Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

mardi 6 juillet 2021

En route pour le Détroit des Dardanelles

Après deux articles à dominante culturelle autour de Kuşadası (visites d’Éphèse et de Selçuk), retour à la navigation dans les eaux turques : une belle croisière qui m'a mené au Bosphore et à Istanbul où je suis arrivé début juillet, via le Détroit des Dardanelles et la Mer de Marmara. Une virée pleine de belles surprises, de rencontres intéressantes, mais aussi de spectacles désolants, voire effrayants.

Mais avant d'embarquer sur Sabay Dii pour un mois de navigation, je suis retourné me balader une dernière fois dans Kuşadası qui est vraiment un endroit sympa, de par sa situation en bord de mer (avec ses petites plages, sa promenade littorale, ses pêcheurs, ...), de par sa topographie (construite sur des collines qui donnent l'impression de faire un tour au manège des "Montagnes Russes"), et de par son urbanisation qui laisse une grande place aux piétons, aux parcs arborés et frais pour ses habitants et même pour ses morts. Et une fois de plus, COVID oblige, une ambiance estivale mais paisible car sans touriste !

Du côté de la marina, la promenade littorale très artistiquement végétalisée, passe en hauteur, au-dessus des commerces.

La plage voisine de la marina, en plein centre-ville. Il n'y a pas foule et pourtant elle est publique et gratuite.

Difficile de faire plus paisible, comme station balnéaire.

L'une des rues piétonnes du centre. Les autres sont beaucoup plus commerçantes.

Et maintenant, vous me suivez. Vous aurez mal aux cuisses ce soir.

Comme toutes les rues qui montent aux quartiers hauts sont très étroites, la circulation est limitée par la configuration urbanistique à quelques deux roues électriques. C'est calme !

Comme celles-ci, il y en a d'autres du sommet desquelles on voit la mer.




















Le quartier haut réserve plein de petites surprises si l'on prend le temps d'y flâner et d'ouvrir les yeux.
Comme cette porte de maison en marquèterie (ce n'était pas la seule).

A l'opposé, les quartiers bas sont plats et agrémentés de promenades et de kiosques à fontaines.


 

 

Le grand cimetière musulman est un des endroits les plus frais de la ville. Ces deux photos ont été prises à 8 h du matin, mais en pleine journée, tous les bancs sont pleins, et les allées bien fréquentées par toutes sortes de personnes qui y viennent pour promener les enfants, sortir  le chien, lire le journal, etc.




Après cette pause de quatre jours sur la terre ferme, départ le jeudi 4 juin, de bonne heure, pour rejoindre le détroit des Dardanelles, porte d'entrée de la Mer de Marmara, et plus loin du Bosphore et d'Istanbul. Cette fois encore, j'avais décidé de ne pas trainer en route, et c'est en quatre longues journées de navigation que j'ai fait le trajet.

Comme vous vous en doutez à la vue de ces images et aux commentaires associés, j'ai bien apprécié ce court séjour paisible à Kuşadası, alors que je ne suis pas un fan de ville et encore moins de station balnéaire. Mais le démon de la navigation est bien plus fort, et donc, c'est sans regret que j'ai quitté cette très belle ville, pour un mois de "camping nautique et sauvage", loin de toute grande agglomération, de toute marina, de tout supermarché, de toute foule, de toute circulation automobile (ou presque), de tout bruit parasite.



Comme pour la première partie de cette croisière (entre Marmaris et Kuşadası), j'ai à nouveau coupé le voyage en quatre longues étapes (entre 11 et 15 heures de navigation quotidienne), dans des conditions de vent et de mer très variées, cette fois-ci.

  • Jour 1 : De Kuşadası à Agrilar Limani
 
Départ très matinal de la marina de Kuşadası pour tenter, une fois de plus, de bénéficier de la brise de terre qui souffle habituellement de terre, comme son nom l'indique, la nuit et en début de matinée. L'option fut payante avec un vent de 15 à 18 nœuds jusqu'à midi, malgré quelques petits caprices, me permettant d'envisager d'aller jusqu'à Agrilar Limani. 55 milles que je mettrait 12 heures à parcourir, car le reste de la journée va se passer dans des airs mitigés. Et toujours du beau temps et une mer belle. Bref, une très agréable journée de navigation.
 
 
 
Le mouillage d'Agrilar Limani que j'avais repéré sur mes cartes était un bon choix. Un mouillage comme je les aime. D'abord facile à trouver, et en l'occurrence, il était impossible de le rater : une falaise toute blanche l'annonçait à belle distance.





 
Ensuite, un site qui ne soit pas une souricière, surtout sur cette côte turque où le vent est très volage, passant sans prévenir de 0 à 30 nœuds et imprévisible du point de vue de sa direction (les services météorologiques qui ne brillent pas sur ce coin de  la planète ont l'air déboussolés). Et dans le cas d'Agrilar Limani (connu aussi sous le nom d'Alacati), on peut s'échapper soit vers le large, soit en s'enfonçant dans l'estuaire dont l'extrémité est protégée du vent du large. De toute façon, il y a beaucoup de place, et donc beaucoup de solutions.


Sabay Dii est en rouge. Les vents de Sud sont exceptionnels dans la région, surtout la nuit..

Dernier critère, la hauteur d'eau et la nature du fond. Et ici encore, on est presque parfait : 4 à 5 m d'eau cristalline, soit 2 à 3 mètres sous les quilles, et un fond de sable d'excellente tenue, avec malheureusement quelques touffes de végétation, mais que l'on peut éviter tellement le fond se voit bien depuis le bateau. Il suffit de déposer l'ancre à l'endroit que l'on a choisi et de bien tirer dessus pour qu'elle s'enfonce gentiment et solidement.
Avec de telles caractéristiques, ce mouillage me garantit de dormir, comme un loir ! Et ce fut le cas.


  • Jour 2 : De Agrilar Limani à Denizköy


Départ à 5 heures du mat. La journée s'annonce longue et mouvementée. La météo annonce un fort Meltem le matin, ce qui est rare et en début d'après-midi, puis plus rien avant 18 heures où un passage venté est prévu. Et surtout, le goulet étroit que je dois franchir entre l'île grecque de Chios et le continent est une véritable tuyère renforçant le vent en l'orientant plein nord, et en levant un très fort clapot. Il va donc me falloir tirer des bords contre le vent et un très fort courant, ce qui se voit bien sur la carte ci-dessous, qui montre en rouge la trace de Sabay Dii.
 
La carte montre aussi quelque chose d'intéressant. Après avoir laissé sur bâbord l'île de Oinoussi, j'ai tiré un contre-bord vers l'Ouest (la portion de trace rouge comprise entre le sigle de mouillage le plus haut et le nom de l'île en question). Un court contre-bord, certainement trop court pour pouvoir espérer passer au nord de la côte turque en un seul bord, comme je l'ai fait, mais j'avais fait le pari que le vent allait adonner, ce qui fut effectivement le cas. Cela se manifeste par le fait que la dernière portion de trace n'est pas rectiligne, mais incurvée vers l'Ouest ; cela m'a permis d'arriver où je voulais sans avoir à tirer de nouveaux bords. Le hasard ou la raison ? Rien de magique dans ce choix : le Meltem est presque toujours orienté NW, sauf dans le goulet où il était dévié vers le N. Donc en sortant du goulet, il devait très probablement repasser NW progressivement. Il était donc stupide d'aller loin vers l'W pour passer le cap turc. Il suffisait de laisser le vent s'orienter comme on le souhaite à mesure en allant vers le N. On parcourt ainsi moins de distance et on gagne du temps. La seule difficulté est de choisir le bon moment pour abandonner la course vers l'Ouest. Virer trop tôt obligerait à virer deux autres fois (deux manœuvres inutiles) pour éviter la côte turque, et virer trop tard, ferait faire trop de chemin vers l'Ouest. Dans les deux cas, c'est du temps perdu. C'est dans ce type de situation que j'apprécie d'avoir fait 40 ans de régate avant de me lancer dans ce tour du monde.
 
Sabay Dii navigue au près bâbord amure, dans l'adonnante qui va lui permettre de passer Kara Burun (qu'on voit devant le bateau) sans virer.

Vous ne verrez pas d'images du passage du goulet, d'une part parce que j'étais bien trop occupé par la navigation, et d'autre part parce que la mer était tellement mauvaise que mon appareil photo aurait pris une bonne rincée (si l'on peut dire, car l'eau était bien salée, je vous le garantis).
Comme prévu par la météo, le vent s'est évanoui vers 14 h 30, alors que je passais le Cap Kara (Kara Burun, en turc). Que faire ? M'arrêter au mouillage que j'avais marqué sur ma carte, au voisinage du cap, mais qui ne me paraissais pas très bon, a priori, ou continuer patiemment à vitesse très réduite (2 à 3 kt) en attendant que le vent se lève comme prévu, pour atteindre, avant la nuit, le bon mouillage de Denizköy ? C'est la deuxième solution que j'ai finalement choisie, en faisant confiance dans les prédictions des météorologues qui avaient vu juste pour toute la première partie de la journée. Et effectivement le vent s'est levé vers 17 h 30 du SW. Un bon 15 kt parfaitement orienté pour le vent de travers que tout voilier adore. Et à 20 h, c'est-à-dire un peu avant le coucher du soleil, Sabay Dii était à l'ancre, après une grosse journée de navigation (75 milles nautiques en 15 heures). Et son capitaine n'a pas eu besoin d'une berceuse pour s'endormir. Encore une bonne nuit réparatrice !
  • Jour 3 : De Denizköy à Sivriçe
Comme la navigation de la vaille avait été longue et fatigante, je me suis offert une grasse matinée avec un réveil d'une heure plus tard que les autres jours (5 h 30), et à 6 heures du matin, au point du jour, Sabay Dii filait grand largue avec une bonne brise de terre.

 

Mais deux heures plus tard, finies les réjouissantes glissades dans le vent frais. Place à la pétole. Mais une quinzaine de milles nautiques avaient déjà été avalés (la partie rectiligne de la trace).

Je me suis alors retrouvé, au milieu de petits bateaux de pêche turcs, qui comme moi, fleurtaient avec la limite des eaux territoriales des voisins ennemis : Grèce et Turquie.


Pêcheurs turcs. Apparemment l'endroit est poissonneux, car ils y avait bien une vingtaine de bateaux qui remballaient leurs filets ou rentraient, mouettes criant à la poupe, après une nuit de pêche.

 

Puis soudain, j'entendis un énorme vacarme : un bateau de guerre turc que je n'avais pas vu venir m'est passé sur tribord, à toute allure.


 

Mais si le vacarme était aussi important, c'est qu'un bateau de guerre grec, me dépassait à fond de train sur mon flanc gauche.

 

 

 

 

Apparemment, les frères ennemis n'ont pas fini de jouer à la guéguerre ! 

Le calme retrouvé, je me suis retrouvé dans le calme, ou plutôt dans les calmes (comme disent les marins), ou, comme on dit dans le Midi, dans la calmasse. Du tout petit temps, avec des bascules incessantes de ce léger zéphyr, m'obligeant à tirer des bords pour éviter les refusantes (les zigzags de ma trace). Heureusement l'endroit était joli, le temps splendide, et la musique que j'écoutais bien plus agréable que le vacarme des destroyers.

L'une des nombreuses îles de l'archipel d'Ayvalic, que je compte explorer à mon retour.

En voila une autre, toute pelée. L'archipel est turc, une exception dans cette région où les îles sont surtout grecques.

J'ai donc continué mon bonhomme de chemin, tranquillement, ce qui m'a permis de voir le manège absurde des militaires. Les turcs sont arrivés dans l'après-midi avec deux bateaux de guerre qui naviguaient sur mon tribord. Mais la Grèce qui est loin d'avoir l'incroyable armada des turcs ne semblait pas disposer dans ce secteur d'un autre navire que celui que j'avais vu le matin et qui naviguait sur mon bâbord. Le jeu en question, ou plutôt le jeu de dupe était pour les turcs, de longer le frontière maritime avec leur deux navires, en attendant que le grec arrive, puis de se séparer pour mettre le grec devant un choix cornélien, ou plutôt Eschyléen, puisque nous sommes en Grèce : lequel des deux suivre. Une excellente tactique pour montrer sa supériorité numérique, dont je peux témoigner et qui pose question, car je pense avoir vu en quelques mois une bonne centaine de frégates anti-aériennes, avisos, dragueurs de mines, destroyers, corvettes, bateaux lance-missiles, bateaux de débarquement, sans parler des navires ravitailleurs, ou de soutien logistique. Bien sûr, je n'ai pas vu de sous-marins mais par contre, j'ai du éviter un grand nombre de secteurs interdits à la navigation car étant des bases pour ces engins. L'adage bien connu qui dit "Si vis pacem para bellum" (si tu veux la paix, prépare la guerre) pourrait nous inviter à penser que les turcs sont de grands pacifistes, mais on peut en douter, vu leur présence active à Chypre, en Syrie, en Lybie, en Azerbaidjan, ..., sans parler des pays ou œuvre l'armée informelle du SMP (plusieurs centaines de milliers de mercenaires des brigades islamistes internationales, armés et commandés par Ankara).

Les turcs ensemble


Les turcs sur le point de se séparer
Le grec à gauche et les turcs à droite


 
 
 





 


 

Comme la veille, le vent est revenu en début de soirée, et c'est seulement à 19 h que j'ai jeté l'ancre à Sivriçe. Encore une grosse journée (50 mn et 13 h de navigation), mais bien moins agitée que la veille.

  • Jour 4 : De Sivriçe au Détroit des Dardanelles
Bien que le mouillage de Sivriçe n'ait pas les qualités des deux précédents, j'ai dormi sur mes deux oreiles et étais frais et dispo pour attaquer avant le lever du jour ce que je pensais être la dernière journée de navigation avant les Dardanelles. De toute façon, je n'avais pas d'autre choix, car toute la côte à longer est sans abris.

Départ de nuit
 

  
Comme vous l'avez certainement remarqué au vu de ces photos annonçant le lever du soleil, ce n'est pas la tempête. Et cela risque de durer toute la journée, comme le suggère ce fichier météo qui montre que sur toute la zone de Sivriçe (en bas) à Canakhale (au milieu du Détroit des Dardanelles) le vent ne devrait pas dépasser les 5 kt, c'est-à-dire un petit force 2, tout au plus.
 
 
 
Je vais devoir prendre mon mal en patience, en lisant bien le plan d'eau pour tenter de découvrir d'éventuelles petites risées, et en réglant parfaitement mes voiles.
 
Point de tire de l'écoute de génois très avancé pour tuiler la voile et lui donner le plus de puissance possible.
 
A l'approche du cap (Baba Burun) que l'on voit sur la photo ci-dessus, le vent est si faible que c'est le courant, légèrement favorable qui me fait avancer.




 
 




Dans ce secteur, les pêcheurs sont nombreux. Ils viennent de Baba Khale (khale signifiant chateau en turc), un petit village niché dans un recoin du cap. Quant à Baba, c'était le surnom de l'Amiral Mustafa Pasha qui fit construire le château en 1725, pour protéger le village des pirates.



Les cargos se font plus nombreux. Ils sont des centaines à converger quotidiennement vers le détroit.
 
Dernière vision des îles grecques, derrière le cargo. A partir du cap Baba c'est le grand large.
 
J'arriverai peniblement à faire avancer Sabay Dii jusqu'à 11 h, mais ensuite ce sera le calme plat à perte de vue.

 
Je dois me résoudre, à contre cœur, à faire marcher le moteur, car il y a 50 mn à parcourir aujourd'hui. La honte pour moi qui me vante de ne marcher qu'à la voile.
 
Pas de doute, Sabay Dii marche au moteur, mais "chut" !!!

Ce temps doit être tout à fait inhabituel vu le nombre d'éoliennes sur la côte.

Heureusement, au bout d'une heure, à l'approche de l'île turque de Bozcaada, je sens des frémissements et je repars à la voile.
 
 
Finalement, l'entrée dans le fameux Détroit des Dardanelles se fera vers 15 h, accompagné de dauphins, et deux heures plus tard, Sabay Dii sera mouillé à Karantina Kôy, après 50 milles nautiques et 11 heures de navigation, prêt à remonter tout le Détroit pour rejoindre enfin la Mer de Marmara.
 
Rendez-vous très bientôt pour tout savoir sur la remontée du détroit et la surprise pas réjouissante qui m'attendait dans cette dernière approche de la Mer de Marmara.

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