicules sont de petits triporteurs électriques que les paysans comme les citadins utilisent, les uns pour transporter leur production au marché, les autres pour faire leurs courses.

La coopérative de pêche est sise avec d'autres commerces et bureaux dans ce grand bâtiment.

Allure typique d'une des rues du bourg, avec un Yuco électrique chinois.

Seule la place du port avec sa statue équestre est animée par quelques cafés où les hommes (et rien que les hommes) jouent et sirotent un thé.

Par contre, le vendredi, la ville se réveille car c'est à la fois le jour de marché qui draine toute la population des environs pour vendre ou acheter au bazar, et à la fois le jour de la grande prière.

Mais même ce jour particulier de la semaine ne saurait vous donner le tournis. Quelques voitures en plus, des Yuco électriques nombreux mais toujours silencieux, bien plus de femmes dans les rues, et tout le monde avec de grands cabas pleins à raz bord.

Et toujours la même gentillesse. Trois exemples le même jour à quelques minutes d'intervalles. Je vais dans le magasin de fruits secs et de friandises du village pour acheter des figues sèches pour faire mon kefir. Le petit vieux qui tient la boutique et qui ne parle que turc, comme tout le monde ici, me fait un rabais sur le prix affiché parce que je suis français et il me donne en plus plein de graines à grignoter pour quand je serai en mer. Trois boutiques plus loin, j'achète des piles pour mes feux de mouillages et trois leurres pour la pêche à la traîne, et en ressors avec une housse pour protéger mes cannes (cadeau d'un homme de mer pour un autre home de mer). Avec mes sacs de courses, il ne me restais plus qu'à passer chez le barbier avant de rejoindre Sabay Dii et lever l'ancre. Mais le jeune coiffeur-barbier insiste pour que je vienne manger chez lui.

Ou trouve-t-on une telle hospitalité de nos jours ?

Vendredi, jour de marché ...

... et jour de prière.

Et pour terminer, dans le joli lotissement de la ville, plein de verdure, de jeux pour enfants et de terrains de sport à accès libre, que je traversais pour rejoindre le centre ville si je ne voulais pas longer la plage, quelques maisons pleines d'humour, comme celle-ci où l'on a installé des bouées d'Homme à la Mer, sous le balcon du deuxième étage, au cas où. Comme quoi, les turcs sont conscient du changement climatique.

 

Ah j'allais oublier quelques images de ces fameux vestiges que l'on voit en arrivant par la mer, entre la centrale thermique et Karabiga. On ne sait pas grand chose de cette forteresse qui comptait 24 tours, si ce n'est qu'elle est d'origine byzantine. Je suis allé voir ce que je trouvais à son sujet, mais la seule chose que j'ai apprise est qu'en 1366, lorsque le Comte de Savoie Amedeo VI (cousin de l'empereur byzantin) est arrivé là avec sa flotte de croisés, après avoir pris le détroit des Dardanelles et Gallipoli aux Ottomans, il n'y avait rien. Elle date donc vraisemblablement de la fin du XIV car au XV e siècle l'Empire romain d'Orient est en totale décomposition. Ce qui est le plus surprenant, c'est que cette forteresse fut construite en brique, ce qui paraît incompréhensible pour un ensemble défensif, d'autant que la région est riche de carrières de granit et de marbre.





Éole, tu peux faire l'mariole ; moi j'suis peinard dans ma piaule

Déjà deux jours que je suis coincé sur Sabay Dii par un vent ne descendant jamais en-dessous de 23- 25 nœuds avec de belles claques faisant sursauter le bateau et son capitaine. Impossible d’aller à terre ni même de penser faire un petit plouf, tant l’eau circule vite autour de Sabay Dii. Et ça n’a pas l’air de vouloir se calmer pour les jours prochains.

Bien que la météo n’annonçât point de coup de vent, j’avais un pressentiment lorsque, il y a trois jours, dans la soirée, j’ai vu le vent basculer brutalement de 180°. J’ai tout de suite décidé de changer de mouillage et d’aller me mettre à l’abri à Paşa Köyü (appelée aussi Çamık Köyü), une petite baie, à l’intérieur d’une plus grande, dans l'archipel d'Ayvalic, avec seulement 4 à 5 mètres d’eau sur un fond de sable plus ou moins vaseux et herbeux. Le vent venant du Nord au Nord Est (entre 10 et 20°), je me suis placé dans le petit renoncement au Nord de cette anse, sous le vent d'une colinne, pour être un peu déventé. La première nuit s’est passée sans problème, mais hier en début de matinée, le vent a très nettement forci en passant un peu plus Est, et j’ai eu droit à une glissade de 100 mètres, sans conséquences. Une bonne alerte pour remettre beaucoup plus de chaîne et surtout m’assurer que l’ancre avait bien croché. Depuis plus de soucis, mais prudent comme pas deux, j’ai préparé une deuxième ancre plus lourde que la première (30 kg) prête à être empennelée sur la chaîne de la première, au cas où on passerait le force 7. Et j'ai mis une alarme de mouillage sur mon traceur pour me prévenir si d'aventure, mon ancre se remettait à chasser. Mais je suis serein.

 

Alarme calée à 45 m autour de l'ancre.




 





Alors que faire, lorsqu’on est confiné dans son bateau. Eh bien la même chose que toute personne confinée aujourd’hui chez elle, à part que je n’ai ni télévision, ni radio, ni Internet, et rarement du réseau  téléphonique de toute façon hors de prix. Heureusement, la vraie vie ne se limite pas à des relations sociales via ces machines communicantes. C’est donc retour vers le (futur, ah non !) passé, à part que sur un bateau, le futur et le passé n’ont pas grande importance, comparés au présent. Donc je profite du temps libre que me laisse cet interlude météorologique pour vaquer à des occupations simples : faire le ménage et le nettoyage, un peu de cuisine, remplir le livre de bord, et bien sûr jeter un coup d’œil régulièrement (de jour comme de nuit) pour évaluer la situation qui de toute façon n’est pas périlleuse, vue la configuration du site. Et puis, même déconnecté, je dispose d’outils informatiques, de cartes marines, d’un guide de croisière en Turquie, de guides touristiques, pour préparer mes futures navigations et mes futures escapades terrestres. J’ai de la lecture, mes harmonicas, et surtout pleins de rêves éveillés pour m’occuper, me bercer d'illusions, me laisser croire que je ne suis pas seul au monde, que la vie même d'ermite est incroyablement enrichissante, et que quelle que soit sa situation (avec ou sans coup de vent, avec ou sans Covid, avec ou sans argent, amis, parents, santé, chance, ...), elle vaut vraiment le coup d'être vécue. Donc je savoure !

Comme je ne manque ni d’eau, ni de nourriture, que le temps fasse ce qu’il veut. Et moi aussi !

PS : j'allais oublier de dire que ça me laisse le temps de trier mes photos et d'écrire les textes pour le blog qui sera alimenté quand je passerai près d'une antenne. Mais seul Éole sait quand !