Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

vendredi 11 mai 2018

Les aventures du dangereux terroriste "Sans-le-sou" à Bangkok

Petit article pour vous faire rire de mes déboires à Bangkok (rire jaune bien entendu).
Ça fait longtemps que j'avais envie d'aller visiter la Chine, peut-être pour des raisons "familiales" :
  • des parents qui y sont allés en précurseurs, à une époque où ce n'était pas facile, mais le monde espérantiste ouvrait dans les années 70/80 des portes secrètes même dans les pays les plus hermétiques
  • une fille qui a voulu absolument apprendre le chinois, en première langue, et par correspondance, car bien évidemment, même à Montpellier qui fut en 1981, la première ville française jumelée avec une ville chinoise (Chengdu), cette langue n'était enseignée dans aucun collège. Et pour pratiquer, elle allait "travailler" sa diction dans un petit resto chinois tenu par de vrais chinois !
Et puis aussi, à cause de mon attrait pour les pays asiatiques, même si mon long séjour au Laos m'a plutôt porté à me distancier des chinois qui me paraissaient tellement grossiers voire graveleux, comparés aux laotiens.
Donc, je décide à l'automne dernier de profiter de ma situation en Malaisie pour programmer un voyage d'un mois en Chine. Pour simplifier les démarches, j'opte pour un séjour articulé autour d'un voyage organisé par une grande agence française qui, bien entendu, se contente de revendre ce qu'une encore plus grande agence chinoise organise. Pour les billets d'avion, je me débrouille de mon côté pour les acheter puisque je ne partirai pas de Paris comme le reste de la troupe, mais de Kuala Lumpur. Et pour satisfaire mon désir d'indépendance, je prévois de rester plus longtemps que ce qui est prévu dans le voyage organisé. En tout, juste un peu moins d'un mois, car le visa touristique est de trente jours. Bien sûr, je dois tout payer avec 6 mois d'avance, et cela représente une coquette somme, bien au dessus de mes budgets-voyages habituels calculés sur la base des transports en commun avec hébergement en modestes "guest-houses".
Il ne me restait plus qu'à faire ma demande de visa, mais comme j'ai visité depuis mon départ pour le tour du monde de Sabay Dii, plus de quarante pays, dont certains réputés pas faciles, je ne me faisais pas trop de soucis sur l'obtention de ce laisser-passer.
Je pars donc à Bangkok pour faire les démarches, en me réjouissant par avance à l'idée de ce beau voyage en Chine. Prudent, j'avais prévu quatre jours pour être sûr de revenir avec mon sésame. Il m'en faudra trois, et tous les jours revenir au service consulaire des visas pour satisfaire des demandes complémentaires toujours plus pointues : d'abord le programme officiel du voyage, puis la liste de tous les hôtels réservés, puis une attestation officielle en chinois de l'agence organisatrice locale, avec noms, adresses, attestations de réservations, et dates pour l'ensemble du séjour, en plus de tous les autres documents habituels. Après des coups de téléphones, des mails, et une nombre ahurissant d'heures à poireauter matin et soir dans ce hall énorme et bondé des services consulaires, me voila enfin rassuré. Le préposé qui commence à bien me connaître me confirme le troisième jour au matin, que tous les documents désirés sont enfin réunis, et que je dois revenir le soir à 16 h 30 pour retirer mon passeport décoré d'un gros autocollant dûment tamponné. A 16 heures pétantes, j'avais mon petit papier sur lequel était écrit A381. Cinq heures plus tard, après une panne du tableau d'affichage appelant les demandeurs aux divers guichets, panne qui va donner lieu à une incroyable cohue, le A381 s'affiche enfin.
Une trentaine de personnes en train de s'étriper pour passer au seul guichet.
On est au service des visas de Chine à Bangkok
Me voila soulagé, car étant donné l'heure tardive, je m'attendais à ce que les bureaux fermassent et à ce que je dusse encore revenir le quatrième et dernier jour. J'arrive au guichet et j'apprends que mon visa a été refusé, non pas par le service consulaire mais par le service de contrôle de l'ambassade de Chine. Mon dossier est bien conforme mais ma présence dans ce pays n'est pas souhaitée par les plus hautes autorités. Aucune autre explication, mais une facture à régler pour toutes les démarches qui n'ont abouti pourtant à rien.
Depuis plus de cinquante ans que je voyage de par le monde, c'est la première fois que l'on me refuse un visa. Je ne me savais pas considéré comme un dangereux terroriste, et pourtant. Cela prouve en tout cas une chose, c'est que la Chine n'est toujours pas le pays ouvert qu'elle prétend être dans ses diverses publications sur Internet comme dans la presse internationale. Un euphémisme, bien sûr !
Bien que très déçu par ce refus inexpliqué, je me suis vite consolé en pensant à tout ce que j'ai entendu pendant ces longues heures perdues pour rien dans ce grand hall. En effet, je n'étais pas le seul "occidental" à attendre pour un visa, et plusieurs personnes avec qui j'ai discuté et qui allaient régulièrement en Chine depuis Bangkok pour affaires m'ont dit combien les voyages en Chine étaient devenus déplaisants à cause ... du nombre hallucinant de touristes chinois, se déplaçant en gros troupeaux bruyants et sans-gênes. Eh oui ! Il faut prendre conscience qu'avec le développement économique du pays, la classe aisée chinoise est devenue plus nombreuse que toutes les classes aisées du reste de la planète. Finie la découverte discrète et cultivée d'une des plus grandes civilisations, finies le promenades bucoliques dans les gorges de Gullin, où autres petits paradis.
Gullin (photo Internet)
L'armée des soldats de terre cuite



La visite de la Chine doit se faire à présent au rythme des cohortes chinoises, c'est-à-dire au pas de course, entre le drugstore et le fast-food. Et pas question de vouloir prendre une initiative incontrôlée voire incontrôlable, en choisissant un chemin buissonnier. Les services chinois veillent à canaliser les étrangers, encore et toujours, dans un pays sous surveillance administrative permanente.




Etant d'une certaine façon, débarrassé du problème de visa, j'avais enfin un peu de temps libre pour la quatrième journée à Bangkok. Pas du tourisme, car cela fait bien quinze ans que je vais régulièrement dans cette extraordinaire mégalopole, mais quelques courses à faire, notamment récupérer avant 16 h mon appareil photo en réparation chez Fuji Thailand. Bref, j'étais enfin libre de mes mouvements. Mais, comme vous allez le voir, mes malencontreuses "aventures" étaient loin d'être terminées.
Bon petit déjeuner pris comme à mon habitude dans la rue, avec un vrai lait de soja artisanal, un ananas et du ping kai kap khao nyao (poulet grillé avec riz gluant). De quoi être en forme quelques heures. A 10 heures du matin, je saute dans un bus pour un très long trajet à travers la capitale me conduisant via le bus et le Sky Train jusque chez Fuji. Hasard des itinéraires, quelques minutes après le départ, le bus passe devant le bâtiment des services consulaires de Chine. Tiens donc ! Heureusement, je n'ai pas à descendre une nouvelle fois pour perdre mon temps. Non ! Aujourd'hui, je peux vaquer comme je le veux. 15 minutes plus tard et quelques kilomètres plus loin, le bus stoppe au grand rond point de la Place du Monument de la Victoire.
Sur cette belle photo trouvée sur Internet, la place semblerait belle ...
... mais en fait, cette place n'est qu'un grand hub où convergent bus, métro et le train aérien
Mais, contrairement à l'itinéraire prévisionnel dont je disposais, le chauffeur annonce qu'il ne va pas plus loin, mais fait demi-tour. On est prié de descendre. Sur le coup je ne comprends rien à l'annonce, mais en voyant tous les autres voyageurs descendre, je me dépêche de regrouper mon bagage pour les suivre. A peine le bus a-t-il redémarré que j'ai un désagréable pressentiment : où est passé mon porte-monnaie ? Fébrilement, je fouille mes poches et mes deux sacs, à plusieurs reprises, mais je dois me rendre à l'évidence : mon porte-monnaie a disparu. Me voila sans le sou ! Et sans carte de paiement, par dessus le marché.
Me souvenant du numéro et de la couleur du bus, je cours à la gare routière du Monument de la Victoire, en espérant retrouver le chauffeur, mais cette place est immense et il me faut bien vingt minutes pour la contourner et arriver au dépôt. Personne ne parlant un mot d'anglais évidemment, mais j'arrive quand même à me faire comprendre en expliquant ma mésaventure en thaïlandais. On me répond que le bus est déjà reparti mais que je n'ai aucune chance de retrouver mon porte-monnaie car il y a des pickpockets sur cette ligne, et qu'il vaudrait mieux que j'aille faire une déposition au poste de police. Je demande si l'on ne pourrait pas essayer de joindre le chauffeur par téléphone, mais on m'explique que les bus appartiennent à diverses compagnies et qu'on ne sait pas comment joindre les chauffeurs autrement qu'en passant par l'intermédiaire des propriétaires des bus. Après une bonne heure de quiproquos et de tergiversations sous une chaleur accablante, un officier en faction qui suivait d'une oreille apparemment distraite la conversation, vient vers moi et me propose de me faire conduire en moto par un de ses soldats jusqu'au commissariat de police. J'accepte d'autant plus que ce commissariat est à une bonne heure de marche de la Place de la Victoire. Et il est déjà 13 heures. Or Fuji ferme à 16 h, et je dois impérativement récupérer mon appareil photo sous peine de devoir revenir à Bangkok. Il ne faut donc pas que je perde une minute dans ma recherche du chauffeur. Car, obstiné que je suis, je continue à penser que, dans la précipitation du départ, mon porte-monnaie est peut-être tombé dans le bus, et il me faut le retrouver pour pouvoir payer la réparation chez Fuji.
Voila LE fameux bus n°38 dans lequel j'étais.
En regardant attentivement, on voit qu'il est vide
car il vient juste de nous déposer et repart au dépôt avant une nouvelle course



Je dois tout réexpliquer, cette fois-ci en anglais, au commissaire de police, qui comprend parfaitement mon problème et me fait conduire à la centrale de vidéo-surveillance de la ville pour identifier le bus, afin de contacter son propriétaire et concomitamment son chauffeur. Une heure s'écoule encore avant que je retrouve sur les vidéos le bus et que je m'en vois descendre sur un écran géant ultra-haute-définition.
L'image est mémorisée, agrandie et le bus identifié. Le commissaire de police retrouve le propriétaire du bus, le contacte, mais il y a eu depuis ma descente à la Place de la Victoire un changement de chauffeur et le mien n'est pas joignable. Le propriétaire me fait savoir que je n'aie pratiquement aucune chance de retrouver mon porte-monnaie pour deux bonnes raisons. La première c'est qu'il n'a pas été retrouvé par le chauffeur qui l'aurait signalé, et la deuxième est qu'à cette époque de l'année (on est à la veille de Songkran, le nouvel an thaï, et c'est aussi la période des cadeaux). même s'il ne m'a pas été dérobé, il y a peu de chance qu'un porte-monnaie bien plein (je venais de retirer l'équivalent de 200 € pour payer la réparation de Fuji) envoyé par des "esprits" généreux soit restitué.

Je n'ai plus qu'à signer la déposition, et à faire opposition à ma carte bancaire. Merci Monsieur le Commissaire de m'avoir consacré toute votre après-midi.
Eh oui. Déjà 16 heures, juste le temps de contacter Fuji par téléphone où l'on m'annonce que le magasin est en train de fermer et n'ouvrira pas avant 10 jours pour cause de fêtes de Songkran. Me voila donc cloué en Thaïlande presque deux semaines pour simplement récupérer mon appareil photo. Je contacte aussi mon assurance-assistance de voyage qui m'annonce que mon cas de figure n'est pas pris en charge. Je suis donc au centre de Bangkok sans un kopeck. Pas le moindre moyen de paiement. Impossible de m'acheter une bouteille d'eau et pourtant j'ai une soif terrible, ou de me payer un petit quelque chose à manger. Inutile d'imaginer dormir dans un hôtel, ou de rejoindre l'aéroport qui est à 25 km autrement qu'à pied. La galère commence et devrait durer tant que je n'aurai pas rejoint Sabay Dii, à Phuket, où j'ai une petite réserve d'euros.
Dans l'immédiat, ne pouvant plus rien faire à Bangkok sans argent, il ne me reste qu'à partir à pied pour rejoindre l'aéroport. Depuis le commissariat de police, cela fait presque trente kilomètres, dont une bonne dizaine dans l'agglomération tentaculaire de la capitale. Après un peu plus d'une heure de marche, me revoilà à la Place du Monument de la Victoire dont je fais le tour à pied pour la deuxième fois de la journée. Jusqu'à présent j'avais cheminé sur le trottoir de longues avenues relativement ombragées, mais à partir de maintenant, je vais avancer en quinconce, car l'autoroute conduisant à l'aéroport se trouve à 45 degrés par rapport au réseau des rues et avenues des quartiers à traverser. Une fois à droite, et au croisement une fois à gauche, et ainsi de suite dans un dédale de petites rues se terminant parfois en cul-de-sac, m'obligeant à faire demi-tour. Le soleil est déjà couché, et je suis épuisé par ma journée marathon.
Dans une ruelle, je m'arrête à une station de moto-taxis. Il y en a partout dans les villes de Thaïlande en général, et à Bangkok en particulier. Les chauffeurs sont faciles à reconnaître avec leur gilet orange portant en inscription leur numéro de licence.
Ils attendent le chaland dans leur "station", en général un banc au coin d'une rue avec une bonbonne d'eau fraîche, car ils passent la moitié de leur journée à attendre en discutant entre-eux
La station où je m'arrête ressemble à s'y méprendre à celle de la photo ci-dessous (trouvée sur Internet, comme les précédentes, vu que je n'ai plus d'appareil photo) à la seule différence que, vu l'heure tardive et le fait qu'on soit à la veille de la plus grande fête de l'année, il n'y a qu'un jeune chauffeur.

Bien sûr, il me demande où je veux aller, mais je lui explique ma situation très particulière et lui demande seulement de pouvoir m'asseoir et un peu d'eau, ce qu'il accepte très aimablement. Le voila qui démarre, certainement appelé pour une course, et je me retrouve seul dans une rue presque déserte, ce qui me fait du bien après ma journée passée dans la cohue du centre-ville. Mais pas question de m'éterniser car la nuit approche et il me reste presque 25 kilomètres à faire encore.
Me voila reparti à zigzaguer dans le réseau des petites rues qui s'obscurcissent progressivement. Cela fait un quart d'heure que j'ai quitté le banc quand un nouveau chauffeur de moto-taxi m'aborde. Je lui dit que je n'ai pas d'argent mais en relevant son casque, il me sourit en me disant qu'il est au courant. Je reconnais alors le jeune chauffeur qui depuis un quart d'heure me cherchait, et devinez pourquoi ? Pour me donner un petit paquet contenant une bouteille de coca, un sandwich thaïlandais et un paquet de petits gâteaux qu'il était parti acheter au seven/eleven le plus proche.
Eh oui, c'est ça la Thaïlande et les thaïlandais !
Ce petit événement qui illumine une journée qui s'annonçait vraiment maussade est presque normal dans ce pays où l'on a pour règle de vie de ne laisser personne dans la précarité. Bouddhisme peut-être mais tradition surtout. En Thaïlande, comme au Laos ou en Birmanie, on ne met pas les vieux à l'hospice ou les handicapés dans des centres spécialisés, et on donne l’aumône systématiquement à ceux qui la demande. Mes années passées dans cette partie du monde ne m'ont jamais permis de trouver une faille à cet état d'esprit si commun ici et quasiment inimaginable chez nous qui, pour pouvoir profiter de la vie, avons oublié depuis quelques générations ce qu'est la vraie solidarité.
Pendant plusieurs heures, ma route jusqu'à l'aéroport va être jalonnée de ces petits moments de grâce, à croire que mon passage est annoncé à l'avance. Les gens s'arrêtent en moto pour me déposer au prochain arrêt de bus, mais comme je refuse poliment l'argent qu'ils me proposent pour monter dans le car, ils interpellent d'autres personnes sur la route pour m'amener plus loin. Un homme va même s'arrêter, alors que je suis en train de me reposer un peu. Il s'approche de moi en me disant que la vie est dure lorsqu'on n'a pas d'argent (comment a-t-il été mis au courant ?) et en un éclair, il glisse un billet de 100 baths (2,5 € et ici cela représente beaucoup) dans la poche de ma chemise et démarre en trombe avant que j'ai eu le temps de réagir. (il y a une dizaine d'années, j'avais eu une expérience un peu comparable avec un groupe de filles qui m'expliquaient comment téléphoner au Laos depuis une cabine et qui étaient parties en courant en me laissant l'argent pour la communication et en rigolant comme des folles).
Avant onze heures, j'avaient rejoint par sauts de puces l'aéroport, où j'allais pouvoir me connecter sur Internet pour trouver une solution pour la nuit. Une question au centre d'information pour savoir comment accéder gratuitement au serveur, sans disposer d'un numéro de carte d'identité thaïlandaise (j'étais au terminal Don Muang des vols domestiques) et une minute après des hôtesses reviennent vers moi avec mon téléphone configuré sur leur serveur personnel et avec deux paniers repas et les sourires qui vont avec. Décidément, quelle gentillesse !
Pour résumer ma journée à Bangkok, qui aurait pu être synonyme de galère, je pourrais simplement parler d'une belle aventure humaine, et c'est ce que je cherche essentiellement avec ma vie de nomade des mers. Mais cette essence se trouve aussi bien sur l'eau que dans les terres et même au plus profond des mégalopoles. Et c'est très bien ainsi !