En venant de Port phaéton, j’ai
refait avec Sabay Dii une partie du chemin déjà parcouru à pied et par la
route, deux jours auparavant. La petite brise soufflait gentiment, me
permettant d’avancer tranquillement dans un lagon très calme. Arrivé à Teahupo,
toujours pas la fameuse vague de surf ; normal. Ensuite, j’ai dû rejoindre
l’océan, car des hauts fonds de récif empêchent de longer la côte en continu.
Donc sortie par la passe Havae, et une demi-heure plus tard entrée par la passe
Vaiau. Mon objectif était de m’arrêter du côté de la pointe Maraetina (où il
existe un mouillage recommandé par le seul guide de navigation de Polynésie) pour
aller visiter, le lendemain, la grotte
de Vaipoiri, toute proche. Mais l’exploration de la zone m’a vite révélé
que ce n’était pas du tout un bon endroit pour passer la nuit (fort courant,
vent accéléré par la pointe et surtout plus de 25 m de fond, ce qui est
beaucoup trop). J’ai donc remonté le lagon en sens inverse et ai trouvé vers 15
h, un excellent mouillage, au lieu-dit Beaumanoir. Personne ne connaît
l’origine de ce nom qui ne sonne pas franchement polynésien et qui paraît bien
étrange vu qu’il n’y a ici qu’une poignée de modestes fare.
Le mouillage de Beaumanoir a tous
les avantages : bien abrité du vent, pas de courant, 10 mètres de
profondeur et un fonds sableux de très bonne tenue. L’accès à la terre toute
proche (75 m) est facilité par le ponton d’un ancien hôtel dont les bungalows
sont aujourd’hui désaffectés. Et pour ne rien gâter, le paysage est magnifique,
et à terre, il y a quelques arbres chargés de fruits savoureux.
Le lendemain de mon arrivée, j’ai
assisté à un spectacle assez déconcertant dont j'avais pris connaissance en
lisant « Taipi », le roman autobiographique de Melville à Nuku Hiva et
dans le remarquable compte-rendu du pasteur Crook qui chronique ses deux années
passées sur l’île de Tahuata. Ces deux ouvrages passionnants se rapportent aux
habitants (guerriers cannibales) des Marquises, à l'époque de la découverte des
îles par les européens. Ça ne date donc pas d'aujourd'hui, mais apparemment, la
tradition se maintient toujours vivace, à mon grand étonnement. Alors que je
commençais avec application ma sieste postpondiale, j'ai été réveillé par des
vociférations, sur la rive voisine, à 100 m seulement du bateau. Face à face,
deux groupes s'insultaient en tahitien, mais il n'était point besoin d'être
polyglotte pour savoir qu'il s'agissait de noms d'oiseaux. A une portée d'un lancer
de pierre, le débat a commencé, les protagonistes restant à distance
respectable. Recevant le renfort ou constatant la défection de quelques sujets,
les deux groupes se sont copieusement hués mutuellement pendant plusieurs
heures. Vers trois heures de l'après-midi, j'ai pensé qu'enfin mes oreilles
allaient changer de répertoire car leurs cris ont commencé à être couverts par
le ramdam d'une grosse averse qui m'a obligé à rentrer en trombe pour mettre au
sec mes vêtements étendus. J'ai pensé qu'ils feraient de même et iraient se
mettre à l'abri. Eh bien non! Ils ont continué de plus belle sous les trombes
d'eau et ce n’est que à la nuit tombante qu’ils ont cessé leur vacarme.
Melville et Crook racontaient que ce genre de manifestation relativement rare
était l'équivalent à la fois d'une déclaration de guerre et d'une négociation,
et que cela permettait une fois sur deux, à peu près, d'éviter un massacre.
Soit l'un des deux groupes se dégonfle, et du coup on sait qui avait raison
(les plus braillards évidemment), soit personne ne veut se rendre et le
lendemain on revient au même endroit avec les sagaies et les casse-têtes pour
connaître les vainqueurs de la joute orale de la veille. Ensuite, mais aux
Marquises seulement, et il y a un siècle ou deux, les gagnants emportaient les
dépouilles de ceux qui avaient perdu la bataille et la vie, pour aller les
faire mijoter et les manger avec une bonne purée de fruits à pain. Je suis donc
resté attentif à la situation pour voir à quel point la tradition se perpétue
encore de nos jours. Mais le lendemain matin, je n’ai vu arriver aucun guerrier
en tenue d'apparat ; l’incident semblait clos.
J’avais hâte d’aller découvrir la
grotte de Vaipoiri, réputée très difficile d’accès, et nécessitant un guide,
comme c’est le cas pour tous les sites d’intérêt du Fenua Aihere (la brousse de
la presqu’île). Comme très souvent en Polynésie, à cette grotte qui cache un
petit lac souterrain est associée une légende : Vaï, fils de roi, aurait
tué les deux monstres qui gardaient la grotte pour y cacher sa petite amie, la
belle Vero, en attendant que son père accepte leur union.
Comme il n’y avait ni vent ni
courant, j’ai décidé de partir en annexe à la rame pour rejoindre l’embouchure
de la rivière qui conduit à la fameuse grotte. La bagatelle de 5 à 6 km, mais
cela ne me fait pas peur car je me régale de ramer pour profiter, dans le
silence et le calme, du paysage qui défile lentement.
Au deux tiers du parcours, une terrible
averse me contraint à faire une pause en m’amarrant à un petit ponton.
Le vent
et le courant s’étant mis de la partie (contre moi bien sûr), je décide de
continuer à pied en longeant la côté. Et comme je vous l’ai déjà dit, ce n’est
pas facile, coincé qu’on est entre le corail qui vous taillade lorsque vous
avancez trop dans l’eau et les chiens qui vous coursent quand vous êtes à
terre. Des chiens, parlons-en. Cela faisait dix minutes que j’avançais tant
bien que mal quand trois pitbulls foncent furieusement sur moi. Tout en leur
faisant face, je recule ans l’eau avec un gros bâtons à la main. Mais les
molosses continuent d’avancer à la nage pendant que moi, je me trouve avec de
l’eau jusqu’à la poitrine. C’est alors qu’accourt Matei, hurlant contre ses
chiens qui rebroussent chemin, la queue basse.
- A la grotte
- Avec ce temps de chien ?
Je lui explique que je suis venu
en annexe, qu’il s’est mis à pleuvoir, etc. et aussi sec, il me dit :
- Attends-moi deux minutes, je vais préparer mon
poti marara (bateau à moteur très particulier utilisé par les pêcheurs
tahitiens) et je t’y amène, car c’est pas facile à trouver.
Et en un clin d’œil, nous voilà à
partis à fond de train (si l’on peut dire pour un bateau).
Effectivement, cette grotte était
absolument impossible à trouver sans guide. D’abord il fallait arriver à
l’embouchure de la rivière, ce qui aurait pu être fait en annexe, mais un jour
sans vent ni courant. Ensuite il fallait remonter sur quelques centaines de
mètres ce petit cours d’eau qui avec l’orage s’était transformé en un torrent
impétueux, et là il fallait un moteur puissant, et connaître par cœur le cours
d’eau pour ne pas abîmer l’hélice. Ensuite il fallait savoir où débarquer, et
de quel côté partir.
En temps normal, on voit les traces, mais avec ce temps de chien, va falloir que je cherche.Et nous sommes partis dans la brousse, avec de l’eau jusqu’aux mollets, sous un véritable déluge.
Lui marchait pieds nus et j’ai dû l’imiter car sinon, j’en aurais perdu mes tongues.
Après dix minutes a enjamber les racines énormes des mape (châtaignier tahitien), c’est la partie grimpette, en se retenant aux racines pour ne pas glisser tout en bas. Et au bout d’une demi-heure, nous voici arrivés.
La grotte est là, à nos pieds,
bouche béante. Nous descendons prudemment et allumons nos lampes. L’eau du lac,
en réfléchissant la lumière, éclaire en grand la voûte (et quelques tags tout
au fond). Mais le temps est diluvien. Quelques essais infructueux de photo,
avec un objectif trempé, et il faut déjà repenser au retour, car la rivière
risque d’enfler démesurément avec ce déluge.
Matei me ramènera jusqu’à
l’annexe, en me promettant d’apporter au bateau quelques poissons qu’il compte
attraper cette nuit.
Je reprends mes rames et le ciel
s’éclaircit en quelques minutes. Les nuages se volatilisent par magie pour
faire place à un magnifique arc-en-ciel, dans mon dos, du côté de la grotte.
Encore un coup de Vaï.
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