Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

lundi 9 décembre 2013

La grotte de Vaipoiri

En venant de Port phaéton, j’ai refait avec Sabay Dii une partie du chemin déjà parcouru à pied et par la route, deux jours auparavant. La petite brise soufflait gentiment, me permettant d’avancer tranquillement dans un lagon très calme. Arrivé à Teahupo, toujours pas la fameuse vague de surf ; normal. Ensuite, j’ai dû rejoindre l’océan, car des hauts fonds de récif empêchent de longer la côte en continu. Donc sortie par la passe Havae, et une demi-heure plus tard entrée par la passe Vaiau. Mon objectif était de m’arrêter du côté de la pointe Maraetina (où il existe un mouillage recommandé par le seul guide de navigation de Polynésie) pour aller visiter, le lendemain, la grotte  de Vaipoiri, toute proche. Mais l’exploration de la zone m’a vite révélé que ce n’était pas du tout un bon endroit pour passer la nuit (fort courant, vent accéléré par la pointe et surtout plus de 25 m de fond, ce qui est beaucoup trop). J’ai donc remonté le lagon en sens inverse et ai trouvé vers 15 h, un excellent mouillage, au lieu-dit Beaumanoir. Personne ne connaît l’origine de ce nom qui ne sonne pas franchement polynésien et qui paraît bien étrange vu qu’il n’y a ici qu’une poignée de modestes fare.
Le mouillage de Beaumanoir a tous les avantages : bien abrité du vent, pas de courant, 10 mètres de profondeur et un fonds sableux de très bonne tenue. L’accès à la terre toute proche (75 m) est facilité par le ponton d’un ancien hôtel dont les bungalows sont aujourd’hui désaffectés. Et pour ne rien gâter, le paysage est magnifique, et à terre, il y a quelques arbres chargés de fruits savoureux.
Le lendemain de mon arrivée, j’ai assisté à un spectacle assez déconcertant dont j'avais pris connaissance en lisant « Taipi », le roman autobiographique de Melville à Nuku Hiva et dans le remarquable compte-rendu du pasteur Crook qui chronique ses deux années passées sur l’île de Tahuata. Ces deux ouvrages passionnants se rapportent aux habitants (guerriers cannibales) des Marquises, à l'époque de la découverte des îles par les européens. Ça ne date donc pas d'aujourd'hui, mais apparemment, la tradition se maintient toujours vivace, à mon grand étonnement. Alors que je commençais avec application ma sieste postpondiale, j'ai été réveillé par des vociférations, sur la rive voisine, à 100 m seulement du bateau. Face à face, deux groupes s'insultaient en tahitien, mais il n'était point besoin d'être polyglotte pour savoir qu'il s'agissait de noms d'oiseaux. A une portée d'un lancer de pierre, le débat a commencé, les protagonistes restant à distance respectable. Recevant le renfort ou constatant la défection de quelques sujets, les deux groupes se sont copieusement hués mutuellement pendant plusieurs heures. Vers trois heures de l'après-midi, j'ai pensé qu'enfin mes oreilles allaient changer de répertoire car leurs cris ont commencé à être couverts par le ramdam d'une grosse averse qui m'a obligé à rentrer en trombe pour mettre au sec mes vêtements étendus. J'ai pensé qu'ils feraient de même et iraient se mettre à l'abri. Eh bien non! Ils ont continué de plus belle sous les trombes d'eau et ce n’est que à la nuit tombante qu’ils ont cessé leur vacarme. Melville et Crook racontaient que ce genre de manifestation relativement rare était l'équivalent à la fois d'une déclaration de guerre et d'une négociation, et que cela permettait une fois sur deux, à peu près, d'éviter un massacre. Soit l'un des deux groupes se dégonfle, et du coup on sait qui avait raison (les plus braillards évidemment), soit personne ne veut se rendre et le lendemain on revient au même endroit avec les sagaies et les casse-têtes pour connaître les vainqueurs de la joute orale de la veille. Ensuite, mais aux Marquises seulement, et il y a un siècle ou deux, les gagnants emportaient les dépouilles de ceux qui avaient perdu la bataille et la vie, pour aller les faire mijoter et les manger avec une bonne purée de fruits à pain. Je suis donc resté attentif à la situation pour voir à quel point la tradition se perpétue encore de nos jours. Mais le lendemain matin, je n’ai vu arriver aucun guerrier en tenue d'apparat ; l’incident semblait clos.
J’avais hâte d’aller découvrir la grotte de Vaipoiri, réputée très difficile d’accès, et nécessitant un guide, comme c’est le cas pour tous les sites d’intérêt du Fenua Aihere (la brousse de la presqu’île). Comme très souvent en Polynésie, à cette grotte qui cache un petit lac souterrain est associée une légende : Vaï, fils de roi, aurait tué les deux monstres qui gardaient la grotte pour y cacher sa petite amie, la belle Vero, en attendant que son père accepte leur union.
Comme il n’y avait ni vent ni courant, j’ai décidé de partir en annexe à la rame pour rejoindre l’embouchure de la rivière qui conduit à la fameuse grotte. La bagatelle de 5 à 6 km, mais cela ne me fait pas peur car je me régale de ramer pour profiter, dans le silence et le calme, du paysage qui défile lentement.
Au deux tiers du parcours, une terrible averse me contraint à faire une pause en m’amarrant à un petit ponton.
Le vent et le courant s’étant mis de la partie (contre moi bien sûr), je décide de continuer à pied en longeant la côté. Et comme je vous l’ai déjà dit, ce n’est pas facile, coincé qu’on est entre le corail qui vous taillade lorsque vous avancez trop dans l’eau et les chiens qui vous coursent quand vous êtes à terre. Des chiens, parlons-en. Cela faisait dix minutes que j’avançais tant bien que mal quand trois pitbulls foncent furieusement sur moi. Tout en leur faisant face, je recule ans l’eau avec un gros bâtons à la main. Mais les molosses continuent d’avancer à la nage pendant que moi, je me trouve avec de l’eau jusqu’à la poitrine. C’est alors qu’accourt Matei, hurlant contre ses chiens qui rebroussent chemin, la queue basse.
-     Où vas-tu ainsi ? (car en Polynésie tout le monde tutoie tout le monde)
-     A la grotte
-       Avec ce temps de chien ?

Je lui explique que je suis venu en annexe, qu’il s’est mis à pleuvoir, etc. et aussi sec, il me dit :
             -     Attends-moi deux minutes, je vais préparer mon poti marara (bateau à moteur très particulier utilisé par les pêcheurs tahitiens) et je t’y amène, car c’est pas facile à trouver.
Et en un clin d’œil, nous voilà à partis à fond de train (si l’on peut dire pour un bateau).
Effectivement, cette grotte était absolument impossible à trouver sans guide. D’abord il fallait arriver à l’embouchure de la rivière, ce qui aurait pu être fait en annexe, mais un jour sans vent ni courant. Ensuite il fallait remonter sur quelques centaines de mètres ce petit cours d’eau qui avec l’orage s’était transformé en un torrent impétueux, et là il fallait un moteur puissant, et connaître par cœur le cours d’eau pour ne pas abîmer l’hélice. Ensuite il fallait savoir où débarquer, et de quel côté partir.
En temps normal, on voit les traces, mais avec ce temps de chien, va falloir que je cherche.
Et nous sommes partis dans la brousse, avec de l’eau jusqu’aux mollets, sous un véritable déluge.
Lui marchait pieds nus et j’ai dû l’imiter car sinon, j’en aurais perdu mes tongues.
Après dix minutes a enjamber les racines énormes des mape (châtaignier tahitien), c’est la partie grimpette, en se retenant aux racines pour ne pas glisser tout en bas. Et au bout d’une demi-heure, nous voici arrivés.

La grotte est là, à nos pieds, bouche béante. Nous descendons prudemment et allumons nos lampes. L’eau du lac, en réfléchissant la lumière, éclaire en grand la voûte (et quelques tags tout au fond). Mais le temps est diluvien. Quelques essais infructueux de photo, avec un objectif trempé, et il faut déjà repenser au retour, car la rivière risque d’enfler démesurément avec ce déluge.

Matei me ramènera jusqu’à l’annexe, en me promettant d’apporter au bateau quelques poissons qu’il compte attraper cette nuit.

Je reprends mes rames et le ciel s’éclaircit en quelques minutes. Les nuages se volatilisent par magie pour faire place à un magnifique arc-en-ciel, dans mon dos, du côté de la grotte.
Encore un coup de Vaï.

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