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Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

mercredi 2 mai 2012

Loreto

  




De Puerto Escondido, je suis parti de bonne heure en stop à Loreto, pour visiter la ville et refaire l’avitaillement du bateau.








Voilà comment Steinbeck décrivait son arrivée à Loreto, par la mer :

Nous levâmes l’ancre pour Loreto. Nous étions impatients de voir cette ville qui fut la première colonie à réussir à s’implanter sur la péninsule et dont l’église est la plus ancienne de toutes les missions. C’est là que fut enfin conquise l’inhospitalière Basse-Californie et qu’une colonie prit racine, en affrontant la faim et les mésaventures. Quand on arrivait par la mer, la ville était enfouie dans des bosquets de palmiers et de verdure. Ayant jeté l’ancre, nous scrutâmes le rivage à la jumelle. Sur la plage, à côté d’une file de pirogues, plusieurs hommes assis dans le sable nous regardaient ; ils étaient vêtus de blanc et semblaient confortablement installés et paresseux. Quand notre ancre fut jetée, ils se levèrent et se dirigèrent vers la ville. Il leur fallait, bien sûr, trouver leur uniforme et, comme Loreto ne recevait pas souvent de visites, comme le gouverneur n’était pas venu récemment, ce ne fut peut-être pas si facile. Il y eut peut-être pas mal de galopades d’enfants envoyés faire des courses de maison en maison, chargés de trouver une tunique, un ceinturon, ou d’emprunter une chemise propre. Señor le fonctionnaire devait se raser, se parfumer et se vêtir. Tout cela prend du temps, et le bateau qui est dans le port attendrait.
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En presque 80 ans, peu de choses ont changé et on pourrait presque faire la même description de Loreto :




-    un port minuscule, aujourd’hui facilement identifiable de la côte par l’un des rares phares de la région. Malgré les actuels travaux d’aménagement de la promenade sur mer, il continuera à n’abriter que quelques barques de pêche (elles ont remplacé les pirogues), les navigateurs de passage devant mouiller plus au large et se débrouiller pour rejoindre la terre en annexe pour faire les démarches administratives ;









-    un village paisible et coquet regroupé autour de sa mission jésuite, précieuse et immuable ;
-    des rues ombragées où il fait bon flâner ;


-     ce même écrin de verdure complètement sauvage et anachronique qui subsiste en plein milieu du bourg ;
-    enfin, les fonctionnaires sont encore là, mais juste à côté de la plage, dans un local climatisé, et ils sont toujours impeccablement habillés pour recevoir un hôte peu probable, car ici au  Mexique, le temps ne s’écoule pas à la même vitesse qu’ailleurs, et l’élégance et le respect du citoyen, étranger ou pas, sont toujours de mise.
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Je parierai que le nom de Loreto ne vous dit rien. Normal, depuis la France, et les quelques mots de Steinbeck ne permettent pas de prendre la mesure du rôle joué par cette modeste ville dans l’histoire du continent américain.
En fait, quand Cortez et sa poignée de soldats espagnols sont venus en Amérique, ils ont assez rapidement progressé dans le pays Aztèque, gagnant facilement des batailles avec leurs armes à feu et leurs chevaux. Derrière eux suivait le clergé, chargé d’apprendre qui était le Bon Dieu, à ces sauvages qui sacrifiaient à tout vat pour abreuver leur panthéon païen. Après avoir traversé d’est en ouest le pays Mexica, ils arrivèrent à la côte Pacifique. La fin du voyage ? Non, car apparemment, d’après les habitants de cette côte, au large, très au large, il y avait un autre pays. L’armada cortésienne se mit au travail ; des voiliers furent construits pour traverser cette mer qu’on appelle aujourd’hui la Mer de Cortez, car c’est encore lui qui fit le voyage le premier.
Une fois la nouvelle terre découverte, il fallait la coloniser, sans savoir au juste si c’était un continent, une île, une grande presqu’île. Ce sont les jésuites qui furent chargés de la colonisation, par un arrêté royal leur donnant toutes prérogatives. En disposant du commandement des soldats, ils soumettraient les populations indigènes à l’autorité de la couronne d’Espagne ; ils auraient aussi à organiser le nouveau pays, en construisant des puits dans ce désert, en trouvant des cultures adaptés, en gérant les récoltes pour éviter la famine, en régissant la vie publique et bien sûr spirituelle des conquérants et des indiens.
Ces jésuites qui étaient des hommes extraordinaires, à la fois érudits et grands aventuriers, durent apprendre les langues locales pour pouvoir communiquer avec les indiens de cette contrée nouvelle, afin de les « éduquer ». Mais les frères jésuites avaient tout contre eux : une terre inhospitalière, aride et montagneuse, un climat accablant, avec très peu d’eau, et pour couronner le tout, des indiens redoutables qui n’avaient pas envie de coopérer (de servir d’esclaves). Par ailleurs et par malheur, la population indigène déclina très rapidement pendant plus d’un siècle à cause des maladies apportées par les espagnols. Sans main d’œuvre ni ressources, les tentatives de colonisation échouèrent les unes après les autres. Ce n’est qu’en 1697 que le père Juan Maria Salvatierra arriva à fonder une mission permanente, à Loreto, avec sa belle petite église, sur le fronton de laquelle sont gravés les mots « Cabeza y Madre de las Misiones de Baja y Alta California ». En effet, c’est à partir de cette mission que les jésuites vont partir à l’assaut de la péninsule, établissant 23 autres missions dépendant de Loreto, capitale et mère de la Californie. Quelques décennies plus tard, lorsque les jésuites tomberont en disgrâce, ce seront les Franciscains et les Dominicains qui prendront le relais. Sachant que le sud de la péninsule californienne est un cul de sac, ils remonteront vers le nord, très au nord, et fonderont les missions de San Diego, Los Angeles, San Francisco, etc., des noms qui vous disent quelque chose. Eh oui ! Toutes ces grandes métropoles de la côte ouest des USA ont été fondées par les moines espagnols sous l’autorité de la mission de Loreto qui aura été pendant plus d’un siècle la capitale d’une immense région appelée Californie, allant du fin fond de la péninsule (les deux états mexicains de Baja California) jusqu’aux Rocheuses (l’état américain de Californie). Toutes ces grandes villes aujourd’hui américaines ont été mexicaines. Mais, malheureusement pour le Mexique, en quelques années, sous le mandat du très contesté président Santa Anna, le territoire de cet immense pays va se réduire comme une peau de chagrin. D’abord en 1836, par la sécession du Texas qui veut rejoindre les Etats Unis d’Amérique, puis en 1848, à la suite de la guerre désastreuse mexicano-américaine et la perte au profit des vainqueurs de l’Utah, du Colorado, et de la Californie, et enfin, en 1853, dans le cadre de l’achat de Gadsden, par la vente « crapuleuse » (10 millions de dollars US) du Nouveau Mexique et de l’Arizona aux Américains.
Voilà résumée en quelques lignes, l’histoire prestigieuse de Loreto, à la fois grande capitale de l’ouest américain, et petite ville assoupie au bord de la Mer de Cortez. Une histoire qui permet de prendre conscience que la conquête de l’Ouest ne s’est pas faite que, comme dans les westerns, d’est en ouest, avec la construction du train transocéanique, à coup de pistolet et par des cow-boys. Non. Elle s’est faite aussi du sud vers le nord, le long du Pacifique, par de drôles d’aventuriers en bure et armés de croix bénites, et avec Loreto pour base arrière stratégique. Une histoire qui permet aussi de mieux comprendre le sens des noms « Mer de Cortez » et « Basse Californie ». Pas vrai ?

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