Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

mercredi 30 décembre 2020

Ainsi font font font, les petites marionnettes*

A la suite du précédent message où vous pouviez me voir à la sortie de la clinique, dans un triste état, vous avez été nombreux à m'envoyer un petit message (via le courriel, le téléphone ou whatsapp) pour prendre des nouvelles de ma (ou mes) main(s).

Alors, regardez cette vidéo qui vous montre ma main droite, cinq semaines après l'opération.

Incroyable, n'est-ce pas ?

Qui dirait que dans cette "mimine", on a tranché dans la viande (par le dessus, donc aucune trace du côté intérieur que je vous ai montré), coupé puis recousu quelques nerfs, tronçonné et enlevé une partie ou la totalité de certains os, viré des cartilages, etc., et remplacé tout cela par de solides pièces de titane articulées entre elles par de jolies rotules parfaitement polies et rodées, l'ensemble étant reconnecté à mes tendons et ligaments ? De la belle mécanique qui a l'air de marcher au poil.

Pour ce qui est de la mobilité, en tout cas, tout semble parfait. Dans les prochaines semaines, je vais progresser dans le contrôle de mes mouvements, et d'ici le mois de mars, je devrais avoir retrouvé toute ma force ; donc être paré pour hisser les voiles, border les écoutes, embraquer les winchs, ..., et tout cela à pleine main, pour repartir naviguer.

En tout cas, j'ai déjà le grand bonheur de ne plus avoir mal à cette main droite qui m'en faisait baver depuis plusieurs années. Mais ce bonheur retrouvé me fait réaliser à quel point ma main gauche est douloureuse aussi. En tout cas, maintenant, je pourrai la mettre un peu au repos avant une probable opération dans un avenir relativement proche

Me voilà donc mécanisé et inoxydable ! Du coup, je vais pouvoir re-tapoter les touches du clavier de mon portable pour réalimenter mon blog. Je n'ai à présent plus d'excuses.

Aïe, aïe, aïe !

* "Ainsi font font font, les petites marionnettes" sont les paroles d'un air traditionnel qu'on chante en faisant tourner ses mains cachées sous des marionnettes, pour endormir les enfants.

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mardi 15 décembre 2020

Le Capitaine Crochet devrait bientôt embarquer sur Sabay Dii

 

 
Tout le monde connaît Peter Pan, un fabuleux personnage créé il y a plus d'un siècle (1902) par l'écrivain écossais J. M. Barrie pour son roman The Little White Bird (Le Petit Oiseau Blanc). Difficile d'imaginer à l'époque que ce petit bonhomme au caractère très particulier allait traverser les décennies et peut-être les siècles, avec toujours le même attrait magique. Et pourtant ...

Quelques mois à peine après sa publication, le très original roman est adapté au théâtre dans la pièce du même nom, puis dans la pièce Peter et Wendy (1904), plus connue sous le titre Peter Pan. Vu son succès, le roman sera republié (1911). Le personnage et l'œuvre vont ensuite être adaptés un nombre considérable de fois au théâtre, puis au cinéma et au "dessin animé" (7 versions), à la télévision, ou encore à la bande dessinée (notamment celle de Régis Loisel).

 
Si le succès est tel, c'est que le personnage de Peter Pan est plus ambigu qu'il n'y paraît au premier abord. En effet, on retient souvent des productions inspirées du film d'animation de Walt Disney de 1953 (une excellente année) et s'adressant à un jeune public, l'image du petit héro qui n'a peur de rien. Mais Peter Pan n'est pas simplement un conte pour enfants. C'est aussi, inscrit en filigrane de l'image d'un Pays imaginaire merveilleux, un récit révélateur du syndrome de l'enfant qui refuse de grandir, syndrome qui d'ailleurs est aujourd'hui connu sous le terme de Syndrome de Peter Pan.

En y regardant de plus près, on s'aperçoit que le conte de Peter Pan est intimement lié au thème de la mort, symbolisée par le crocodile-horloge, et qui effraie aussi bien le Capitaine Crochet que Peter Pan qui n'hésite pas à tuer les enfants perdus qui "grandissent". En fait, c'est la  thanatophobie (peur de la mort) qui pousse Peter Pan à refuser de grandir.

Certains commentateurs (cf. Wikipedia) voient aussi dans Peter Pan "le thème de l'éveil de la sexualité chez Wendy, et les sentiments freudiens de Peter envers une figure maternelle, d'où ses sentiments conflictuels pour Wendy et la fée Clochette. Elles représentent chacune une femme idéalisée différente. On peut en fait déterminer au moins quatre archétypes inaccessibles à partir des personnages féminins : Wendy, Clochette, les Sirènes, et Lily." 

"Le livre met aussi en scène, et c'est l'une des premières fois dans l'histoire de la littérature, un franchissement de la barrière de la fiction, puisque Wendy et ses frères vont entrer dans un monde de conte où ils vont justement reconnaître nombre de personnages inventés par Wendy ; ce qui peut à la fois illustrer la lecture, où l'enfant lecteur peut s'identifier au héros d'une histoire et avoir le sentiment de rentrer à l’intérieur du livre, mais aussi une métaphore de la difficulté de l'auteur à quitter ce monde merveilleux et à ne pas se laisser dominer par lui. Ce monde apparaît en effet dominé par l'enfance : Peter veut rester un enfant pour toujours, et éviter les responsabilités de l'âge adulte, il s'enferme en quelque sorte dans le monde de l'enfance. Il adopte une attitude souvent tyrannique et hostile à toute forme d'autorité, ce qui permit à certains commentateurs d'obédience freudienne de parler d'un personnage sans surmoi. Le syndrome de Peter Pan tire justement son nom du refus conjoint de mûrir en s'insérant dans le monde des adultes, perçu comme trop conventionnel et de reconnaître le caractère 

Mais, soyez rassurés. Si j'évoque aujourd'hui le conte de Peter Pan. ce n'est ni pour vous faire un cours de psychanalyse, ni pour vous faire rêver du jeune héro de l’œuvre, de Wendy ni encore moins de la Fée Clochette. Non !

C'est pour évoquer le terrible Capitaine Crochet.

Et vous allez vite comprendre pourquoi. 

La première chose que l'on remarque chez le Capitaine Crochet, c'est qu'il a perdu la main gauche, avalée par un méchant crocodile. Or, apparemment, il semble être droitier, ce qui fait que ce handicap ne devrait pas trop lui poser de problème. Une main remplacée par un bel outil en métal pourrait même être un redoutable avantage. Non ?

 

Pas pour se frise la moustache, ni pour faire le malin !

Certainement pour se battre

Mais la question qui m'intéresse plus particulièrement est la suivante :
 
Est-ce un avantage ou un inconvénient
d'avoir une prothèse
pour manœuvrer un bateau ?

Car, ne l'oublions pas, le Capitaine Crochet est avant tout le capitaine d'un splendide bateau.

 
Et figurez-vous que le capitaine d'un autre bateau, Sabay Dii pour ne pas le nommer, va être mené de main de maître, à partir du mois de mars, par un capitaine ayant, lui aussi, une prothèse, mais de la main droite. Pas un vulgaire crochet en acier inoxydable, mais une très discrète prothèse en titane, bien cachée sous de la vraie chair. 

Eh oui. Fini d'en baver à manœuvrer mon beau bateau avec seulement trois doigts de chaque main. J'ai décidé de franchir le pas : l'insertion d'une prothèse pour retrouver à chaque paluche une pince pouce-index digne de ce nom. Opération de la main droite en novembre dernier, qui a l'air de s'être très bien passée. Mais comme il ne m'était pas facile de me débrouiller seul avec seulement trois doigts de la main gauche (qui aura sa prothèse l'an prochain), notamment pour rédiger un article de ce blog, il vous aura fallu attendre encore plus longtemps que d'habitude.
Aujourd'hui, même si cela m'est interdit, je pianote un petit peu au clavier avec les doigts pas concernés par l'opération.
Pour ceux qui se demandent ce que l'on peut faire seul avec seulement trois doigts d'une main malhabile, voici quelques suggestions à essayez
  • ouvrir une boîte de sardines (car il n'est pas raisonnable d'imaginer faire de la grande cuisine) ;
  • éplucher une mandarine (on oublie les gros agrumes, grenades, noix, noisettes, etc. et on se contente de pommes) ;
  • lasser ses chaussures (mieux vaut marcher avec des sabots pendant quelques semaines) ;
  • ouvrir ou fermer sa braguette de pantalon (à oublier, pour rester en survêtement) ;
  • fermer la fermeture-éclair d'une veste (surtout ne pas la défaire en rentrant chez soi) ;
  • prendre une douche sans se casser la figure ni se brûler (dur dur les robinets rotatifs) ;
  • ouvrir et fermer une porte à clé ;
  • se servir du touch-pad ou de la souris d'un ordinateur ;
  • écrire l'autorisation dérogatoire de sortie en période de Covid !
Mais le plus compliqué est passé et dans quelques semaines je devrais pouvoir commencer à utiliser ma nouvelle main droite. Et après une bonne rééducation, retourner en mars sur Sabay Dii pour le dorloter à une main et demie.
 

mardi 15 septembre 2020

Sabay Dii frôle Kastellorizo, entre les bateaux de guerre grecs et turcs

Comme vous le savez, au mois de juillet, je n'étais autorisé à naviguer qu'entre Antalya et Kaş, et j'en ai profité pour continuer à explorer le secteur compris entre Finike et Kaş. Après une halte dans la jolie crique de Karaloz, je suis parti plein ouest pour rejoindre la charmante ville de Kaş, limite occidentale de mes micro navigations coronovirales de 2020.

La carte ci-dessous indique la trace de Sabay Dii, contre le vent, une fois de plus. 25 milles seulement, ce qui se fait tranquillement dans la journée, même quand le vent est poussif, comme ce fut le cas une bonne partie du temps.

Par contre, ce que l'on ne voit pas sur la carte précédente, ce sont les limites territoriales de la Grèce et de la Turquie, qui sont marquées sur la carte suivante :

Maintenant, en rapprochant les deux cartes, on voit que, en passant à l'est de l'île grecque de Kastellorizo (ou Kastellórizo ou Megisti, ou Meis (en turc), ou Castelrosso, en italien), Sabay Dii a navigué en flirtant avec la frontière maritime gréco-turque, ce qui n'est pas un problème en soi, en temps normal, comme en 2019, lorsque j'ai suivi cette même route à plusieurs reprises.

Mais depuis, les choses ont changé. En effet, le gouvernement turc a ordonné une campagne de prospection d'hydrocarbures dans la région, y compris dans les eaux grecques de Kastellorizo, en contradiction avec le droit maritime international.

Cette recherche effrénée ne date pas d'aujourd'hui, car la Turquie, outre sa situation économique désastreuse avec en particulier une monnaie qui a perdu presque un tiers de sa valeur en six mois (ce qui fait mes affaires), n'a pas de ressources énergétiques propres. Ayant une monnaie faible et peu de réserves en devises, elle doit donc tenter de découvrir rapidement, coûte que coûte, des gisements d'hydrocarbures. Or la Méditerranée Orientale semble offrir de belles perspectives, notamment en gaz naturel. C'est d'ailleurs un bateau national de prospection qui fut ma première rencontre maritime au large d'Antalya, lorsque j'arrivai en 2019 de la Mer Rouge.

Mais de là à aller forer dans les eaux de Kastellorizo, il y a un pas dangereux que le Président Erdogan n'a pas hésité à franchir cette année. A cela plusieurs raisons dont certaines que je n'évoquerai pas, à cause des risques (au moins administratifs) que je courrais en raison de ma situation particulière de propriétaire d'un voilier stationné en Turquie, et parce qu'elles sont clairement explicitées et abondamment commentées dans la presse, internationale ou française (voir quelques exemples intéressants en fin d'article).

Je ne parlerai donc ici que de la situation très particulière de Kastellorizo, et de ce que j'ai pu voir au cours de ma navigation dans ce secteur en effervescence. Mais pour pouvoir appréhender la complexité du problème, un peu de géographie et un peu d'histoire sont nécessaires.

Un peu de géographie

Kastellorizo, officiellement appelée en grec Meyisti/Megisti fait partie de l'archipel du Dodécanèse (Δωδεκάνησα en grec) qui comme sont nom l'indique, est constitué de "douze îles" assez grandes et d'une multitudes d'îlots (164 au total).

Les douze grandes îles du Dodécanèse

Le Dodécanèse est situé au nord-est de la Crète et au sud-ouest des côtes turques. L'archipel, baigné par la mer Égée, est donc relativement éloigné de la Grèce continentale. Les 12 îles principales qui lui ont donné son nom ont varié au fil de l'histoire ; ce sont aujourd'hui les îles grecques suivantes : Rhodes, Kos, Pátmos, Kálymnos, Kárpathos, Sými, Leros, Tílos, Níssyros, Kastellorizo, Astypalée et Kassos, mais Lipsi et Chálki en ont fait autrefois partie. Kastellorizo est l'île la plus petite de l'ensemble. C'est aussi le territoire grec le plus éloigné de la Grèce continentale. 

On voit ici apparaître la première raison à la décision du gouvernement turc qui sans se soucier du droit et des traités internationaux, considère que Kastellorizo serait plus turque que grecque, géographiquement, ce qui est fondamental lorsqu'on raisonne en termes de plateau continental, comme le font les géologues et donc les prospecteurs miniers.

Sur cette carte, on retrouve le Dodécanèse, et le petit point rouge indiqué par la flèche n'est autre que Kastellorizo.

Paradoxalement, le nom Meyisti/Megisti signifie en grec "la plus grande". C'est tout simplement parce que Kastellorizo est la plus grande île du petit groupe d'îles et îlots de son voisinage. A peine 9 km2 de superficie pourtant, mais d'une particulière beauté naturelle qui en fait une destination touristique importante (35000 touristes en année normale), notamment pour les turcs qui y vont depuis Kaş, en bateau, pour y passer la journée. Et dans l'autre sens, ce sont les 500 grecs de Kastellorizo qui vont habituellement acheter les fruits et légumes au marché de Kaş, ou qu vont consulter à l'hôpital régional. Aujourd'hui, les voila contraints de partir à Rhodes, à trois heures de distance, alors qu’il suffit de vingt minutes pour se rendre chez le voisin. En résumé, Kastellorizo et Kaş sont au sens propre et au sens figuré extrêmement proches, et également pénalisées par la fermeture de la frontière pour raison officieuse de pandémie, mais en réalité pour cause de guerre potentielle.

Sur cette image de Google Earth, on voit que Kastellorizo est plus grande que ces proches voisines.

Kastellorizo vue depuis Kaş (photo Internet)
Un peu d'histoire

Kastellorizo ne sonne pas vraiment grec comme nom, mais plutôt italien. La première partie dérive du mot italien castello, qui signifie château, en raison de l'existence d'un château de l’ordre des Hospitaliers. La seconde partie de son nom est généralement considérée provenant du mot rosso, qui signifie rouge. Cependant, selon d'autres théories, l'île est souvent appelée Castel Ruggio dans des cartes anciennes. Certaines théories la lient avec le mot Rhoge, l'ancien nom de l'îlot voisin de Ro, tandis que l'historien I.M. Hatzifotis affirme que ses recherches prouvent qu'il provient du grec rizovouni (pied de montagne) puisque la ville a été fondée au pied de la montagne où se trouve le château. En tout cas, c'est italien, parce que cette île fut longtemps italienne, entre autres.
Eh oui, comme nous allons le voir, l'histoire de ce caillou est incroyablement tourmentée.
L’île était peuplée depuis la période néolithique. Colonisée par les Doriens, elle fit partie de la Lycie dont je vous ai déjà beaucoup parlé, car Sabay Dii explore depuis un an la Côte Lycienne. C'est à cette époque qu'on lui donna le nom de Megisti. Suivit la période hellénistique, où elle faisait partie de la Pérée rhodienne, une région contrôlée et colonisée par l'île voisine de Rhodes (à 150 km environ). Elle a ensuite fait partie de l'empire d'Alexandre, puis de l'Empire romain, servant de base à la flotte romaine dans ses campagnes contre les pirates ciliciens. À l'époque byzantine, elle a été incluse dans le thème des Cibyrrhaeots. En 1306, l’île a été reprise par l'Ordre des Hospitaliers, un ordre militaire catholique qui a surgi à Jérusalem au début du 11ème siècle. L'île fut conquise dans le cadre plus large de la conquête de l'île de Rhodes, qui devint le centre d'un ‘’État croisé’’ comprenant Kastellorizo. Les ‘’Hospitaliers’’ - souvent appelés les Chevaliers de Rhodes - utilisaient l'île principalement comme lieu de bannissement; et c'est à cette fin qu'ils construisirent un château-prison à l'entrée du port, sur les fondations d'une ancienne forteresse de l'époque dorique. Il se peut que cela ait donné à l'île son nom commun actuel, en raison de la teinte rougeâtre des rochers où se trouve le château. Dans les années 1440, l'île a été détruite par la marine du Sultanat mamelouk d'Égypte, tandis qu'en 1461 elle fut saisie par les Aragonais, qui l'annexèrent au royaume de Naples, et reconstruisirent le château détruit par les mamelouks. Dans les années 1510, Kastellorizo tomba sous la domination ottomane et y resta jusqu'au début du 20 ème siècle, à l'exception de brefs intervalles pendant le Siège de Candie, la guerre russo-turque de 1787–1792 et la guerre d'Indépendance grecque. En 1913, à la suite de la guerre italo-turque, les habitants emprisonnèrent le gouverneur ottoman et sa garnison et proclamèrent un gouvernement provisoire ; l'île est restée autonome jusqu' au début de 1914, avant de repasser sous le joug de l’Empire ottoman. En 1915, pendant la Première Guerre mondiale, alors que le royaume grec était encore neutre, la marine française occupa l'île pour l'utiliser comme base navale. L'île a été cédée ensuite à l'Italie en vertu des traités de Sèvres (1920) et de Lausanne (1923) et intégrée dans les îles italiennes de l’Égée, où appartenait déjà le reste du Dodécanèse. Après la capitulation italienne de septembre 1943, l'île fut occupée par les forces alliées et resta sous leur occupation pour le reste de la guerre. En 1947, Kastellorizo a finalement été affectée à la Grèce en vertu des traités de paix de Paris et a officiellement rejoint l'État grec le 7 mars 1948 avec les autres îles du Dodécanèse. Le film italien Mediterraneo, qui a reçu l’Oscar du meilleur film étranger en 1992, s’inspire de l’histoire de l’île pendant la Seconde Guerre mondiale.
En résumé, Kastellorizo a une histoire extrèmement tourmentée qui, sans parler des pirates ni de courtes périodes d'autonomie, l'a vue soumise aux Lyciens, aux Grecs, aux Perses, aux Romains, aux Byzantins, aux Arabes, aux Aragonais et aux Napolitains, aux Ottomans, aux Français, aux Italiens, aux Alliés, avant d'être rendue à la Grèce. Mais cette décision finale dans le cadre du traité de Paris qui souligne la défaite militaire de la Turquie passe très mal chez une partie des turcs nostalgiques d'un empire pan-ottoman, qui considèrent que 5 siècles de califat valent plus qu'un simple traité international.

Ce que j'ai vu

Des bateaux de guerre, encore des bateaux de guerre, toujours des bateaux de guerre. A l'exception d'une petite frégate grecque mouillée devant le port de Kastellorizo, ce ne sont que des navires turcs ancrés dans les nombreuses baies que j'ai visitées cette année, ou tournant en rond au large depuis des semaines. Une flotte impressionnante ! Ce sont certains de ces bateaux qui escortent le bateau national d'exploration "Oruç Reis".
Le bateau de prospection Oruç Reis (photo Internet)
     
Le même encadré par la marine de guerre turque (photo Internet)

Bateau turc devant Kaş










Bateau turc dans la baie de Çavuş
Une vraie armada turque contre laquelle la marine grecque ne fait pas le poids. C'est d'ailleurs la même situation si l'on compare les deux armées de terre, la Turquie étant un pays très militarisé opérant sur de nombreux fronts (Syrie, Lybie, mais ce n'est pas tout). avec des soldats très expérimentés. Par contre, en ce qui concerne la maîtrise de l'air, le rapport est inversé, la Grèce étant équipée de Mirage 2000-5 très modernes et surtout pilotés par des officiers très performants, alors que de l'autre côté, la Turquie ne dispose que de vieux bombardiers et de chasseurs datant des années 70, sans pilotes compétents suite à la purge qui a suivi la tentative de coup d'état de 2016.
Et ce que ne disent pas les informations turques, c'est que le 12 septembre de cette année, la Grèce a passé commande de 18 rafales lui permettant d'anéantir en quelques heures une bonne partie des forces turques, commande à laquelle il faut ajouter la promesse d'achat de quatre frégates et autant d'hélicoptères de marine, ainsi que le recrutement de 15 000 soldats supplémentaires. Il est probable que, même si le gouvernement turc affirme que c'est  pour des raisons de maintenance, cette mesure a du peser sur la décision de ne pas prolonger la mission du bateau prospecteur Oruç Reis que j'ai vu retourner sagement à Antalya.
L'heure de la récréation semble donc avoir sonné. Il est temps pour les grecs et les turcs de se retrouver à la table des négociations pour régler leur problème de frontières. C'est ce qu'attendent de nombreux turcs que j'ai rencontrés et qui voulaient connaître mon opinion sur ce différent qui alimente ici toutes les discussions. A l'évidence, ils ne disposaient que d'une information très parcellaire et orientée (focalisée en particulier sur Macron et sur le fait que la France ait envoyé quelques navires de guerre et deux rafales dans le cadre de son assistance à son alliée, la Grèce). Et en général, en discutant un peu avec un français qui pense que la négociation fait toujours moins de ravages que les guerres, ils avouent rapidement que leur souhait le plus cher est que la tension retombe très rapidement car, après la catastophe du coronavirus, ce conflit potentiel aura découragé plusieurs dizaines de milliers de touristes de venir dans cette splendide région. Sans touristes pendant une saison complète, c'est la ruine annoncée pour de très nombreuses familles qui vivent ici, sans avoir jamais eu le moindre problème avec leurs voisins de Kastellorizo.
Pour plus d'informations, trois articles intéressants :
https://www.lepoint.fr/monde/en-achetant-des-rafale-la-grece-exploite-le-point-faible-de-la-turquie-15-09-2020-2391903_24.php
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/face-a-erdogan-la-france-ne-peut-plus-compter-sur-l-otan-ni-sur-l-allemagne-20200915
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/08/26/l-ile-de-kastellorizo-victime-collaterale-des-tensions-entre-la-grece-et-la-turquie_6049976_4500055.html

mardi 25 août 2020

La crique de Karaloz

En cette (première ?) année de coronavirus, l'objectif de cette mini croisière turque était de faire un aller-retour entre Kaş (limite occidentale permise par les autorités) et Finike (port d'attache actuel de Sabay Dii), et d'explorer les coins que je n'avais pas pu visiter l'an dernier. En particulier, je voulais m'arrêter dans la crique de Karaloz, au Sud de l'île de Kekova, où j'avais renoncé à mouiller à cause du nombre dément de bateaux qui s'y trouvaient, arrimés les uns aux autres, faute de place suffisante. Au nombre de ces embarcations, quelques rares voiliers de location, un peu plus de gros bateaux à moteur privés (vu leur taille - de 15 à 20 m - on les qualifierait de super-yachts en France) et une multitude de "gulets" bondés de touristes exubérants et bruyants. Tout ce que je fuis.

Cette année, au contraire, grâce à cette épidémie providentielle pour ceux qui recherchent l'isolement, le calme, la solitude, l'endroit était désert ou presque. Un régal ! Et quel endroit !

La crique de Karaloz se trouve au Sud de l'île de Kekova (en turc "adasi" signifie île)

Il y a à peine 4 milles à parcourir pour aller d'Andraki à Karaloz

En croisant au large, il est impossible de deviner cette crique.


Il faut vraiment s'approcher très près de la côte pour deviner la chicane qui permet de pénétrer ce petit havre encaissé dans un vague cirque de montagnettes abruptes et recouvertes d'une végétation à briser toute velléité de promenade.



Il faut crapahuter dur, habillé de la tête aux pieds de vêtements indéchirables (j'avais négligé le pantalon long), avec de bonnes chaussures (les gants seraient même utiles) car on ne peut progresser que très difficilement en se tractant à l'aide des branches d'arbustes épineux pour passer d'un bloc de roche tranchante à un autre. Et l'on se heurte souvent à une petite falaise infranchissable. C'est au prix de cet effort sans garantie et de quelques acrobaties que l'on arrive à s'élever suffisamment pour découvrir une petite partie du boyau que forme la crique, avec ses quelques circonvolutions permettant de s'isoler en période favorable. Et dans l'une d'elles, le superbe voilier connu sous le nom mystérieux de Sabay Dii, flottant avec grâce sur une eau calme et cristalline, au milieu des tortues marines.


En récompense, la promesse d'une nuit magique, sans le moindre bruit ni la moindre lumière parasite. Les conditions idéales pour s'abandonner paresseusement sur le pont, à admirer un ciel d'encre brillant de mille feux, avec en prime, parmi les étoiles scintillantes, plein Sud, Jupiter l'étincelante et Saturne la discrète, dans leur course incessante le long de l'écliptique (le fameux zodiaque).

Jupiter et Saturne dans la constellation du Sagittaire

Superposition de l'image du ciel et de l'image de la constellation du Sagittaire

Karadoz méritait bien une halte, en cette année particulière.

vendredi 21 août 2020

De Finike à Andraki

Comme je vous l'ai précédemment expliqué, en raison de mon âge respectable, et à cause de ce satané coronavirus, les bateaux de plaisance naviguant en Turquie sont autorisés à reprendre la mer depuis début juillet, à l'expresse double condition de ne pas sortir de leur région maritime, et que l'équipage reste à bord entre 20 h et 10 h du matin. Autrement dit, Sabay Dii a maintenant le droit de naviguer de jour, entre Antalya au Nord-Est et Kaş à l'Ouest. Le reste du temps, je dois rester à bord, mais tout cela me va très bien. Certes, je ne vais pas faire de grandes découvertes, vu que j'ai déjà bien fureté dans le coin l'an dernier, mais il me reste quelques petites criques à explorer et quelques balades inédites à faire.

Le 7 juillet de l'an "corona", de bon matin, Sabay Dii largua ses amarres de Finike pour aller jeter l'ancre dans la petite baie d'Andraki.

Trace de Sabay Dii du 07 07 2020

Un saut de puce d'une quinzaine de milles seulement, mais qui va demander du temps, beaucoup de temps, car la météo annonçait de la "pétole", ce à quoi s'ajouta un courant contraire de l'Ouest vers l'Est, habituel en cette saison. Les navigateurs chevronnés pourraient s'en douter rien qu'en observant la trace de Sabay Dii et ses bords de facteur (en référence à ces braves fonctionnaires qui, à l'époque de la distribution du courrier à pied, passaient d'un côté à l'autre de la route en avançant à peine). Effectivement, le début de matinée va me voir tirer des bords très "aplatis", et il s'en fallut de peu que je ne pusse progresser dans la direction souhaitée et qu'avec mon pourtant véloce destrier nous n'atteignissions l'objectif avant l'heure fatidique du couvre-feu. (petit clin d'oeil à un très cher ami qui me parle avec amusement de mon emploi désuet du passé simple lorsque je manie l'imparfait du subjonctif). Mais la patience, fille ainée de la sagesse, fait partie des redoutables armes des vrais marins qui savent regarder avec tendresse la mer, qu'elle soit plate ou démontée, et qui dans toutes les situations, jouent avec elle et le vent, à l'aide de leurs voiles plutôt que de labourer sa surface à coup d'hélice dans le vacarme et les fumées d'un moteur. Regarder l'horizon, presque immobile, humer l'air du matin qui porte encore les parfums terrestres des citronniers en fleur, écouter le doux clapotis de l'eau que caresse la carène, quel bonheur après quatre mois de confinement absolu.

Pétole généralisée le matin

En fin de matinée, une brise légère s'établit, venant de l'Ouest, non pour me contrarier en m'obligeant à tirer encore des bords au près serré, mais tout simplement par habitude ; un rituel estival lié au phénomène du Meltem qui impose avec autorité les conditions de vent même hors de sa zone de prédilection, à savoir la Mer Égée, distante de plusieurs centaines de milles pourtant. C'est donc sans surprise que, vers midi, j'observai la mer changer subtilement de couleur, passant du bleu ciel à l'outremer, et se rider légèrement. Mais rien de plus. Et ce temps va perdurer pendant les quinze jours que va prendre cette petite croisière le long de la côte lycienne : calme plat le matin, petite brise le reste de la journée, avec pourtant une fantaisie surprenante : du vent léger d'Ouest pendant la première semaine (à l'aller) et du vent aussi léger mais d'Est la seconde (au retour), ce dernier étant statistiquement très rare. Autant dire que Sabay Dii aura passé son temps à tirer des bords et ne connaîtra pas de toute la période le plaisir de filer bon train au portant. Le spinnaker, cette grosse bulle multicolore qu'on hisse au largue ou au vent arrière restera donc dans son sac, cette année.

Vers 15 h 30, le petit port d'Andraki apparaissait, ou du moins la grosse digue qui le protège de la houle d'Ouest soulevée par le Meltem. Sans elle l'endroit serait toujours très agité l'après-midi, et le mouillage absolument impossible. Mais la proximité de la grande ville de Demre a motivé l'élévation d'un grand mole de protection permettant d'amarrer dans de bonnes conditions un très grand nombre de bateaux de promenade en mer, et vous comprendrez bientôt pourquoi ils sont si nombreux.

Andraki se trouve tout près de la grosse ville de Demre. On distingue une marina en construction.

Andraki. On distingue la grande digue et les bateaux bien protégés, ainsi qu'une rivière et la route qui la longe.

Pour se bien protéger de la houle d'Ouest, l'idéal serait d'aller se nicher derrière la digue, mais on serait trop près des bateaux de touristes, et de toute façon, la profondeur y est insuffisante pour un quillard.



J'étais déjà venu à Andraki l'an dernier, en fin de saison, et j'avais trouvé l'endroit charmant. A la différence de cette année, l'activité touristique y était intense. Les très nombreux bateaux de promenade en mer fonctionnaient tous les jours pour conduire les touristes en majorité turcs à la rade de Kekova. Cette rade qui s'étend entre le continent et la longue île de Kekova distante à peine de quelques miles d'Andraki, recèle de superbes points d'intérêt (criques, deux villages très étonnants, des vestiges lyciens, une étape de la Voie Lycienne, etc.). J'en avais commencé l'exploration l'an dernier et ai continué à en découvrir quelques pépites cette année au cours de cette petite croisière. Je vous en reparlerai bientôt.
 
 
Si j'étais resté l'an dernier sous le charme d'Andraki, qui n'est mentionné nulle part, que ce soit dans les guides touristiques internationaux ou dans les guides nautiques, c'est pour plusieurs raisons.
 
D'abord son authenticité : ici pas la noria de touristes étrangers bruyants, indisciplinés, et de façon générale, sans gênes, mais seulement des turcs qui ont envie d'aller passer tranquillement une journée du côté de Kekova, à l'occasion de leurs vacances, pour un mariage, en famille ou entre copains et copines manger une dondurma dans un endroit exquis, ou nager dans une crique à l'eau cristalline. Bien sûr, en temps normal, l'été, cela fait beaucoup de monde, d'autant que Demre est à 10 minutes de l'embarcadère, seulement. Mais une fois l'effervescence de l'embarquement ou du débarquement passée, Andraki redevient très calme. Et je ne parle pas des nuits ou l'on ne pourrait pas deviner une présence humaine, tellement l'endroit est silencieux. Et tout cela en période normale ; alors imaginez ce coin reculé en année Covid, pendant laquelle les bateaux restent à quai, toute la journée. Un vrai havre de paix !
La deuxième raison, moins rare dans la région, est le charme du site : une montagne en forme d'amphithéâtre en arrière-plan, une longue plage très peu fréquentée, une jolie petite rivière délivrant son eau claire et glaciale descendue de la montagne, et puis, la transparence de la mer qui par endroit est très chaude et à d'autres très froide à cause des nombeuses résurgences sous-marines. Esthétique et paisible ; exactement ce que je cherche !
 
Place aux images ... 

Sabay Dii au calme, malgré une petite houle résiduelle de fin d'après-midi. En arrière-plan, le bas de la montagne, balafré par la 4 voies rapides reliant Marmaris à Antalya.

Les bateaux de promenade en mer, tous à quai.
 
La plage : de temps en temps un cavalier ou un promeneur.
Calme et volupté.
Au loin, Kekova, prochaine destination de Sabay Dii.

Seul voisin, un petit bateau à moteur mouillé à l'année sur un corps mort.
L'embouchure de la petite rivière.
La même un peu plus en amont.

Facile de prendre une photo depuis le milieu de la rivière. Il y a à peine 50 cm d'eau.
A Andraki, les gens ne cadenassent pas leurs vélos. C'est inutile !

L'ombre de l'annexe est visible sur le fond. Il y a pourtant 4 mètres d'eau. C'est dire sa transparence !