Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

mercredi 6 mars 2019

De Socotra à Djibouti, zone à pirates



Le 9 février, nous arrivons dans le Golfe d’Aden. En mer depuis plus de trois semaines, notre objectif est Djibouti à environ 600 milles nautiques. Dans cette portion de notre long voyage sans escale, la navigation doit se faire avec "beaucoup de prudence" à cause des tensions géopolitiques, à cause de la fragilité des économies et des structures sociales et politiques des pays de la zone (Somalie, Yémen, Djibouti, Érythrée, Soudan), mais aussi et surtout à cause des pirates somaliens et yéménites.
Ce jour-là, au petit matin, nous sommes à 85 milles nautiques de la redoutable et redoutée île de Socotra. Pendant deux jours, nous allons la contourner par le Nord en restant toujours à plus de 50 milles nautiques, sans nous approcher pour autant de la côte du Yémen, un pays qui est depuis plusieurs années en état de guerre civile et qui est en guerre en ce moment contre l’Arabie Saoudite.
Pour comprendre ce que j’entends par « beaucoup de prudence », voici quelques détails sur la situation dans la région, la stratégie que j’ai adoptée pour notre navigation, en conformité avec les recommandations des autorités compétentes, et le déroulement de notre voyage depuis Socotra jusqu’à Djibouti.
La situation dans la région
Il y a une dizaine d’années, le Golfe d’Aden était, avec la côte orientale de la Somalie, l’endroit le plus dangereux de la planète pour la navigation.
Comme on peut le voir sur la carte ci-dessus, c'est à la pointe de la Corne de l'Afrique que les attaques étaient les plus nombreuses (jusqu'à septembre 2008), la région de Boosaaso étant un repère très actif de pirates somaliens.
Depuis cette époque, les choses ont bien changé. Une coalition de pays s'est constituée pour patrouiller dans la zone et rendre ces eaux (très stratégiques pour le commerce international) plus sûres. Même si, à cause de la guerre, les ports yéménites ne servent plus de base anti-piraterie, la présence militaire est toujours bien réelle, et nous avons pu le constater très concrètement, comme vous allez le voir. En contrepartie, l'anarchie qui règne actuellement au Yémen a favorisé un autre genre de piraterie, plus "militante", puisque les rebelles Houthis téléguident des barques chargées d'explosifs pour essayer de couler les bateaux des pays qui aident l'Arabie Saoudite (notamment la France, mais il ne faut pas le divulguer) avec qui ils sont en guerre. Néanmoins, la situation aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle de 2008, et aucun voilier de croisière n'a eu de soucis avec des pirates depuis 2012.
On peut donc très raisonnablement envisager de rejoindre la Méditerranée depuis l'Asie du Sud-Est, en choisissant la route de la Mer Rouge plutôt que celle, beaucoup plus longue et tout aussi dangereuse mais pour d'autres raisons, qui passe par l'Afrique du Sud et le redoutable Cap de Bonne Espérance (dont l'ancien nom était le Cap des Tempêtes).
La stratégie adoptée pour le voyage de Sabay Dii
La première chose est de bien se documenter de nombreux mois avant de partir : lecture des guides de croisière traitant de l'Océan Indien et de la Mer Rouge (Red Sea Pilot de Elaine Morgan & Stephen Davies), consultation du site Noonsite.com pour avoir les dernières nouvelles sur les zones traversées.
La seconde chose à faire est de contacter, un mois avant votre départ, la cellule de sécurité maritime ALINDIEN - MARSEC. C'est un service absolument fantastique assuré par la France, et donc francophone. Je vais vous en reparler.
Voilà ce qu'ils sont capables de faire.
Vous noterez au passage que l'adresse électronique sur ce document est différente de celle du document précédent.
Pas facile de deviner à quel point ce service va vous paraître indispensable, une fois en mer. 
Voici encore un autre document (le "flyer"), certainement le plus facile à trouver sur Internet, qui vous donne les coordonnées du service.
Vous noterez au passage que l'adresse électronique est encore différente.
Alors un conseil pour les personnes qui envisagent de passer en bateau par la Mer Rouge, un conseil pour ne pas avoir les mêmes soucis que moi. Contactez ce service un mois à l'avance et non pas une semaine car, pour ce qui concerne l'adresse électronique, vous risquez d'avoir une très mauvaise surprise, soit en recevant un message "invalid adress", soit en n'ayant jamais de réponse. En effet, ce site et les documents qu'il édite sont truffés de mauvaises adresses électroniques. J'avais envoyé tout un dossier indiquant les caractéristiques du bateau et la composition de l'équipage bien avant de partir, puis, pendant trois semaines, depuis la Thaïlande, j'envoyais quotidiennement ma position par téléphone satellite en demandant un accusé de réception. Je trouvais incroyable de n'avoir jamais de réponse, mais j'étais déjà en mer, sans autre moyen de communication que l'Iridium. Heureusement, j'avais fait des copies des différentes pages Internet, et en envoyant ma position à toutes ces adresses (toutes fausses sauf une), j'ai enfin été en contact avec LE service. A mon grand soulagement (je n'était qu'à quelques centaines de milles de Socotra).
L'adresse valide à ce jour est celle du "flyer", à savoir :
alindien-comfor-eau-marsec.contact.fct@intradef.gouv.fr
Oubliez toutes les autres, qu'elles proviennent de ALINDIEN MARSEC ou de France Diplomatie ou d'ailleurs. Quand je pense que j'ai failli ne jamais pouvoir joindre ce formidable service, et traverser tout le Golfe d'Aden, simplement parce que la personne en charge de la tenue du site ne vérifie pas la validité des adresses électroniques. Pour un service en charge de la sécurité de vie, c'est vraiment GROS !
Troisième conseil : ne partez pas sans un téléphone satellite et le crédit qui va avec, sans un transpondeur AIS, sans une balise de détresse COSPAS-SARSAT, sans un bon stock de vivres, et sans un bateau parfaitement préparé, car vous ne trouverez nulle part de quoi réparer avant Djibouti (et encore ...).
Pour ce qui est de la route à suivre, c'est simple :
  • aller le plus vite possible
  • ne pas se faire repérer (surtout la nuit --- feux éteints, AIS en "silence" et veille très attentive)
  • naviguer près (mais pas trop) de la route des cargos
  • ne s'approcher sous aucun prétexte des côtes (zone rouge sur la carte des risques --- ci-dessous)
  • passer à plus de 50 mn de Socotra
  • se tenir à égale distance de la Somalie et du Yémen
Le déroulement du voyage de Sabay Dii
Le voyage s'est passé sans le moindre problème, par un temps clément, aux allures portantes, avec une mer sage. Pas de mauvaise rencontre, évidemment, mais quelques contacts rassurants.
  • Premier exemple
Alors que nous étions de nuit au large de la Somalie, au niveau de Boosaaso, j'ai aperçu à plusieurs reprises des flashs lointains, un peu comme l'éclat d'un phare mais sans aucune régularité. Rien de visible aux jumelles. Deux heures après, j'entends un message en anglais à la VHF sur le canal 16 :
All ships in the vicinity (à tous les bateaux de la zone) ... Ici un bateau de guerre du Japon, prière de vous identifier.
Je fonce au combiné et décline mon identité : Sailing boat Sabay Dii, etc.
L'officier me rappelle le règlement international pour prévenir les abordages en mer qui oblige un bateau à naviguer avec ses feux de route entre le coucher et le lever du soleil. Je lui réponds que pour des raisons de sécurité, je préfère naviguer de manière furtive dans cette zone de piraterie. On me répond que je n'ai aucun soucis à me faire car la zone est calme. Je rallume aussi sec feu de route et émetteur AIS. Salutations cordiales. J'allume le radar et découvre cet énorme bateau à 8 milles nautiques, qui navigue, évidemment, sans lumière ni AIS. Dix ou quinze minutes plus tard une vedette envoyée par le bateau de guerre viendra s'assurer que nous sommes bien le bateau français et que tout va bien.
  • Deuxième exemple
36 heures plus tard, dans l'après-midi, nous entendons le bruit lointain d'un avion à hélice. Il change de direction pour passer juste au-dessus de nous avant de reprendre sa route. Au passage, il appelle par radio pour nous demander si tout va bien. Il nous souhaite bonne route en nous rappelant que, en cas de besoin, nous n'hésitions pas à le contacter sur le 16. C'est l'US Navy qui veille sur nous à présent.
  • Troisième exemple
Depuis le jour du premier contact avec l'officier de quart de la cellule de ALINDIEN MARSEC, j'enverrai quotidiennement position, cap et vitesse de Sabay Dii. Et tous les jours, je recevrai un petit mot sympa pour nous donner une information utile (attaque de trois caboteurs locaux sur la côte somalienne), ou tout simplement pour nous souhaiter bonne routebonne nuit, et nous donner rendez-vous au lendemain. Cette correspondance tissera des liens cordiaux entre notre micro équipage d'un côté, et Sébastien et ses collègues de l'autre.
Exemple de message : Bonjour Didier, bien pris (nos coordonnées), Tout le monde suit votre parcours au briefing du soir. Bon courage.
Naviguer dans de telles conditions, même dans un endroit sensible, confère quiétude, sérénité et bonne humeur.
Un grand merci à l'équipe de la cellule de ALINDIEN MARSEC qui depuis l'Ambassade de France au Royaume de Bahreïn, veille avec assiduité, compétence et humanité sur les navigateurs de la zone Océan Indien, Mer Rouge.

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