Pour mon exercice de style qui s'adresse à une assemblée nombreuse constituée des participants anglophones ou francophones au rallye mais aussi et surtout d'une partie des organisateurs de la manifestation, des élus locaux, et d'une partie des habitants du cru, j'ai décidé de parler en français (tous les autres discours avaient été faits en anglais, bien qu'un cinquième des équipages du rallye soit français), en m'adjoignant deux interprètes de luxe : Igo pour parler en indonésiens, évidemment, et un autre interprète de choix puisqu'il est parfaitement bilingue français-anglais.
Mon message est le suivant : au nom de tous les participants, je vous remercie très chaleureusement pour votre accueil exceptionnel qui nous aura fait aimer votre magnifique pays et ses formidables habitants. Mais en tant que français (qui ont la réputation internationale de parler "franchement") et en tant qu'homme de mer ayant traversé pas mal de mers et d'océans, je me sens obligé de devoir vous parler en ami de quelque chose qui me tracasse depuis un petit bout de temps. Que vais-je devoir répondre à mes amis, à mes enfants, lorsqu'à mon retour ils vont me poser la question : "alors l'Indonésie, c'est comment ?". Bien sûr, je leur dirai ce que je viens de vous dire, à vous sur la beauté des paysages et vos qualités humaines, mais dois-je souffler mot d'un problème qui nous a tous choqués, nous autres navigateurs au long cours, celui de l'état catastrophique des eaux indonésiennes qui sont devenues en un quart de siècle une véritable poubelle à ciel ouvert. Les objets flottants non-identifiés défilent à longueur de journée le long de l'étrave de nos voiliers. Cela fait des semaines que nous n'avons plus revu tous ces oiseaux marins qui nous accompagnaient depuis des années, et depuis que nous sommes arrivés en Indonésie, nous avons renoncé à pêcher à la traîne car les innombrables sacs en plastique s'accrochent par grappe à nos leurres. Se baigner près des villages est devenu mission impossible tant les déchets flottent dans une odeur pestilentielle. Bref, vous avez l'un des plus beaux mais aussi, malheureusement, l'un des plus sales pays de la planète.
Eh oui ! Vous avez profité des progrès exraordinaires de votre économie, mais vous avez par là-même sacrifié la terre et la mer que vos ailleux avaient choyées pendant des générations. Vous aviez reçu en héritage de beaux villages, des terres riches, des fôrêts exubérantes de vie, et une mer poissonneuse. Tout était propre car les femmes et les hommes de cette époque pas si lointaine ne faisaient que consommer peu, et tous leurs déchets étaient biodégradables. La Nature se chargeait alors de faire le ménage. Aujourd'hui, avec la société d'hyper-consommation, vous jetez autour de vos maisons, de vos villages, dans vos rivières une quantité invraisemblable d'objets en matières plastiques, en caoutchouc, en verre ou en métaux inoxydables, dont une grande partie se retrouve au bout du compte dans la mer. Dame Nature n'est malheureusement plus capable de suivre le rythme effréné de votre consommation et ne sait pas quoi faire de ces nouveaux déchets. C'est à vous de vous en occuper sous peine de laisser à vos enfants un univers dégradé, agonisant, insalubre et crasseux. Amis indonésiens, réagissez vite, avant qu'il ne soit trop tard, avant que le désastre soit irréversible.
Les solutions existent, elles ont été mises en oeuvre sur certaines de vos îles, comme Bali, où la pression touristique a obligé les autorités locales à se mettre au standard de propreté international. D'autres îles bien plus petites sont aussi très propres, et la plupart du temps c'est sous l'impulsion de seulement une ou deux personnes (un instituteus, un pasteur, un jeune parti faire ses études à l'étranger, ...). Mais c'est une goutte d'eau dans l'océan car partout ailleurs vous déversez en continu vos déchets qui continueront à dériver pendant des siècles. Le problème étant global, vous devez tous vous y mettre, pour vos enfants et pour les générations futures. Dans les écoles, les enseignants doivent sensibiliser les élèves aux problèmes des déchets dans le cadre d'une véritable éducation à l'environnement. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut aussi évoquer ce problème majeur au niveau des villages et des villes pour qu'on prenne des initiatives locales, mais aussi à la maison, et qu'on réfléchisse en famille à ce qu'on attend de l"avenir pour les enfants. Enfin, dans un pays si pieux, imams, pasteurs, moines ont aussi un rôle à jouer, on évoquant ce que les Hommes ont fait de l'une des plus extraordinaires créations divines, la Nature et en particulier la Mer.
Après cette plaidoirie illustrée de quelques exemples personnels humoristiques (par exemple ma canne à pêche avec au bout du fil ma récolte de 10 minutes de pêche), et pour ne pas laisser l'auditoire sur une note finale catastrophique, j'ai dit avoir bon espoir car d'une part j'avais pu constater tout au long du rallye combien les indonésiens étaient capables de s'investir pour la réussite d'un projet et que d'autre part j'avais pu rencontrer au cours de ma visite de la foire d'expositions des scientifiques et des militants ayant une conscience aiguë du problème et des solutions pour renverser la tendance. J'avais donc bon espoir pour l'avenir et pourrai dire en rentrant chez moi, à ma famille et à mes amis, que l'Indonésie est le plus beaux pays du monde.
Ayant fini mon laïus sous des applaudissements nourris, un homme se leva, qui avec deux autres collègues assis au premier rang, n'avait cessé d'opiner du chef pendant mon allocution. Sans attendre l'autorisation de personne, il me demanda le micro et dans le français le plus pur, me remercia chaleureusement en disant au public combien il était content d'entendre un discours sincère, sur un sujet capital, auquel le gouvernement avait décidé de s"attaquer. Mes deux interprètes un peu inquiets des réactions du public à mon discours se libéraient à l'évidence. C'était le monde à l'envers : un haut fonctionnaire indonésien s'adressant aux siens en français avec traduction en indonésien et en anglais.
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