Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

dimanche 26 janvier 2020

Et si l'on parlait sobriété (deuxième partie)

C'est fou ce qu'on peut être accaparé par des tas d'activités plus ou moins futiles, plus ou moins urgentes, plus ou moins intéressantes, plus ou moins chaleureuses, ..., lorsqu'on est à terre, loin de son bateau, dans un appartement tout déglingué à remettre en état, dans une région où le climat permet de mettre le nez dehors pratiquement tous les jours, où l'offre culturelle est pléthorique, et en étant en outre très poche de sa famille et des copains.
Tous ces facteurs se sont conjugués pour faire en sorte qu'en l'espace de deux mois, je n'ai pas trouvé ou pris le temps de m'occuper du blog. En espérant rattraper ce retard, je reprends aujourd'hui le clavier pour le deuxième volet de mon petit papier sur la notion de sobriété. Cette fois, c'est pour décrire la vie sur Sabay Dii, du point de vue de l'énergie consommée et de sa production, de l'utilisation de l'eau et de son origine, et de la gestion de l'approvisionnement et des déchets.

La (les) vie(s) en mer
Comme vous allez vite le constater, la vie en mer est bien différente de celle qu'on mène à terre et les recettes pour laisser une empreinte minimale sur la planète sont bien plus spontanées, naturelles et simples que ce que vous imaginez probablement. A condition d'en avoir envie, évidemment !
Mais avant d'aborder le sujet, quelques précisions sur le mode de vie, ou plutôt les modes de vie en mer. En effet, il y a plusieurs façons de faire de la voile, ce qui fait qu'il y a différentes sortes de voiliers. On peut par exemple décider de partir loin et longtemps, ou au contraire de faire du cabotage côtier, ou encore de faire des ronds dans l'eau autour de trois bouées, le week-end, en régate. Dans ce qui suit, je ne m'intéresse qu'à la navigation hauturière, c'est-à-dire sur un voilier pensé pour aller loin et longtemps en mer, et donc conçu pour offrir une grande autonomie. C'est le mot-clé de cet article. Mais il y a autonomie et autonomie ...

Rien de superflu
Lorsque j'ai préparé mon bateau avant de me lancer dans mon tour du monde, j'avais déjà l'expérience de 40 ans de navigation, essentiellement passés en course, sur toutes sortes de supports : dériveurs, planche à voile, et dans les dernières années sur des quillards. Des quillards de divers types, plus ou moins rapides, plus ou moins cossus, plus ou moins confortables, plus ou moins grands et donc plus ou moins chers. Les équipements allaient du grand confort de voiliers de croisière utilisés occasionnellement pour une régate, à la version minimaliste d'un "Classe 8", conçu exclusivement pour la course sans le moindre aménagement intérieur et avec lequel je courrais avec un équipage au top-niveau, mais aussi de temps en temps en double sur des parcours hauturiers de plus de 500 milles nautiques, à travers la Méditerranée.
Imaginez ce que cela doit être de naviguer à deux (au lieu de cinq), plusieurs jours sur une minuscule "coquille de noix", de moins de 8 mètres de long, d'un peu plus d'une tonne, à 300 ou 400 km de la côte, avec pour seul confort, un seau pour faire ses besoins, un bidon de 20 litres d'eau douce, des barres de céréales, une petite VHF portable et de portée inférieure à 20 milles, et un GPS de poche. Sur ce genre d’esquif , tout est pensé pour aller le plus vite possible, et donc avoir un poids minimal. Il n'y a donc ni rangements intérieurs, ni table à carte, ni cuisine, ni carré, ni couchage. Pas de moteur non plus, ni de batterie. La coque est vide, sans revêtement intérieur, avec à la place de lit, table, ou sièges, les voiles que l'ont va utiliser selon l'allure choisie, posées délicatement à même le fond et sur lesquelles on ne doit pas marcher. Dans ces conditions spartiates, on apprend à vivre avec le minimum et on découvre que ce n'est pas si pénible. On découvre surtout, dans le même temps, que moins on a de choses à bord, moins on a de problèmes potentiels. C'est cette idée simple qui a présidé à la recherche et à la préparation de Sabay Dii : avoir un bateau marin et rapide (deux facteurs primordiaux de sécurité en mer) en choisissant un RM1200, et à l'intérieur, uniquement ce qui permet de bien préparer ses navigations, de se bien nourrir, de se reposer, de tout réparer en cas de panne, et rien de plus.

L'énergie sur Sabay Dii
Exit donc les congélateur, chauffage, climatiseur, etc. que l'on trouve pratiquement toujours sur les bateaux des américains, néo-zélandais, australiens, et bien d'autres faisant un tour du monde, et qui pensent que vivre sous les tropiques serait un enfer avec 40°C à l'intérieur, ou que passer un hiver en Nouvelle Zélande avec une eau à 8°C est impossible. Je peux vous certifier que cela n'a rien de terrible ! Il suffit de faire du courant d'air et de faire trempette quant il fait top chaud, ou de mettre un bonnet de laine et des bonnes chaussettes pour dormir quand ça caille.
En choisissant l'option sobriété-économie, je limitais mes besoins énergétiques au fonctionnement d'un petit frigo et des instruments de navigation, ce qui peut être fourni par une petite éolienne performante, une hydrolienne et un ou deux panneaux solaires, selon les conditions locales. Il en faudrait certes plus pour faire fonctionner à plein temps un radar et un pilote automatique qui sont les deux appareils les plus gourmands du bord, mais d'une part, je fonctionne avec un très sobre transpondeur AIS qui fait presqu'aussi bien qu'un radar, et d'autre part j'ai opté pour un régulateur de vitesse qui est une invention géniale permettant de diriger automatiquement le bateau par la seule action conjuguée du vent et de la force hydraulique de l'eau circulant sous la coque.

L'hydrolenne ou hydro-générateur (un alternateur de voiture couplé à une hélice par l'intermédiaire d'une simple corde).
Quand le voilier avance, l'hélice tourne et entraîne l'alternateur.
Les batteries se chargent automatiquement.

Ainsi, je n'ai pas besoin d'un groupe électrogène et des centaines de litres de gazole qu'il faut stocker pour le faire fonctionner à plein temps. Tout ceci fait que Sabay Dii ne ressemble pas beaucoup à pas mal de voiliers que j'ai croisés au cours de mon périple et qui devaient s'arrêter plusieurs fois dans chaque pays pour faire le plein. Eh oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, la plupart des voiliers au long court consomment de grande quantités d'hydrocarbures. Mais pas Sabay Dii ! D'autant plus que mon cher voilier est léger et rapide, ce qui me permet de ne jamais mettre en route le moteur pour me déhaler en cas de grosse pétole. Même dans les petits airs, il avance.
Pour preuve, Sabay Dii est actuellement en Turquie et il a fait son dernier plein il y a plus d'un an en Malaisie. Au cours de mes 10 années de navigation, je n'aurai fait que quelques pleins (au départ de France, en Espagne, puis en Guadeloupe, puis au Mexique, puis en Polynésie, en Nouvelle Zélande, en Nouvelle Calédonie et enfin en Malaisie). Sachant que mon réservoir contient 150 L et que j'ai souvent fait le plein du réservoir pas du tout vide, j'évalue ma consommation à 1000 L grand maximum pour parcourir plus de 80000 km, ce que me confirme le compteur horaire du moteur. Moins de 100 L par an et pour 8000 km annuels de moyenne, qui dit mieux ?

Le gaz
Pour cuisiner, il faut encore de l'énergie, et sur un bateau, c'est toujours le gaz qui est utilisé. Comme je suis un gros mangeur de salade, et que le matin je consomme des céréales et des fruits, il n'y a qu'un seul repas où j'utilise le réchaud. Et encore pas tous les jours. En pleine mer, je me fais du pain une fois par semaine, ce qui fait qu'avec une bouteille de 7 kg de propane, je dispose d'une autonomie de plus de 8 mois. Avec mes deux bouteilles (l'équivalent d'une grosse bouteille de gaz du commerce), je suis tranquille pendant plus d'un an. 

L'eau sur Sabay Dii
Comme je n'ai pas besoin de beaucoup de carburant, je peux me permettre de transporter beaucoup d'eau. Ce n'est pas l'option la plus fréquemment choisie par les tour-du-mondistes qui optent souvent pour un dessalinisateur, appareil électrique très gourmand en électricité, qui comme son nom l'indique élimine le sel de l'eau de mer. Mais pour le faire fonctionner, il faut beaucoup d'énergie et donc de gazole. Ce choix me paraît absurde, car je préfère transporter beaucoup d'eau plutôt que transporter beaucoup de gazole et un appareil complexe et qui tombe souvent en panne. Que faire en mer sans une réserve d'eau importante si le dessalinisateur rend l'âme ? On me rétorquera que si mon eau est contaminée j'aurai un sérieux problème. C'est pour cette raison que j'ai choisi d'équiper Sabay Dii de 2 réservoirs indépendants de 200 L plus deux autres de 100 L, plus 100 L en bouteilles. Et en plus, je me suis fabriqué un récupérateur d'eau de pluie tout simple que je sors pendant les averses et qui envoie par simple gravité l'eau collectée dans l'un de mes réservoirs. Résultat des courses : j'ai de l'eau en grande quantité, et même en cas de gros pépin (comme par exemple un démâtage), j'ai de quoi survivre plusieurs mois, même par une sécheresse absolue.
D'autant que j'ai pris j'habitude de consommer très peu d'eau potable (un maximum de 100 L par mois). En effet, et les quelques personnes qui sont venues sur Sabay Dii peuvent en témoigner, je suis capable de me laver et rincer de la tête au pied avec moins d'une demi-litre. Mais je me lave souvent à l'eau de mer, car si l'on se sèche immédiatement, il ne reste absolument pas de sel sur la peau. Le sel étant dissout est absorbé par la serviette qu'il suffit de laisser faseyer quelques minutes au vent pour qu'une fois sèche, le sel retombe en mer. Et quand il se met à pleuvoir, je profite de l'aubaine, évidemment.
Pour la cuisine, je me sers de 1/3 d'eau de mer et 2/3 d'eau de mes réserves pour cuire légumes, riz, pâtes, etc. Pour le pain, la concentration en sel de l'eau de mer est idéale aussi. Quant à la vaisselle, elle se fait de manière très simple car toute ma vaisselle est en inox, matériau qui ne fixe pas les corps gras. Un simple rinçage suffit, et l'eau utilisée sera mise à profit pour nettoyer d'autres choses. Dans les cas exceptionnels, un essuyage rapide avec du papier absorbant est d'une efficacité absolue. Donc pratiquement aucun produit ménager de nettoyage n'est utilisé sur Sabay Dii.
Pour la lessive, c'est encore la même stratégie qui dirige les actes. Du savon de Marseille et de l'eau de pluie pour une lessive toujours à la main, évidemment, car les machines à laver n'ont pas leur place sur Sabay Dii.
En résumé, pour ce qui est de l'eau potable, j'ai pris des habitudes de sobriété telles que je consomme extrêmement peu sans me restreindre. Je suis aussi efficace dans ma gestion de l'eau qu'un touareg et du coup, je ne remplis mes réservoirs qu'avant une grande traversée. Le reste du temps, 100 ou 200 L me suffisent et mon bateau ainsi délesté n'en est que plus rapide.

Les eaux usées
Sabay Dii est équipé d'une cuve à eau noire pour les toilettes. Ce dispositif est aujourd'hui obligatoire dans la plupart des pays, ce qui fait qu'aucune matière fécale n'est rejetée près des côtes. Le système de vidange est si simple que, là encore, il n'est pas nécessaire d'utiliser le moindre produit chimique. Ni eau de Javel, ni Cabnard WC, ni bicarbonate de sodium, ni alcool ménager. C'est l'eau de mer qui sert à nettoyer la cuvette des WC et le réservoir d'eaux noires. C'est beaucoup plus intelligent que d'utiliser de l'eau douce comme cela se fait à domicile. Ici encore, on ne peut faire plus simple et plus respectueux de l'environnement.

L'approvisionnement du bateau et les ordures
Vivre en mer, c'est vivre de peu. car on n'est pas sollicité par les publicités, les stands débordants de marchandises, les soldes, ... Les magasins, supermarchés sont à des distances considérables. Quant on arrive à terre, on va acheter de la nourriture au marché avec ses sacs à provisions. Un point c'est tout. En plus, je fais mon pain, mes yaourts, etc. à bord. Dans ces conditions, il devient inutile ou presque de trier les ordures, car elles se résument essentiellement à des épluchures. Certes, il reste parfois quelques emballages, comme par exemple les paquets en carton des céréales, mais dans la plupart des pays de la planète, les produit sont vendus en vrac (le riz en Asie et ailleurs, le sucre au kilo, la farine au d&tail, les fruits et les légumes bien entendu aussi). Les très rares emballages en papier ou carton sont rejetés en mer, découpés en petits morceaux, car biodégradables et les très rares matières plastiques sont stockées à bord jusqu'à la prochaine étape et ses poubelles de tri sélectif si ce dernier est pratiqué. Pour information, tous les déchets non biodégradables de Sabay Dii, pour la longue traversée de l'an dernier (Mer d'Andaman + Océan Indien + Mer d'Arabie + Mer Rouge) ne faisait que le volume de deux petits sacs, non compressés, soit l'équivalent d'une petite poubelle domestique, et rien que ça pour plusieurs mois de navigation. Pas facile de faire aussi bien sur terre.

Moralité
Vivre sobrement est bien plus facile en mer qu'à terre. Les tentations de consommation sont rares, voire inexistantes. Pas de commerces, ni d'Internet, ni de publicités, ... Le fait de vivre en pleine nature oblige à composer avec elle, sans compter sur les éboueurs, les camions-poubelles, les réseaux d'assainissement, les injonctions des associations écologistes, les articles de revues de consommateurs ... Le partage avec les autres est impossible et la collectivisation, la mutualisation n'ont aucun sens. On doit donc trouver des solutions, adopter des attitudes, s'imprégner d'une philosophie pour gérer au quotidien son parcours de vie, le plus respectueux possible de la Mer. Ce faisant, plus ou moins volontairement, plus ou moins consciemment, on vit dans la sobriété la plus absolue, sereinement, sans effort. Et on se sent bien !
Le problème, c'est de se réadapter à la gabegie de la vie occidentale quand on revient à terre, mais c'est un autre sujet dont je vous parlerai probablement dans un futur proche. Une troisième volet du triptyque de la sobriété. A bientôt donc.