Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

vendredi 30 juin 2017

Hommage à feu Bonipasia SUNDAI

La population de Bornéo est très cosmopolite, et la communauté chinoise et en partie catholique importante.
Alors que nous étions en escale à Ketapang, nous fûmes chaleureusement invités par sa famille à la commémoration (un mois après) du décès de Madame Bonipasia SUNDAI.


Nous n'étions pas les seuls ... des centaines de personnes étaient venues pour la cérémonie organisée par cette famille connue et appréciée des environs de Ketapang.
Une longue queue de convives s'étire à l'infini
Mais nous étions, à l'évidence, les invités d'honneur que tout le monde attendait.
Nous n'arrivions pas les mains vides car on nous avait suggéré d'apporter un drôle de mât décoré de ce que nous autres "occidentaux" considérerions comme de la pacotille brillante mais qui avait aux yeux de tous ici une très forte valeur symbolique.
Le mât porté par Frits (du voilier hollandais Argonaut) et Bernice (du voilier australien Brahminy Too)
Ce mât bien long allait-il passer sous le grand marabout de réception ?


N'allez pas croire que, chez les chinois de Bornéo, ce genre d'événement soit tristounet. Pas du tout. Et vous allez vite vous en rendre compte. D'abord, il y avait la chanteuse inimitable dont vous allez bientôt découvrir la voix ... surprenante,

Et puis il y avait l'orchestre de percussions qui va donner le tempo pendant de très très nombreuses heures sans changer de rythme.

Et puis regardez ces visages radieux et/ou sereins. On est bien loin de nos funérailles sinistres ...










Et maintenant, accrochez vous. Tout le monde est là ; la cérémonie peut démarrer.

Même les bonnes sœurs venues parrainer la cérémonie assez peu catholique en l'honneur de leur regrettée ouaille planaient sous l'emprise de la mélopée.

La fête va durer tout l'après-midi.
 Après plusieurs heures à tournoyer, les participants vont se reposer et se restaurer sous les tentes ...
Les maîtres de cérémonie font le bilan, au sons des dernières salves de l'orchestre.
et le mari de Bonipasia remercie l'assemblée pour sa participation joyeuse, et pour les dons ayant permis de financer une si belle journée.
Bref, tout le monde est content d'avoir pu se retrouver grâce à Bonipasia
Le veuf, satisfait de la journée, nous raccompagne en nous remerciant chaleureusement.
Bonipasia peut reposer en paix après une telle fête !

mardi 13 juin 2017

Borneo, Ketapang et les Dayaks


Sabay Dii continue son voyage à Bornéo, une île gigantesque (la quatrième par la taille après l'Australie, le Groenland et la Papouasie Nouvelle-Guinée), située au voisinage de l'Equateur, et partagée entre l'Indonésie, la Malaysia et l'enclave du sultanat de Brunei.
Le relief de Borneo se partage entre plaines alluviales à la périphérie et massifs montagneux au centre (de 2 000 à 3 000 m d'altitude), le mont Kinabalu culminant à 4 095 m d'altitude.
C'est une île très peu peuplée (moins de 27 habitants/km²), la popumlation se trouvant principalement dans quelques rares villes portuaires périphériques qui furent toutes, en leur temps, des comptoirs (portugais, espagnols, anglais ou hollandais).
La plus grande partie de Borneo est recouverte d'une immense forêt pluviale où les rares communications se font principalement par voie fluviale (mais les routes, encore limitées aux alentours des grandes villes commencent à apparaître).
Riche de dizaines de milliers d'espèces animales et végétales dont une grande partie reste encore à découvrir, la forêt primaire de Bornéo est une sorte de paradis primitif pour de nombreuses espèces endémiques et rares. Des conditions de vie extrême (chaleur, hygrométrie proche de la saturation et luminosité au sol presque nulle), y ont créé un univers unique où les plantes sont souvent carnivores, les lézards et les singes volent et les crapauds savent se déguiser en feuilles mortes. L'île est parmi les zones du monde les plus riches en biodiversité.
Mais à Borneo, tout n'est pas aussi "vert" qu'on pourrait le penser. De toutes les grandes étendues forestières équatoriales et/ou tropicales, celle de Bornéo régresse actuellement le plus rapidement, notamment à cause des incendies ou feux de forêts (qui sont en outre sous les tropiques une source massive de gaz à effet de serre, et de dégradation des « puits de carbone », sols et tourbes notamment). Près d’un quart (16,2 millions d'ha) des forêts de Bornéo a ainsi brûlé au moins une fois en 10 ans. Le phénomène El Niño aggrave le problème à cause des moindres pluies qui l’accompagnent (0,3 million d'hectares brûlent en année normale contre 1 million d'ha au cours des années El Niño). Mais la fréquence des incendies varie fortement selon les 3 pays qui occupent l’île de Bornéo et selon leurs provinces, bien que les écosystèmes et l'utilisation des terres soit assez similaires sur toute l'île. Les sols forestiers tourbeux (les meilleurs puits de carbone) qui peuvent être très épais en Indonésie sont les plus touchés (continuant parfois à brûler en profondeur malgré la saison des pluies). Borneo est donc une île exceptionnelle d'un point de vue environnemental, mais qu'on ne pénètre pas facilement, ni sans bonne raison.
Pour l'année 2016, seule la partie indonésienne de Borneo appelée Kalimatang était au programme de Sabay Dii, avec comme première étape Kumai, pour aller observer les orangs-outans, puis Ketapang pour découvrir la culture Dayak, avant de terminer par le festival nautique de Sukadana.

Me voici donc à Ketapang, où tout est prêt pour accueillir les navigateurs du rallye.
les musiciens nous attendant sur les quais
Les danseuses, bien, sûr (photo d'Anne du voilier Hybresail)

et toujours l'indéfectible sourire de bienvenue ! (photo Anne)
Je suis l'un des derniers à arriver, à cause d'une navigation assez chaotique (voir l'article précédent). Lassé des péripéties du voyage, j'étais bien content d'aller faire un saut à terre. Une fois Sabay Dii bien sécurisé par son ancre dans la rivière traversant la ville, je rejoignis la terre ferme par un quai où plein de monde se trouvait là pour me souhaiter la bienvenue. Encore une fois, l'accueil sera formidablement chaleureux et amical pendant presque une semaine ...
Tous les jeunes de la ville sont là ... (photo Anne du voilier Hybresail)
Mais leurs mamans ne sont pas loin, qui voudraient bien voir et toucher un navigateur intrépide
(photo Anne du voilier Hybresail)












Parmi cette foule joyeuse et chaleureuse, j'aperçois de drôles de gugusses armés de lances, d'arcs ou de sabres et bizarrement accoutrés : des Dayak.
Crânes divers pendus à leur poitrail, plumes volant à chaque pas autour de leur tête, et tatouages guerriers sur leurs corps d'athlètes, il y avait tout pour repartir à la course sur mon brave Sabay Dii, sauf que ces gens-là avaient un grand sourire illuminant leur terrible visage. Mais qui étaient-ils et que venaient-ils faire en pleine ville avec cet accoutrement qui ne semblait choquer personne ici ?
C'étaient des Dayaks, une communauté omniprésente sur Borneo et à la culture d'autant plus vivace qu'on s'enfonce dans le pays. Dans l'ethnologie de l'époque coloniale, les Dayaks étaient classés comme « proto-malais » c'est-à-dire comme appartenant à une première vague de peuplement qui aurait précédé les peuples du littoral, parmi lesquels les Malais et les Javanais, qualifiés alors de « deutéro-malais ». Aujourd'hui, cette interprétation est caduque. En fait, les Dayaks ne se distinguent de leurs cousins du littoral (souvent eux-mêmes d'anciens Dayaks, alors même que bien des groupes dayaks descendent à leur tour d'anciens marins s'étant établis tardivement à l'intérieur des terres) que par une moindre acculturation étrangère, en particulier par rapport aux religions monothéistes (islam et christianisme).
 

Images glanées sur Internet


Il y a seulement un siècle, les Dayaks passaient pour de redoutables « chasseurs de têtes », en raison d'anciennes coutumes de décapitation des ennemis vaincus. Ils avaient également la réputation de faire des coupes à boire dans des crânes merveilleusement ciselés. Et il n'y a pas si longtemps, certains indigènes croyaient toujours qu'un fiancé doit se procurer une " tête " dans un village éloigné avant de pouvoir se marier. Symboles de l'affirmation de soi et du courage des Dayaks, par ailleurs accueillants et serviables, ces trophées, macabres, qui ornent toujours le faîte de leurs maisons allongées, ne choquaient pas leurs hautes conceptions morales et leur sens aigu de l'organisation sociale.
Images glanées sur Internet
Aujourd'hui, on peut explorer des régions comme celle du fleuve Mahakam, au centre de l'lie, alors qu'il y a dix ans à peine, on ne savait pas trop si la chasse aux têtes était abandonnée. A présent, les Dayaks vivent paisiblement en s'adonnant à l'agriculture et chassent un rare gibier à la sarbacane, mais la communauté Dayak conserve jalousement ses coutumes ancestrales. Et les participants au Rallye indonésien pourront le constater, car nous aurons la chance de rencontrer ces gens étonnants mais aussi d'assister à des séances de sorcellerie très impressionnantes ou à des cérémonies traditionnelles fort surprenantes. Par exemple, la tradition de Manjat Tana, une cérémonie de demande de fertilité du sol avant la semence d’une nouvelle parcelle, ou Pandau, une cérémonie de demande de bénédiction des dieux.
Images glanées sur Internet


Beaucoup de changements ont ainsi eu lieu en 20 ans. Autrefois isolés dans la forêt, les Dayaks ne vivent plus en autarcie. Attirés par la modernité, les jeunes rejoignent les villes et se désintéressent de plus en plus de leur culture, tandis que les anciens sont nostalgiques. Les religions sont passées par là et ces minorités ethniques sont maintenant fortement christianisées, souvent de confession protestante, et parfois islamisées, sans pour autant renier leur identité dayake, et en continuant à croire en des esprits nombreux de nature animiste. Les religions chrétiennes et islamistes ont ainsi entraîné un bouleversement culturel mais aussi économique.
Les Dayaks sont serviables et extrêmement accueillants. Ils vivent aujourd'hui en communautés familiales, dans des maisons en bambou très allongées, certaines dépassent 100 m, pour 15 m de large, construites au bord de cours d'eau, sur pilotis pour les préserver des inondations. Le long d'un couloir central se trouvent, à gauche les compartiments communautaires, à droite les cellules pour les époux. Quelque 120 personnes ou 10 à 20 familles vivent dans une maison, véritable refuge contre la jungle environnante, sous l'autorité d'un chef " élu démocratiquement.
Grande maison dayake

Et maintenant quelques images de ma rencontre avec les Dayaks ...

Photo Anne (Hybresail)
Bien sûr, au cours du passage du rallye, nous avons eu un aperçu de cette culture très mystique. Par exemple, nous avons été conduits chez un sorcier très réputé qui après avoir pris toutes sortes de drogues s'est transpercé le visage avec une tige d'acier
avant de se mettre à faire le zigoto sur des lames tranchantes comme des rasoirs.

Une fois son numéro terminé, il s'est dirigé vers Bryan pour lui mordre le pied afin de le guérir de son mal de genoux (réel et dont Bryan n'avait pipé mot) puis est allé voir David et lui demanda comment il supportait les douleurs de sa grave chute (il était effectivement tombé au cours d'une ascension d'alpinisme un demi-siècle plus tôt et n'en avait jamais parlé à personne au cours des jours précédents). Bref, un sorcier un peu fou mais très étonnant tout de même.
Photo Anne (Hybresail) retouchée
Pour l'anecdote, à la fin de la séance, ce sorcier qui avait accueilli tout le monde aimablement, s'est mis à me gifler le visage avec des herbes pour me signifier que j'étais un esprit malin, voire malfaisant, ou même un "esprit critique". Peut-être avait-il raison ...
 

Quelques uns des musiciens de la cérémonie 

Sonné après être entré en transe !


Attention, cependant ! Les plumes et les cranes peuvent tromper. Certains peuples dayaks comme les Iban de Sarawak (Malaisie) ou les Ngaju de Kalimantan comptent parmi les peuples les plus modernes de l'Asie du Sud-Est. Leurs élites constituent partout une fraction importante de l'élite nationale de leur pays respectifs (des professeurs d'université, des scientifiques de haut niveau, des officiers supérieurs, des cinéastes ou autres artistes renommés, etc.).

Ketapang, c'est aussi une ville cosmopolite avec sa communauté chinoise (ses fresques murales et ses temples) ..




C'est aussi une imposante communauté chrétienne qui enorgueillit de son extraordinaire cathédrale entièrement conçue et dessinée par un évêque-artiste (de l'architecture aux fresques et sculptures) à la demande de l'épiscopat d'Indonésie, et dont les chefs-d'oeuvres sont à mettre au compte du frère de l'évêque. Somptueux ! A ne rater sous aucun prétexte.
Ci-contre le grand concepteur, cultivé, passionné, génialement doué et modeste. Mais quelle chance de l'avoir eu pour nous faire visiter la cathédrale.


Un détail du bas relief qui ceinture la cathédrale
Une parmi les sculptures monumentales 



Un Christ mixant culture chrétienne et croyances locales ancestrales 

et le sculpteur qui oeuvre depuis des années, sans répit
Voici enfin une vidéo prise avec un drone et présentant Ketapang et ses multiples facettes :