Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

samedi 27 octobre 2018

La prochaine route de Sabay Dii (avec ou sans pirates)

Sabay Dii vient de passer deux ans à caboter entre la Malaisie et la Thaïlande, du côté du détroit de Malacca, autrefois réputé comme un nid de pirates, mais aujourd'hui officiellement plus tranquille.
Bien que la zone soit particulièrement intéressante à explorer, il fallait changer de secteur pour ne pas risquer de prendre racine, pour découvrir d'autres horizons, d'autres cultures, d'autres personnes, et aussi pour me rapprocher des miens.
J'ai donc pris la décision de ramener Sabay Dii ... en Méditerranée !
Mais la Méditerranée est bien loin de la Thaïlande et de la Malaisie.


A vol d'oiseau, plus de 7000 km (entre Phuket et l'île de Chypre, par exemple). Mais les bateaux ne volent pas encore, et donc se pose la question de la route à choisir pour ce très long voyage :
  • celle qui nécessite la traversée de tout l'Océan Indien, puis le contournement dangereux de l'Afrique du Sud, et qui se termine par une interminable remontée de l'Atlantique Sud puis de l'Atlantique Nord, en longeant la côte occidentale africaine (en bleu sur la carte ci-dessous) ;
  • où bien la route de la Mer Rouge (en rouge sur la carte ci-dessous), tristement réputée comme un repère de terribles pirates ?

Eh bien mon choix est fait depuis longtemps : Sabay Dii longera la côte orientale de l'Afrique, et rejoindra la Méditerranée via le Canal de Suez.
  • D'abord, parce que c'est la route la plus courte (5000 milles nautiques soit la moitié de la route passant par l'Ouest de l'Afrique). Bien évidemment, ces distances ne tiennent pas compte qu'à la voile, on tire des bords lorsqu'on remonte face au vent. Il faut donc considérer que la distance réelle à parcourir entre Phuket et Chypre sera au moins de l'ordre de 6000 milles nautiques (à comparer avec les 2500 milles d'une transat) ;
  • Ensuite, parce que je voyage pour découvrir le monde, et que j'ai déjà passé plusieurs années dans l'Océan Indien à explorer les îles de Rodrigue, Maurice, Madagascar, La Réunion, Mayotte (où j'ai vécu quatre belles années) et les Comores. Alors autant passer de l'autre côté, pour découvrir la Mer Rouge que je n'ai vue que rapidement à Djibouti, lors d'un long voyage aventureux en Ethiopie.
  • Enfin, parce que contrairement aux idées reçues, c'est de loin la route maritime la plus sûre, que ce soit du point de vue météorologique (le passage du Cap de Bonne Espérance autrefois appelé le Cap des Tempêtes, à la pointe de l'Afrique du Sud, est rarement une partie de plaisir à cause du très mauvais temps et surtout de la mer démontée qu'on y rencontre), ou que ce soit du point de vue de la piraterie. Eh oui ! Paradoxalement, le passage par la Mer d'Arabie, le Golfe d'Aden, et la Mer Rouge est l'une des zones maritimes les plus sûres de la planète, alors que l'on passe pourtant entre le Yémen, la Somalie, pas loin de l'Érythrée, et du Soudan, tous ces pays qui accumulent les malheurs ayant très mauvaises réputation.
Phuket - Djibouti : la première des étapes de Sabay Dii pour rejoindre la Méditerranée.
Départ aux environs du 20 janvier.
Durée prévue : entre 3 et 4 semaines. 
J'insiste sur cet aspect sécuritaire, car dès que l'on dit que l'on va passer en bateau entre les côtes de la Somalie et du Yémen, on est immédiatement considéré comme un casse-cou, un inconscient, une tête brûlée qui joue sa vie comme à la roulette russe. Or je suis plutôt connu comme quelqu'un qui a la tête sur les épaules, et l'un des traits dominants de mon caractère est bien l'horreur du risque inutile. D'où une nécessaire mise au point à propos de la piraterie maritime, en général, mais aussi dans le cas particulier de la route que devra suivre Sabay Dii.
Pour ne pas apporter ma contribution à la pléthore de ragots, il est nécessaire, dans un premier temps de préciser ce que l'on entend pas "Piraterie maritime".
Voici la définition de la piraterie adoptée dans l'article 101 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de 1982 : 
une attaque perpétrée à des fins privées sur un bateau en haute mer, avec usage de la violence, détention illégale de personnes ou de propriétés, ou vol et destruction de biens.
L'UNCLOS considère comme "haute mer" tout espace maritime ne relevant de la juridiction d'aucun État. Les actes commis dans les eaux relevant de la souveraineté d'un État (eaux territoriales, zone économique exclusive - ZEE - et eaux intérieures) ne peuvent donc être poursuivis qu'aux termes de sa législation nationale. Le caractère illégal de la piraterie est donc fragmenté en deux volets, l'un international, l'autre national, qui ne coïncident pas nécessairement. Ainsi, l'ensemble du détroit de Malacca étant partagé entre les différentes souverainetés de l'Indonésie, de la Malaisie et de Singapour, le droit maritime international ne peut obliger légalement les États riverains à réprimer la piraterie puisque, dans sa stricte acception, elle n'existe que dans les eaux internationales. La tâche des pirates se trouve donc facilitée par ce vide juridique et il leur suffit d'attaquer à la limite des eaux territoriales d'un État pour s'enfuir dans celles d'un autre, une fois leur forfait accompli. C'est cette ambiguïté qui fait que, aujourd'hui, les statistiques de l'UNCLOS donne le détroit de Malacca comme une zone sans piraterie maritime, alors que les incidents sont toujours nombreux (cf. thèse de Nathalie Fau, 2003).
Pour coller de plus près à la réalité vécue par les États côtiers, une autre définition de la piraterie maritime était nécessaire. Le Bureau Maritime International (IMB) qui est un organisme privé siégeant à Londres et créé en 1981 par la Chambre de Commerce International (CCI) et qui travaille en coopération avec l'Organisation Maritime International (OMI) et Interpol. adopte une définition beaucoup plus vague :
l'acte de monter à bord d'un navire avec l'intention de commettre un vol ou tout autre crime et avec l'intention ou la capacité d'utiliser la force.
Cette définition élargie n'est cependant pas toujours acceptée par les autorités locales pour qui les attaques commises dans les eaux territoriales sont du brigandage maritime et les attaques contre des bateaux à quai de simples vols et non des actes de piraterie. Néanmoins, elle permet de rendre compte du risque encouru par un voilier de croisière pour qui les dommages subis en pleine mer ou dans une marina, ou dans un mouillage forain ont des conséquences comparables et tout aussi détestables. C'est ainsi que la Corse, ou les Antilles françaises se retrouvent en bonne position dans le palmarès des zones de navigation les plus "à risque" de la planète, ce qui est confirmé par les compagnie d'assurances maritimes.
On peut trouver les statistiques fournies par l'IMB sur le net sur le site de l'OMI (www.imo.org/index.htm) ou sur celui de l'IMB (www.iccwbo.org/ccs/menu_imb_bureau.asp).
Pour ce qui est de la future route de Sabay Dii, le problème de définition ne se pose pas dans la mesure où la zone "à risque" se trouve en pleine mer. En effet, ce serait pure folie que de vouloir atterrir dans l'un des très rares ports érythréens et surtout yéménites lorsqu'on sait (mais les français ne sont pas informés sur ce sujet secret-défense - voir en particulier https://www.ouest-france.fr/monde/yemen/des-soldats-francais-aux-cotes-des-emiriens-au-yemen-5828410) que les forces spéciales françaises sont présentes au Yémen aux côtés des soldats d'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes pour mater les rebelles Houthis. Autant dire qu'un bateau sous pavillon français tentant d'entrer dans le port miné d'HodeÏda serait à juste titre considéré par les yéménites comme une cible de guerre privilégiée.
Sabay Dii va donc naviguer loin des côtes, et tout près des lignes maritimes internationales et du rail des cargos, aux passages les plus étroits. La définition de l'UNCLOS comme celle du BMI et leurs statistiques respectives sont donc aussi pertinentes pour évaluer le risque encouru sur la zone de navigation prévue.
Voici les statistiques de l'IMB (les plus sévères) et les conclusions afférentes ...

Il ressort de l’étude annuelle du Bureau International Maritime basé à Londres que les mers ont été plus sûres en 2017. Entre janvier et décembre, 180 actes de piraterie réussis ou tentés ont été recensés à travers le globe. Les actes de piraterie ont donc diminué cette année encore, enregistrant la 5e année de baisse après des années 2014, 2015 quasi stables. Depuis 2013, la piraterie a baissé d’environs 30 % sur l’ensemble de la planète.
Trois régions du monde restent toutefois des endroits sensibles pour la navigation maritime. Avec en premier lieu, l’Asie du sud-est où pas moins de 76 actes ont été déclarés, soit 42 % des attaques du globe. Le pays le plus risqué pour les navires reste l’Indonésie avec 43 actes de piraterie suivi des Philippines, avec 22 attaques.
L’autre point sensible du monde reste l’Afrique avec 57 attaques enregistrées sur le continent. La grande majorité d’entre eux se situent au large du Nigeria, avec 33 actes recensés. À l’est du continent, la Somalie continue de voir les pirates sévir sur leurs côtes. Seuls six événements figurent dans le rapport.

Le dernier endroit du monde touché par les actes de piraterie est l’Amérique du Sud avec 24 actes notifiés dans le rapport. C’est le Venezuela qui capte la majorité de ces attaques au nombre de douze, suivi par la Colombie.
Si la piraterie commise dans le monde a globalement diminué en 2017, elle a aussi connu un léger pic meurtrier avec trois décès enregistrés alors qu’il n’y en avait pas eu en 2016 et seulement un en 2015.
En ce qui concerne les pays de rattachement des bateaux touchés par la piraterie, Singapour fait figure d’État le plus touché avec 56 navires attaqués. Pour compléter le podium, 22 navires attaqués étaient dirigés depuis l’Allemagne, ainsi que 22 autres rattachés à la Grèce.
Enfin globalement, ce sont surtout des bateaux de taille importante qui sont pris à partie avec 23 conteneurs et 61 tankers, transportant des produits chimiques, pétroliers ou gaziers.


En résumé,
  • Sabay Dii courra moins de risques pour rejoindre la Méditerranée via la Mer Rouge et Suez que pendant les trois années précédentes passées en Indonésie et dans le détroit de Malacca, dans les eaux singapouriennes et malaisiennes.
  • Le passage par la côte orientale de l'Afrique (Mer d'Arabie, Golfe d'Aden, Mer Rouge) est beaucoup moins dangereux que par l'autre côté (le Nigéria et le Golfe de Guinée étant des zones de danger maximal).
  • Enfin, tous les incidents à une seule exception près qui ont été enregistrés dans la future zone de navigation de Sabay Dii ne concernait que des gros tankers. Pour ce qui est de la plaisance, la zone dangereuse est celle des Caraïbes qui cumule près de 80% des actes de piraterie ...
Voici, pour terminer et pour confirmer que Sabay Dii part en toute sécurité pour son retour en Méditerranée, la liste des actes de piraterie et autre incidents plus mineurs commis à l'encontre de bateaux de croisière en 2016, et répertorié par le site "Noonsite" de référence des navigateurs au long court. Cette liste nécessite de connaître la géographie, mais vous pourrez constater que le seul incident de la zone qui nous intéresse fut un tir depuis la côte yéménite vers un voiler navigant un peu trop près.


Summary of Security & Piracy Reports 2016

By Val Ellis — last modified Jan 03, 2018 07:08 PM
A summary of worldwide, yacht-related, piracy, suspicious incidents, robbery and burglary reports sent to noonsite during 2016.
Published: 2017-01-05 00:00:00

CARIBBEAN
SOUTH AMERICA
CENTRAL AMERICA
OTHER AREAS
Pour être exhaustif, je dois signaler qu'en 2017, trois voiliers polonais ont été attaqués alors qu'ils se rendaient à Hodeïda en espérant faire réparer une voile, ce qui montre l'ignorance absolue et criminelle de ces équipages au sujet de la guerre qui règne au Yémen depuis plusieurs décennies.

Dernier évènement en date, le français Alain Goma, 54 ans, est actuellement "détenu" par les rebelles houthis qui occupent la ville et la capitale, Sanaa. (Voir https://www.dna.fr/actualite/2018/06/22/un-francais-otage-du-conflit-au-yemen).
Ce bitterois en panne de voile et en pénurie d'eau est entré début juin 2018 avec son voilier Jehol 2 dans ce même port d'Hodeïda, et a été fait prisonnier. Des pourparlers sont en court entre les guerriers Houthis et le gouvernement français. Le Quai d'Orsay reste très discret sur le sort du plaisancier français. "Compte tenu de la situation actuelle dans cette zone, Alain Goma est dans l'impossibilité de quitter le port d'Hodeïda", explique en langage très diplomatique le ministère des Affaires étrangères. "Nous sommes bien informés de sa situation et agissons dans l'objectif de lui permettre de quitter le Yémen", ajoute un diplomate.
C'est ainsi qu'après avoir analysé les documents publiés par l'UNCLOS, l'IMB, l'OMI et Noosite, et en mettant de côté les cas rarissimes de navigateurs totalement inconscients qui, bon an mal an, dirigent leur embarcation vers le port yéménite de Hodeïda, ou qui mouillent tout près des côtes somalienne ou érythréenne, je peux affirmer que depuis 2012, on n'a pas enregistré le moindre événement délictueux et a fortiori le moindre acte de piraterie maritime à l'encontre de bateaux de plaisance, autour de la Corne de l'Afrique.
Grâce essentiellement à l'action des marines de la coalition internationale depuis de nombreuses années, et comme ce fut précédemment le cas dans le jadis très redouté Détroit de Malacca, le problème de la piraterie maritime dans cette zone du Monde n'est plus d'une grande acuité. On peut même raisonnablement affirmer que la région est l'une des plus sûres de la planète pour ce qui concerne la navigation hauturière de plaisance, pourvu que l'on se tienne loin des terres.
Mais rien n'est jamais acquis définitivement en la matière, d'autant que tous les problèmes fondateurs de la piraterie demeurent non résolus dans cette région maudite (guerres civiles, absences de structures gouvernementales et d'institutions stables, organisation tribales de la société, présence de mafias et/ou de groupuscules terroristes, appauvrissement des sols et désertification, famines, ...). La prudence s'impose donc à toute navigateur s'engageant dans le Golfe d'Aden et en Mer Rouge.

Dans un prochain article vous saurez tout de la préparation minutieuse de Sabay Dii pour ce long voyage. Vous connaîtrez le détail des innombrables précautions prises pour que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je vous donnerai aussi le calendrier prévisionnel du voyage depuis Phuket en Thaïlande, jusqu'au Canal de Suez, avec quelques détails sur les haltes prévues en Egypte pour visiter la haute vallée du Nil et pour sauter de l'autre côté de la Mer Rouge à la découverte de la Jordanie.