Le Fenua (traduisez : l’ensemble
des îles de la Polynésie) ne représente qu’une toute petite surface émergée disséminée
dans l’immensité du Pacifique Sud. Malgré la variété des biotopes (montagnes
des îles hautes, plateaux boisés, marécages, rivières, zones littorales, lagons,
atolls, etc.), cet isolement au milieu de l’océan fait de ce territoire une
zone très peu propice à la variété de la faune en général et de la faune
aviaire en particulier. Rien à voir avec les pays continentaux comme le
Costa-Rica, l’Equateur et surtout le Mexique, véritable paradis ornithologique
qui peut s’enorgueillir d’avoir près de 1000 espèces différentes d’oiseaux (55
espèces de colibris par exemple).
Et ce n’est pas tout. En effet,
le Fenua voit ses espèces endémiques s’éteindre inexorablement, victimes de la
colonisation d’espaces vierges, mais surtout victimes du rat noir et de
quelques oiseaux prédateurs introduits malencontreusement sur le territoire et
qui en deux siècles ont décimé nombre d’espèces locales. La situation est
considérée par l’UINC (Union Internationale pour Conservation de la Nature
fondée en 1948 par les Nations Unies) comme très grave.
Très documenté et remarquablement
iconographié, l’excellent livre « les oiseaux du Fenua » fait le
point sur le sujet, en abordant la place de l’oiseau aussi bien dans la culture
polynésienne traditionnelle que dans la société actuelle, en dressant un
inventaire des espèces disparus mais aussi, heureusement, en offrant un
excellent guide d’observation des espèces toujours présentes.
Extrait …
On dispose de peu d’informations sur l’état de la composition de
l’avifaune des îles polynésiennes au moment des premiers peuplements humains
(200-300 av J.-C.). Seule la zooarchéologie
apporte quelques indices sur les espèces aviaires alors présentes. C’est
ainsi que l’étude des fossiles d’oiseaux recueillis sur des sites
archéologiques (Huahine, Marquises …) a révélé que plusieurs espèces aviaires
se sont éteintes après l’implantation des colonisateurs polynésiens. Certaines
de ces disparitions furent totales, d’autres localisées à un archipel voire à
quelques îles seulement. Les causes exactes de ces extinctions restent
difficiles à identifier. Il est toutefois vraisemblable que la chasse (à des
fins tant ornementales qu’alimentaires) a eu une responsabilité notable.
D’ailleurs, les analyses faites sur les « reliefs de repas » confirme
que les espèces de grande taille furent davantage touchées que les petites. De
plus, en introduisant des plantes et surtout des animaux au sein des fragiles
écosystèmes que sont les milieux insulaires, les colons contribuèrent par ce
biais aussi, à cet appauvrissement. Ainsi, les oiseaux peu enclins au vol ou
qui se reproduisent au sol (…) subirent
plus de dommages que les autres principalement à cause de l’arrivée
concomitante de plusieurs prédateurs comme le rat (Rattus exulans), le porc et le chien qui accompagnaient
alors de façon systématique les navigateurs maohi dans leurs périples exploratoires.
(…)
Grâce aux travaux des naturalistes embarqués pour les grandes
expéditions maritimes qui sillonnèrent le Pacifique au cours de la seconde
moitié du 18ème siècle, nous sommes mieux renseignés sur l’aspect de
l’avifaune régionale à l’arrivée des européennes (Wallis 1767, Bougainville
1768, Cook 1769-1779). Les collectes, notes et illustrations faites à cette
époque, témoignent d’une diversité aviaire alors bien plus importante
qu’aujourd’hui et ressemblant davantage à celle de Polynésie occidentale. Force
est de constater que cette seconde grande confrontation entre l’Homme et les
oiseaux polynésiens engendra, elle aussi, une vague massive de disparitions. Pour
les espèces dont la pérennité était déjà menacée (comme celle des perruches aux
plumes rouges par exemple), l’arrivée des popaa - et avec eux celle d’une cohorte de nuisances nouvelles – ne fit
qu’accélérer leur extinction. Les oiseaux qui, en raison de leur caractère
sacré ou de leur faible intérêt usuel, avaient conservé des populations
dynamiques, furent durement touchés par l’arrivée de prédateurs (rats noirs,
chats, oiseaux belliqueux) contre lesquels ils n’étaient pas préparés (attitude
peu farouche, mode de nidification exposé, plumage peu cryptique …).
Parallèlement, ils subirent l’altération constante de leur environnement
naturel due à la déforestation ou à l’introduction d’animaux herbivores et de
plantes exogènes nuisibles. ? Fragiles en raison de la petitesse de leurs
populations, la plupart des espèces endémiques terrestres connurent en moins de
deux siècles un effondrement dramatique de leurs effectifs. Plusieurs
disparurent là encore totalement, d’autres ne survécurent que grâce à l’isolement
de quelques îles ou vallées refuges. Toutes ces nuisances perdurent de nos jours,
accentuées même par la modernité et ses pendants. Aussi est-il vraisemblable que
certains oiseaux parmi les plus menacés (Monarque de Tahiti, …) viennent
allonger, dans un proche avenir, la liste de ceux disparus après l’arrivée des
européens.
Pour l’ensemble de la Polynésie
Française, on recense aujourd’hui seulement 50 espèces d’oiseaux
terrestres (dont 12 d’oiseaux introduits) et 28 espèces d’oiseaux marins. C’est
très très peu. Pas étonnant qu’au cours de mes huit mois de pérégrinations à
travers une grande partie du Fenua (Marquises, Iles du Vent, Iles sous le Vent
et Tuamotu), j’ai constamment été étonné de la très faible présence d’oiseaux,
qu’ils soient marins ou terrestres. Rareté aussi bien au niveau des effectifs
qu’à celui des espèces.
Pour ce qui est des oiseaux de
mer, je suis sûr d’avoir vu seulement :
- quelques frégates,
- des noddis bruns, et en grande quantité à Rangiroa
oisillon noddi trop petit pour pouvoir voler |
et sa mère qui à force deme voir tout les jours rendre visite à son poussin a fini par me laisser tranquille alors qu'au début , elle n'hésitait pas à m'attaquer en piqué |
- A Taravao, il existe aussi une colonie de noddis noirs, la seule de Tahiti ... Ces oiseaux ont délaissé le rivage pour nicher en plein milieu du village, sur les arbres qui surplombent la route la plus fréquentée. Surprenant !
- des sternes (huppées, fuligineuses et/ou à dos gris - difficile de faire la différence en vol),
· ainsi que quelques pétrels, mais vus de trop loin pour être photographiés.
Quant aux espèces terrestres, j'ai malheureusement vu surtout des oiseaux allochtones, à considérer comme des
pestes animales, car menaçant les espèces endémiques :
·
des pigeons à Papeete
·
et un tangara à dos rouge que je n’ai pas eu le
temps de prendre en photo
Photo "les oiseaux du Fenua" |
- De hérons striés
- un carpophage des Marquises (en danger, sur la liste rouge de l’UICN)
- un ptilope des Tuamotu
Ptilope des Tuamotu, chez Hotu à Manihi |
- de nombreuses aigrettes sacrées (dont le plumage peut être blanc, gris ou tacheté et le bec noir ou jaune) un peu partout en Fenua, mais surtout dans les Tuamotu.
aigrette sacrée en compagnie d'un chevalier errant |
- Chevaliers errants
- et enfin, je viens de découvert à Tahiti un endroit où il y a beaucoup de paille-en-queue (phaetons), mais, hélas, je n'avais pas mon matériel photographique. Ce sera pour une autre fois
Photo "les oiseaux du Fenua" |
"Si quelques bribes de coutumes
séculaires en relation avec l’avifaune subsistent, ça et là, dans les archipels
(consommation d’oiseaux marins dans les Tuamotu, utilisation de plumes de
pétrels comme leurres de pêche dans les îles hautes …), force est de constater
que ces pratiques sont en voie de disparition. Cette tendance est certes
bénéfique pour la faune aviaire régionale, mais elle témoigne aussi de la
coupure progressive qui s’instaure entre l’homme et son environnement. Il est
frappant de voir, en effet, que les polynésiens d’aujourd’hui ne prêtent plus
guère attention à leurs oiseaux. Pourquoi ce désintérêt ?
Les raisons essentielles sont à
rechercher dans les mutations des idéologies et des structures sociales qui ont
eu lieu au cours des deux derniers siècles. Le christianisme, l’influence de la
pensée occidentale, l’intromission d’une économie de marché, l’urbanisation,
ont bouleversé les croyances et les modes de vie traditionnels, changé les
mentalités, déplacé les aspirations …
Dans cette nouvelle société,
l’oiseau a perdu de sa superbe. Vidé de son essence divine et de toute fonction
pratique, il n’a pas conservé le rôle important qu’il jouait autrefois. Dès
lors, il ne suscite plus d’intérêt, ni même l’attention. En ce coupant ainsi,
peu à peu, de son environnement, la société polynésienne a fini par oublier une
grande partie de son patrimoine naturel. Ceci est particulièrement vrai pour
les oiseaux terrestres endémiques, devenus fort discrets. Si certains – parmi
les plus abondants – restent encore connus (comme les ptilopes), un grand
nombre a déjà sombré dans l’oubli. Ainsi, lors de la mise en œuvre des
premières opérations de sauvegarde, on constata avec regrets que le Monarque de
Tahiti (‘omamao) était inconnu des résidents même des quelques vallées de Paea
où il subsiste encore. Entre autres exemples, on peut également citer la
Gallicolombe des Marquises (kataupepe) qui vit maintenant recluse sur quelques
îlots de l’archipel et dont les habitants ont oublié jusqu’au nom. Par chance,
les auteurs ont pu recueillir celui-ci auprès d’un vieil homme habitant une
vallée isolée de Hiva Oa, et ce avant que cette appellation ne disparaisse avec
lui … En raison de l’aide qu’ils continuent d’apporter aux pêcheurs dans la
localisation des bancs de poissons, les oiseaux de mer restent dans l’ensemble
mieux connus. N’ayant plus aucune fonction dans la société moderne, les oiseaux
terrestres ne bénéficient plus, pour leur part, de cet intérêt. À terme, cette
attitude a des effets néfastes car elle conduit à la disparition virtuelle de
certaines espèces dans les consciences collectives. Comment peut-on, en effet,
s’intéresser à des espèces, dès lors que l’on ne soupçonne même plus leur
existence ?
Un autre élément d’inquiétude
concerne l’assimilation des oiseaux introduits et ses conséquences
malheureuses. Parmi les centaines d’espèces qui furent importées en Polynésie
française au cours du 19ème et du 20ème siècle, bien peu
ont réussi à s’adapter aux milieux insulaires tropicaux. Toutefois, celle qui y
sont parvenues l’ont fait au-delà de toute espérance … Agressives pour
certaines, toutes prolifiques, ces espèces allochtones ont évincé la plupart
des espèces natives. Elles ont si bien implantées par endroits, qu’elles
semblent avoir toujours fait partie de l’environnement … Du moins peut-on le
croire aisément puisque plusieurs d’entre elles ont même un nom polynésien.
C’est le cas, par exemple, de nombreux petits oiseaux de jardins indifféremment
appelés vini (terme impropre et
réducteur s’il en est puisqu’il désignait autrefois les petites perruches
colorées), des busards ou encore des martins tristes. Or cette intégration des
oiseux allochtones s’avère être préjudiciable à plus d’un titre. Tout d’abord,
elle ne permet plus de distinguer les oiseaux indigènes des oiseaux introduits
qui, peu à peu, les ont remplacés dans la conscience collective : aux yeux
d’une grande majorité des polynésiens, l’avifaune terrestre semble maintenant
réduite à celle que l’on côtoie aisément le long des routes, dans les jardins,
mes milieux urbains et péri-urbains. Par ailleurs, et parce qu’ils sont
toujours abondants sur ces zones anthropiques, les oiseaux donnent la fausse
image de l’état de santé du patrimoine aviaire. Coment donc sensibiliser les
populations à la protection de l’avifaune endémique si elles ne la distinguent
plus ? Comment convaincre les insulaires que leiurs oiseaux sont menacés
si les jardins résonnent toujours de mille chants … Combien savent que ces
oiseaux qu’ils croient « leurs » sont en fait des nuisibles qui ont
profondément bouleversé l’équilibre de l’avifaune autochtone ? Les oiseaux
endémiques, pour leur part, ont fini par se réfugier dans quelques reliquats de
nature originelle où ils continuent à subir de constantes agressions
(modification du milieu naturel, réduction des aires habitables, irruptions de
prédateurs …). Oubliés, négligés, seront-ils irrémédiablement condamnés par la
modernité ?"
Depuis l'arrivée de l'Homme en Polynésie française, au moins 37 espèces d’oiseaux considérées
comme endémiques ont été anéanties. Il n'en reste plus que 38 !!!!
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