Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

dimanche 11 juillet 2021

Mucilage en Mer de Marmara

En remontant le Détroit des Dardanelles, j'ai eu la désagréable surprise d'y trouver ce qu'au départ (c'est-à-dire du côté Méditerranée), je considérais comme une émulsion due au fait que beaucoup de cargos passent par là en laissant échapper des produits gras, ce qui est toujours le cas avec des moteurs à explosion, que ce soit pour les bateaux, les avions ou les véhicules terrestres. Et, il suffit de peu de matière grasse pour monter une émulsion avec de l'eau salée (le principe de la mayonnaise).

Mais à mesure que j'avançais dans le détroit, et que le phénomène s'amplifiait, il a bien fallu que je me rende à l'évidence : ce n'était pas une émulsion mais plutôt une espèce de gel visqueux, gluant : de la "morve de mer.", un nom évocateur pour désigner le mucilage.



 

Bien que j'ai parcouru pas mal de mers et d'océans au cours des 50000 milles nautiques de Sabay Dii (l'équivalent de 2,5 fois le tour de la Terre !), je n'avais jamais vu cela. Des îles flottantes de détritus au sud de Haïti et de la République Dominicaine, oui ! Des objets en plastique à perte de vue sur des plages ou des récifs, comme sur les façades extérieures orientales des atolls des Tuamotu, oui ! Des plastiques flottant ou entre deux eaux, tous les mètres sur des centaines de milles nautiques, comme aux Moluques ou en Indonésie plus généralement, encore oui ! Mais du mucilage, jamais !

 

Et vous allez voir que ce n'était que la partie émergée de l'iceberg de la catastrophe écologique qui sévit en Mer de Marmara, et qui diffuse sournoisement à grande vitesse en Méditerranée, via les Dardanelles et vers la mer Noire, via le Bosphore. Pour vous donner une idée de la rapidité de la catastrophe en Mer de Marmara, regardez cette vidéo de 30 secondes qui résume 30 jours de prise de vue.

Et pour ce qu est de l'ampleur du désastre ...


Alors; c'est quoi le mucilage ?

Voilà ce qu'en dit Pascal Conan, chercheur en océanologie à Sorbonne Université, sur le site Natura Sciences.

Pascal Conan : Le mucilage marin est un phénomène qui existe naturellement depuis toujours. Il se produit lorsqu’on a une prolifération d’algues dans un bassin d’eau. Si les cellules vivantes qui composent le phytoplancton sont trop abondantes à un instant donné, elles peuvent être décomposées par les bactéries. C’est cette décomposition du matériel cellulaire par les bactéries marines qui produit en partie cette “morve de mer“. Habituellement, ce matériel n’est que faiblement décomposé par les bactéries en surface, et la plus grosse partie est utilisée par les réseaux trophiques [ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d’un écosystème, NDLR] et dispersé dans l’environnement. Mais, dans des zones d’eau côtières restreintes comme une baie ou une plage, ou dans des conditions hydrodynamiques particulières, il peut y avoir des phénomènes physiques de rétention et de concentration qui font que ce matériel reste confiné au même endroit et peut venir s’échouer.

Les premiers enregistrements de ce genre de phénomènes datent des années 1800. En revanche, ils arrivent de plus en plus fréquemment, et avec une intensité croissante. Pour un phénomène qui se produisait tous les 10 ans auparavant, c’est aujourd’hui tous les ans à différents endroits. Cette augmentation est typiquement liée au phénomène de réchauffement des masses d’eau auquel s’ajoute l’augmentation de rejets polluants.

Mais, que je vous rassure tout de suite; toute la Mer de Marmara n'est pas recouverte de mucilage, même si elle est toute contaminée. En effet, le mucilage, ça se voit en surface (heureusement, cela ne sent pas), mais ça existe à toutes les profondeurs, et j'en ai fait l'expérience de diverses manières :

  1. En navigation, dans une zones de la mer de Marmara où l'eau semblait tout à fait claire, voire cristalline, j'ai mis à l'eau une ligne de traîne à maquereaux (de type plongeant), et en moins de deux minutes tous les hameçons mais aussi l'émerillon et même une partie du fil étaient intégralement enveloppés de morve de mer, preuve que vers deux mètres de profondeur; le mucilage est présent.
  2. Autre expérience : au mouillage, dans une belle crique apparemment très propre où j'avais l'intention de me baigner, j'ai laissé couler une nasse à poissons (c'est un filet avec un maillage de 1cm par 1cm fixé sur une sorte de gros tube en fil d'acier dans lequel on met des appâts). Lorsque j'ai remonté la nasse, elle n'avait plus de mailles, entendez pas là que tous les espaces vides constitués par les mailles étaient bouchés par une fine pellicule gluante. L'ensemble ressemblait à un  énorme sac en plastique et il m'a fallu plus d'une heure pour arriver à lui redonner son apparence initiale, tellement la matière est visqueuse et adhérente.
  3. Par curiosité, je suis allé voir sous l'eau, à quoi ressemblait le fond marin, dans une petite baie rocailleuse. J'ai donc pris mon courage à deux mains, enfilé une combinaison de plongée et une cagoule et suis descendu en apnée voir le fond. Il est intégralement recouvert de plusieurs dizaines de centimètres d'un gel gluant s'agitant mollement au gré du courant, bien plus écœurant que ce que l'appellation "morve de mer" suggère !

A certains endroits, cette pollution est effrayante, mais, heureusement, à d'autres la mer est presque "baignable". Cela dépend beaucoup du vent et de la configuration du rivage, ce qui fait que par endroits, en quelques minutes, on peut passer du pire au meilleur et vice-versa. L'avantage du bateau, c'est la mobilité ; ne soyez donc pas surpris que je vous dise que je viens de passer plus d'un mois dans un endroit magnifique, avec des gens incroyablement accueillants, et que je suis persuadé d'avoir découvert ce qui doit être un petit paradis en temps normal. Paradis complètement négligé, car en presque 6 semaines, je n'ai pas vu la moindre voile à l'horizon (Istanbul excepté). Tant mieux !

Je vous prépare pour les jours prochains un florilège des endroits de Mer de Marmara que j'ai visités avec cartes, et surtout photos alternant paysages paradisiaques et zones polluées, bref, un compte-rendu fidèle de la croisière hors-norme que je viens de faire et que je ne regrette surtout pas d'avoir inscrite à mon programme de cette année. A la suite de quoi, ce sera une petite plongée dans Istanbul qui, bien que située en bordure de Mer de Marmara, est tellement exceptionnelle et déconnectée de la ruralité générale avoisinante, qu'elle mérite à elle seule un aparté.

En attendant, voici une vidéo et quelques images de ce que j'ai rencontré du côté d'Erdek, au début de mon périple dans le Sud de la Mer de Marmara. Vous comprendrez facilement que j'ai commencé à me poser de sérieuses questions sur l'intérêt d'aller plus loin. Mais les prochains articles vous prouveront que, bien que le mucilage soit partout, la situation est moins effrayante en général.

En cherchant bien, vous allez trouver Erdek, sur la trace rouge de Sabay Dii.

Voici d'abord la vidéo que j'ai faite, lors de l'approche d'Erdek, à trois milles environ de cette très jolie petite ville.


A 1 mille nautique d'Erdek. Ça promet !

La promenade littorale à l'Est d'Erdek.
Intrigués ? Sabay Dii est au fond à droite dans un coin légèrement plus propre.

A la grande plage d'Erdek, on vient prendre un bain ... de soleil.

Même pas un orteil dans cette soupe bien crémeuse ?

La plage

Je quitte Erdek pour rejoindre l'île de Pacha Limani. Mais où vais-je ?

De pire en pire !

Devant ...

... et derrière.

Sans commentaire !

Voilà Pacha Limani Adasi. Comment va être le mouillage que j'avais choisi sur la carte ? Suspens !

Rendez-vous prochainement pour découvrir l'île de Pacha Limani, ses oiseaux, ses fleurs, ses oliviers, et ses habitants très chaleureux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire