La côte malaisienne du détroit de Malacca est surprenante. Monotone, basse sur l'eau, polluée, et surexploitée d'un point de vue halieutique.
Au loin, l'une des grandes villes de la côte, mais rien pour accueillir des voiliers de passage |
Étrange côte malaisienne, où des immeubles complètement isolés poussent comme des champignons, loin de toute ville |
Le seul port pétrolier avec ses raffineries |
Les courants de marée peuvent être forts. La preuve, le changement de teinte annonçant une renverse de courant. |
Une seule partie de ce long chemin est animée. C'est un estuaire où a été construit le port qui alimente Kuala Lumpur. Une vraie ruche !
Je me fais doubler par un énorme porte-containers de plus de 300 mètres de long |
et il me fait une queue de poisson pour aller à quai. |
Ces navires sont si gros que ce sont des remorqueurs qui les rangent le long du quai. |
Des centaines de grues géantes attendent les bateaux principalement chinois. |
Enfin tranquille ! |
Retour à la civilisation des fumées à l'approche de Pangkor |
On doit passer devant le port minéralier pour rejoindre la marina de Pangkor |
Le canal de Pangkor |
Les Malaisiens sont majoritairement de confession musulmane |
Une barge du côté de Pangkor |
Retour au calme, une fois Pangkor passé. |
Cette côte est longue de plus de 450 milles nautiques, et ne peut être longée d'une traite, d'où le problème des arrêts. Marina ou mouillage forain ?
Si je faisais sérieusement l'inventaire des jours passées en marinas (hors mis lorsque je laisse le bateau seul lors de mes retours en France), je pense que je serais en dessous de 30 jours pour huit ans de navigation. Mais il faut bien de temps en temps refaire des pleins (par exemple à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, après la transat), immobiliser le voilier pour faire une réparation délicate (par exemple le changement de barre de flèche à Golfito au Costa Rica), récupérer quelqu'un (par exemple Véro, Vincent et Fatima à Guaymas au Mexique), ou se mettre à l'abri du très mauvais temps quand il n'y a pas de meilleure solution (Morea en Polynésie lors d'une alerte de tempête tropicale).
Alors pourquoi m'arrêterais-je dans une marina de Malaisie, lors de la descente ou de la remontée du détroit de Malacca ? N'est-il pas plus simple, plus agréable de préférer un petit mouillage dans un coin pittoresque ?
Comme vous allez le constater, le choix pour cette alternative n'est pas évident.
D'abord, les raisons de vouloir s'arrêter : il faut bien comprendre que dans le détroit de Malacca, à part à proximité de deux gros ports industriels, ce ne sont pas les gros cargos qui sont un problème (ils circulent au beau milieu du détroit sur deux routes bien identifiables), mais les pécheurs et leurs satanés et omniprésents filets qui rendent la navigation nocturne quasiment impossible. Il faut donc s'arrêter toutes les nuits.
Mais où s'arrêter pour passer une nuit tranquille avant de repartir le lendemain pour une nouvelle grosse journée de navigation ? En fait, on a pratiquement toujours la possibilité de mouiller l'ancre sous le vent de quelques petites îles, et même n'importe où, car les fonds sont bons (de la vase très visqueuse) et il y a peu d'eau (presque toujours moins de 20 mètres, et souvent moins de 10) tout au long de la côte malaisienne.
Trois voiliers mouillées sur un banc de sable proche d'une île entre Puteri harbour et Port Dickson |
Et la météo ? Elle est très souvent clémente, même un peu trop, et l'on a toutes les chances de rencontrer un vent très léger, ce qui est un peu peinible en navigation mais très agréable lorsqu'on est à l'ancre. Il y a néanmoins le risque de très violents orages, et j'en ai essuyé plusieurs.
Dans une heure, coup de vent et pluie garantis |
Il y a aussi plein de bonnes raisons à préférer faire une pause dans une marina, mais plutôt que d'argumenter sur les avantages et inconvénients de chaque option, voici une petite anecdote qui m'est arrivée au cours de ce parcours qui devait être sans soucis.
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Après une grosse journée de navigation, je décide de jeter l'ancre sur un banc de sable long de plus d'une dizaine de milles qui longe la côte malaisienne à 5 ou 6 milles de la terre ferme. Le temps est calme ; la météo n'annonce pas de changements ; le lieu est désert et loin de la route des cargos. Bref, les conditions sont toutes favorables et l'endroit ne présente aucun piège car quelle que soit l'évolution du temps, il est possible de quitter le mouillage en urgence dans n'importe quelle direction, le fond étant uniformément recouvert de cinq à six mètres d'eau.
Huit heures, à la nuit tombante, le bateau est bien rangé, j'ai fini de manger et m'apprête à aller prendre une nuit de repos bien méritée. Alors que je venais de m'endormir, je suis réveillé par le bruit d'un moteur lointain (j'ai l'oreille très fine en mer). Quelques minutes plus tard, un projecteur branlant éclaire le bateau de très près. Je sors et aperçois à une dizaine de mètres à peine un petit bateau de pêche avec deux hommes à bord, excités comme des puces et vociférant. Ils me somment de partir car c'est leur lieu de pêche. Justement là où je suis, et pas à cent mètres plus loin, alors que le banc de sable fait presque vingt kilomètres. Je leur réponds que j'ai sommeil et qu'ils n'ont qu'à aller ailleurs. Très énervés les deux hommes s'approchent pour monter à bord. Je prends alors une pagaie et leur fais comprendre clairement qu'ils vont avoir du fil à retordre. Pour les bluffer, je cause fort à mes équipiers imaginaires qui sont dans le bateau pour faire croire à ces deux hurluberlus que je ne suis pas seul à bord. Apparemment ça marche et ils s'éloignent pour poser leur filet. Je retourne me coucher en jetant un coup d’œil de temps en temps par le hublot. Deux heures plus tard je me lève car j'ai l'impression que quelque chose frotte la coque et découvre que ces abrutis ont entouré le bateau avec leur filet auquel ils ont ajouté les fanions lumineux théoriquement obligatoire dans la zone en cas de pêche nocturne. Le bateau est bien pris de toutes parts, et c'est le frottement des mailles et des flotteurs qui m'a réveillé.
Je comprends alors leur stratagème dont on m'avait vaguement parlé auparavant. Avec les courants, ils sont sûrs que je vais me retrouver pris dans la nasse, et je vais donc, obligatoirement, abîmer leur filet. Cela leur permettra de déclarer avec des photos ou des témoignages à l'appui, que je suis l'auteur des dégâts, et le gouvernement les dédommagera pour leur permettre d'en acheter un neuf. Je m'attends donc à ce qu'ils reviennent au lever du jour pour faire constater par des témoins ce qui est arrivé.
J'enrage mais me décide néanmoins à aller dormir quelques heures en espérant que la nuit porte conseil, en plus du repos. A quatre heures du matin, ma décision est prise. Je dois décamper et mettre une bonne distance entre eux et moi avant l'aube. Je tente de remonter l'ancre qui est emmêlée dans le filet, mais je tranche dans le tas au couteau, en remontant la chaîne. Puis j'essaie de démarrer le moteur mais impossible car l'hélice est prise dans les mailles. Je dois donc plonger, de nuit, pour tenter de libérer le bateau qui est pris par les bulbes des quilles, l'hélice et la transmission du moteur (saildrive), et par le safran. Sans lampe, le poignard entre les dents, me voila sous le bateau, au milieu du filet et de ses mailles invisibles, en train de jouer le rôle du plongeur de commando. Je casse un premier couteau puis perds une pince coupante, mais après une heure à me débattre dans la nasse sans me laisser distancer par Sabay Dii, je finis par libérer le bateau qui va traîner derrière lui un voile de marié de quelques dizaines de mètres. Le moteur est toujours bloqué mais avec le génois je pars au largue vers le large. Une demi-heure plus tard, je roule le génois et replonge pour libérer l'hélice au plus vite. Ouf, c'est fait. Je remonte à bord bien fatigué par ces longues apnées et mets le moteur plein pot pour partir le plus loin possible. A six heures, le vent qui s'est levé prend le relais du moteur et je file à sept nœuds. Un peu plus tard, au lever du jour, je suis suffisamment loin pour ne plus être visible par les pêcheurs qui ont du arriver sur zone mais ne savent pas dans quelle direction j'ai pu partir. Ils sont bons pour récupérer les morceaux restant de leur filet sans avoir un coupable à présenter. Ils ont perdu leur pari vicieux. Et moi, je suis libre comme l'air, soulagé et même assez amusé du tour que je leur ai joué.
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Bien sûr, si j'avais passé ma nuit dans une marina, elle aurait été plus tranquille. J'aurais aussi pu bénéficier d'une bonne douche (mais celle que je prends avec deux verres d'eau douce sur le bateau me convient très bien) ou mieux un bain dans une belle piscine (au lieu de l'eau de mer pleine de déchets en plastique du détroit de Malacca).J'aurais pu aussi aller lécher des vitrines dans lesquelles rien ne m'intéresse, manger une glace à la mangue que je n'aurai jamais à bord, retirer de l'argent dont je n'ai pas grand usage à une distributeur de billet, trouver dans une mini-épicerie des chips et des bière que je ne consomme jamais. Et tout ça pour une somme dérisoire de 10 €.
Mais, coincé entre les immeubles, il m'aurait été impossible de voir le soleil se coucher puis se lever à l'horizon. Confiné dans un bassin, entre deux autres bateaux je n'aurais pas été bercé par le clapotis de la mer mais aurais entendu le bruit des voisins et la musique trop forte des bistrots jusqu'à minuit.
Certains préféreront continuer à privilégier les mouillages forains pour se sentir libre, au risque d'avoir un jour, peut-être, un "petit soucis", et je les comprends. D'autres préféreront aller le plus souvent possible dans une marina au cours de leur trajet dans le détroit de Malacca, plutôt que de risquer de se trouver dans ma situation "compliquée", et je les comprends aussi, mais il leur sera néanmoins impossible de passer toutes leurs nuits en marina, car la distance qui les sépare est trop importante. Le coup tordu peut donc leur arriver à eux aussi.
Voici maintenant, mon opinion sur les diverses marinas de la côte malaisienne du détroit de Malacca.
Puteri Harbour :
C'est le bon endroit pour faire les formalités d'entrée en Malaisie. Le complexe de la marina, à l'esthétique intéressante, ne présente pas beaucoup d'intérêt, sauf à passer sa nuit à boire des bières et manger au restaurant. On est loin de tout (obligation de prendre un taxi ou un des rares autobus) pour rejoindre le supermarché du district, seul endroit où l'on puisse vraiment se ravitailler. Rien pour la maintenance du bateau non plus. En outre, malgré sa proximité géographique, Singapour n'est pas facilement accessible depuis Puteri Harbour.
Admirals Bay Marina
Elle se trouve non loin de la grande ville de Port Dickson. C'est encore un grand condominium n'ayant rien à offrir de spécifique au marin de passage. Belle piscine débordante néanmoins.
Bonne surprise. Je retrouve Steeve et son trimaran Spirit avec qui j'avais traversé le Canal de Panama |
Toujours aussi luxueux |
Pangkor Marina
L'exception qui confirme la règle. Voila une vraie marina pour vrai navigateur. Tout est là pour reprendre des forces, manger pas cher et bien, retaper son bateau (le sortir de l'eau, refaire sa peinture dans un hangar, démâter, etc.). Et en plus l'équipe de la marina dirigée par James est d'une gentillesse, d'une disponibilité, et d'une débrouillardise formidables. On est un peu loin de la ville pour s'approvisionner mais des taxis sont en attente devant la marina.
Straits Quay Marina
Elle se trouve à Georgetown qui fait partie de l'agglomération de Penang, deuxième du pays par le nombre d'habitants. Cette ville est à visiter absolument pour son architecture et sa population à 60% chinoise. La marina est toute petite. Toute proche d'un supermarché, elle permet d'aller où l'on veut dans Penang, grâce à Uber (1 à 2 € pour n'importe quel trajet urbain). Et le responsable de la marina est un "vieil" anglais, fort sympathique, qui se débrouillera pour vous aider à trouver la solution à n'importa quel problème. Néanmoins, il n'y a rien pour réparer son bateau et encore moins pour le sortir de l'eau.
Rebak Marina
Située sur l'île de Rebak, elle fait partie de la région de Langkawi qui est une zone franche à la frontière de la Thaïlande. Ici, aucune taxe, ni sur les alcools, les tabacs, les parfums, l'électronique, ni sur tout ce que vous voulez importer. C'est ici que j'ai reçu ma nouvelle éolienne qui m'a coûté bien moins cher livrée au bateau que si je l'avais achetée en France. C'est donc le bon endroit pour faire venir du gros matériel pour le bateau, d'autant que la marina dispose de tout ce qui est nécessaire pour faire une réparation : travelift, shipchandler, bons artisans, etc.
Rebak Marina |
Et en plus l'endroit est superbe avec de quoi courir, une belle plage, une piscine où l'on peut vraiment faire des longueurs si l'on veut, et même une petite salle de musculation.
La plage de Rebak Marina |
L'un des endroits agréables où se mettre au frais pour bouquiner par exemple |
Plein de chemins sympas sous les arbres |
Ajoutez à cela un restaurant pas cher rien que pour les gens de la marina, une laverie, une petite épicerie, la navette gratuite pour rejoindre Langkawi, des voitures à louer à 10 € la journée.
La navette rapide quitte la marina pour Langkawi |
Certes c'est un peu plus cher qu'ailleurs mais les services sont bien plus nombreux et le cadre est superbe.
Sabay Dii sur ses trois pattes |
Couple de calaos (hornbills) |
Seul bémol, le personnel de la réception est déplaisant au possible, avec une personne particulièrement mal embouchée, grincheuse, impolie. Bref, elle est le gros et seul point noir de cette marina, tout le reste du personnel étant fort sympathique.
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