Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

vendredi 30 juillet 2021

Chronique d'un naufrage pas annoncé et évité de justesse

Je fais une petite parenthèse dans la narration de la croisière en Mer de Marmara pour vous raconter ce qui vient de m’arriver (dans la nuit du 26 au 27 juillet). Une actualité brûlante, mais qui fait froid dans le dos. En effet, je pense que c’est cette fois-ci que je suis passé le plus près de perdre mon mrveilleux (houps ! j’ai failli dire le mot) Sabay Dii, et peut-être, bien plus grave, la vie.

Chronique des évènements …

Depuis plusieurs jours soufflait un Meltem soutenu (entre 18 et 25 nœuds en journée, avec rafales imprévisibles à plus de 30 kt), ce qui est fréquent en cette fin du mois de juillet, sans faiblir la nuit, ce qui est plus rare. Donc vent très fort presque tout le temps avec, parfois, un petit répit dans la matinée. Cette situation m’a bloqué trois jours d’affilée dans le bateau du côté d’Ayvalik. Impossible de me baigner ou d’aller à terre en annexe tant l’eau très agitée circulait vite autour du bateau. J’ai profité d’une accalmie (avec quelques claques à 32 kt au départ quand même) pour naviguer au portant vers le Sud, sous gréement réduit (trinquette seule). J’avais repéré un mouillage sympa qui s’est avéré pas trop agité à Bademli (dont je vous reparlerai un jour prochain).

Le lendemain, nouveau saut de puce pour rejoindre Denizköy, que je connaissais déjà pour m’y être arrêté au début du mois de juin, en montant vers Istanbul, et que je considérais comme un bon mouillage (5 à 7 m d’eau sur un fond de sable d’excellente tenue), et ouvert vers le Sud-Ouest, ce qui est bien avec le vent dominant de Nord-Est qui règne ici en maître quasi absolu. Je suis arrivé à Denizköy le 25 juillet vers 16 heures avec un vent peu soutenu qui s’est complètement évanoui vers 18 heures.

Denizköy est un hameau mais sur cette commune s'est installé un village de vacances très populaire.

La nuit était annoncée calme par la météo, ce qui avait l’air de se confirmer. Je me suis donc couché vers 21 heures, serein, en pensant passer enfin une nuit tranquille, après deux semaines sous tension. Moins d’une heure plus tard, le bateau faisait des bonds dans tous les sens ; force 7 avec rafales à force 8.  Et ça a duré ainsi toute la nuit. Heureusement l’ancre croche parfaitement dans le sable dense de Denizköy et Sabay Dii n’a pas dérapé. Donc rien de grave, mais dans ces conditions, on reste en veille pour parer tout dérapage. Donc une nuit de plus à veiller. Lever de bonne heure pour essayer de trouver (avec peine) un peu d’approvisionnement frais dans ce hameau, repas sur le pouce et sieste.

Pendant cette nuit de quasi veille, j’ai eu tout le temps d’analyser la situation. Le phénomène qui s’était produit avait toutes les caractéristiques d’un vent catabatique.

Un quoi ?

Un vent catabatique (de καταβατικος qui signifie descente en grec). Ce type de vent se produit au voisinage d’une pente raide. On pourrait parler de vent gravitationnel dans la mesure où l‘on a une masse d’air froid qui tombe à cause de sa densité plus importante que celle de l’air chaud en bas de la pente (alors qu'en général, les vents n'ont rien à voir avec le phénomène de gravité mais plutôt avec des phénomènes de température et de pression, les deux étant liées).Le phénomène a pour caractéristique, outre sa localisation, sa soudaineté et sa violence. Les forces 7 à 8 ne sont pas exceptionnelles. Ce genre de vent se rencontre surtout dans des zones polaires, comme les Canaux de Patagonie ou le Groenland, mais on le rencontre aussi en Grèce et en Turquie, notamment par temps de Meltem fort, dans les zones de gradient d’altitude élevé. 

 

 

Or le petit village de Denizköy est situé au pied de l’Akgeyik Tepesi qui culmine à 745 m. Pour ne rien arranger, il est situé au SW de la montagne, ce qui signifie que le vent catabatique va être orienté NE. Il va donc renforcer le Meltem qui est ici du NE, et à la brise de terre (due au fait que l’eau de mer est plus chaude, la nuit, que la terre), elle aussi orientée NE. Ce sont donc trois vents se renforçant mutuellement qui arrivent de la montagne, quelques heures après le coucher du soleil, sur la plage de Denizköy. D’où sa soudaineté et sa violence. Les mêmes causes donnant les mêmes effets, je m’attendais à ce que le phénomène se reproduise à nouveau la nuit suivante. D’où l’idée de m’éloigner de Denizköy et d’aller jeter un coup d’œil à l’île de Kizkulesi, à quelques milles au large, qui présentait un mouillage apparemment sympathique.

 

 

Donc, après ma petite sieste, j’ai levé l’ancre pour Kizkulesi Adasi, en gardant en tête l’idée de ne pas m’y attarder si le mouillage ne me paraissait pas excellent, pour revenir planter mon soc dans le sable de Denizkôy en vue de passer une deuxième nuit probablement agitée et inconfortable, mais relativement sûre.

 

Kizkulesi Adasi se trouve à quelques milles seulement de Denizköy.

L'île Kizkulesi

Arrivé à Kizkulesi, j’ai immédiatement été conquis par le mouillage que j’avais repéré sur carte. D’abord par la beauté du site : une eau turquoise et cristalline dans laquelle se fut un régal de prendre un bain, avec un bel environnement terrestre, dont une tour carrée perchée au sommet d’un surplomb, que j’avais déjà imaginé aller voir le lendemain matin pour admirer cette belle crique éclairée pas le soleil levant.

Au loin Denizköy, mais "aux pieds" du bateau, c'est une eau de lagon du Pacifique.

La tour carrée que je veux aller voir de plus près.

Bien sûr, la qualité technique du mouillage était de la plus grande importance, et tout semblait se conjuguer en faveur de cet endroit. Un grand plateau sous 6 mètres d’eau, avec un fond de sable que je suis allé explorer en détail avec palmes et lunettes de plongée. Aucune roche traitresse dans les environs et mon ancre déjà enfouie qui avait l’air bien crochée. En outre le mouillage était ouvert au SW, ce qui laissait une porte de sortie en cas de nécessité.

Une belle crique à l'Ouest.

J'ai choisi de mouiller sous la bande de terre car il y a un banc de sable sous 6 mètres d'eau. Au Nord de cette bande de terre, il n'y a que 1 mètre d'eau (insuffisant pour les 2 m de tirant d'au de Sabay Dii).

Notez le banc de sable sur lequel je suis allé mouiller l'ancre.
Sabay Dii sur son banc de sable, avec une grande porte ouverte au SW, au cas où.

L'îlot à l'Ouest est acore. Une véritable falaise tombant à pic dans la mer.

Comme la nuit précédente, tout commença par un grand calme, mais échaudé par la mésaventure de la veille, j’ai pris soin de noter sur mon ordinateur et sur la tablette que j’avais pris la précaution de garder dans le lit, la position de l’ancre avec un cercle d’évitement de 30 mètres (pour une longueur de chaîne de 40 m). Puis, régulièrement, j’ai vérifié que Sabay dii ne sortait pas du disque ainsi délimité. Coucher à 21 heures et toutes les demi-heures environ, un coup d’œil à la tablette. Vers 22 heures, le vent s’est levé soudainement mais pas trop fort (15 à 20 kt). A mon relevé de 23 heures, Sabay Dii était à la limite du cercle ce qui était normal car la chaîne s’étire lorsque le vent forcit. Tout avait l’air de bien se passer et je me suis rendormi.

Mais vous savez bien que même en dormant, nos sens continuent à fonctionner, et que notre cerveau ne cesse de traiter leurs informations. Dans mon sommeil, j’ai bien perçu que le vent avait forci, mais j’ai aussi perçu qu’il n’y avait plus les coups de boutoir caractéristiques d’une chaîne qui se tend et rappelle le bateau. Je me suis donc réveillé vers 23 h 15, avec le désagréable pressentiment que quelque chose n’allait pas. Un coup d’œil à la tablette pour découvrir que j’avais dérapé de 100 m, et que je me dirigeais à toute vitesse (3 kt) en direction de la falaise qui n’était plus qu’à une cinquantaine de mètres.

Inutile de vous dire que je n’ai pas pris le temps de m’habiller pour foncer démarrer le moteur. Plein gaz pour remettre Sabay Dii face au vent qui soufflait en furie à plus de 32 kt avec des vagues incroyables pour une crique aussi confinée. Un coup d’œil au sondeur pour voir qu’il y avait 68 mètres d’eau et que mon ancre qui pendait dans le « vide sous-marin » ne risquait pas de me faire un traitre croche-pied. En moins de trois minutes, j’avais esquivé la falaise et la catastrophe qui m’était promise avec.

On voit bien le cercle de mouillage autour de la position initiale de l'ancre et le dérapage entre 23 h et 23 h 15. Je l'ai échappé belle. Mais pourquoi, le vent a-t-il soufflé vers l'Ouest au lieu du Sud-Ouest, comme d'habitude ?

Une fois sorti de la crique, j’ai tenté de remonter mon ancre en faisant l’acrobate sur la delphinière, à l’avant du bateau, dans une mer en furie. Mais 40 mètres de chaîne et une ancre qui pendouille, ça pèse très lourd (4 kg X 40 + 20 kg = 180 kg). Pour aider mon guindeau qui était à la limite de griller, j’ai profité des sauts de cabri du bateau pour remonter par à-coups le mouillage, et découvrir en fin de compte qu’à l’ancre était accroché un interminable tuyau d’incendie que je n’ai pu rejeter à l’eau. J’ai assuré l’ancre avec son turban, et j’ai mis à la fuite, avec le moteur au ralenti, et ma pauvre annexe attachée à l’arrière de Sabay Dii, faisant des embardées en surfant des vagues de plus de 2 m. Ce n’est que 5 heures plus tard, à plus de 20 milles de la côte, que les effets de ce vent catabatique démoniaque ont cessé, laissant une mer confuse soumise à une houle très courte et désordonnée.

5 heures du matin. Denizköy et sa montagnette sont à 20 milles, adns l'axe su soleil levant. Et ma petite annexe qui en a vu de toutes les couleurs est toujours là, fidèle comme un chien.

Entre temps, j’avais eu le temps de faire un petit calcul. A la vitesse de 3 kt, j’avais juste une demie minute pour démarrer ma manœuvre           [50 : (3 x 1832) x 3600 = 32 secondes].

Si je me m’étais pas réveillé à temps, moins d’une minute plus tard le bateau se fracassait sur les falaises, ne me laissant aucune chance de m’en tirer sans gilet (et même avec un gilet) dans une mer déchaînée, de nuit, contre une roche acérée et verticale.

Quand on dit que pour le marin et son bateau, le danger vient toujours de la côte et non de la mer, on a bien raison. Du coup, j’ai continué à naviguer toute la nuit et le lendemain pour rejoindre la Mer Ionienne dont la côte est moins escarpée, en espérant pouvoir enfin passer deux ou trois nuits au calme. C’est donc de là (dans la baie d’Alaçati dont je vous ai déjà parlé comme d’un mouillage presque idéal) que j’écris ce message, de nuit, pendant que Sabay Dii, bien accroché à la Terre danse avec beaucoup de swing dans un vent de force 6 (donc violent mais ni brutal ni dangereux). Je vais enfin dormir peinard !

Pour celles et ceux qui se soucient de moi, je vous rappelle qu’en 12 ans de navigation, une situation aussi dangereuse ne s’est produite qu’une fois, alors que chaque année passée sur la terre ferme, ce sont plusieurs situations extrêmement périlleuses que j’ai rencontrées, en tant que piéton de ville, à vélo ou en voiture, et dans lesquelles m’a vie ne tenait parfois qu’à un fil. Donc dîtes vous que sur mon bateau, je suis plus en sécurité que n’importe où ailleurs, sauf à rester dans un fauteuil et mourir d’ennui.

Sur ces mots, au dodo, pour une nuit tranquille, mais avec mes sens toujours en éveil, tels des anges veillant sur mon berceau, pendant que je roupille, enfin. Rrrrrrrrroooonnnnnnnnnnnnn !!!!!!

Moralités de la nuit : 

  • avoir toujours un bateau parfaitement organisé et rangé, pour pouvoir déguerpir immédiatement en cas d'urgence ;
  • au mouillage, privilégier la cabine avant pour dormir, car c'est là qu'on entend le mieux le comportement de la chaîne de l'ancre
  • avoir près de soi de quoi vérifier sa position pendant la nuit (car en solo, il faut bien dormir), et si possible avoir une alarme de mouillage qui sonne lorsqu'on s'éloigne d'une certaine distance du point initial de mouillage (mais cela ne dispense pas de la veille personnelle, car tout appareil électrique peut se mettre en pause ou à l'arrêt inopinément) ;
  • savoir gérer ses activités de jour pour ne pas dormir comme une masse la nuit, et savoir gérer son sommeil, pour s'éveiller à intervalles de temps réguliers, tout en étant capable de se rendormir immédiatement après vérification ;
  • ne jamais faire confiance à la météo, et ne pas tenter de généraliser abusivement ses observations (comme je l'ai fait en étant sûr que le vent pousserait au SW et non à l'W).

1 commentaire:

  1. Bonjour Didier

    le troisième sens du capitaine....

    Alarme GPS nécessaire en solo?


    Biz de toute la "famille"

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