Istanbul avec la Mosquée bleue et l'ex-basilique Sainte Sophie |
Je suis en ce moment et pour une semaine à Istanbul, à la plus grande et la pire marina de Turquie dans laquelle j'ai mis les pieds, ou plutôt dans laquelle Sabay Dii a trempé ses quilles (je vous en parlerai le moment venu), mais, par contre, j'ai du wifi. Donc je profite qu'il pleuve trois jours d'affilée pour faire avancer ce blog à la vitesse supérieure, avant de repartir respirer l'air du large et être à nouveau déconnecté pour plusieurs semaines.
Je vous ai raconté par le menu le voyage depuis Marmaris, au Sud de la Turquie, et me suis arrêté à l'entrée du Détroit des Dardanelles dont je vais vous parler à présent.
La première fois que j'ai entendu parler de ce coin éloigné alors de mes préoccupations enfantines, je devais avoir 12 ans, et c'était mon grand-père paternel qui évoquait les Dardanelles en synonyme de fiasco. J'avais demandé naïvement qui étaient les Dardanelles, et il m'avait simplement répondu : "c'est le détroit qui sépare l'Europe et l'Asie, très loin d'ici, en Turquie". Point final ; et on change de sujet. Je savais donc que c'était un lieu géographique que je suis allé rechercher sur mon atlas. Ma curiosité était satisfaite et je ne pouvais pas me douter, à l'époque, de tout ce que ce mot pouvait évoquer pour ceux de la génération de mes grands-parents.
Ce n'est qu'à 16 ans que j'ai entendu à nouveau parler des Dardanelles, pendant le cours d'histoire sur la guerre de 14-18, en classe de terminale. Et en découvrant l'horreur de ce terrible conflit en général, et de cette bataille de sinistre mémoire en particulier, j'ai été abasourdi, bouleversé, anéanti. En comprenant tout ce qui pouvait se cacher derrière le mot GUERRE, je fut suffisamment secoué pour décider sur le champs d'aller acheter un livre de Gandhi et d'aller assister à une conférence du poète-scculpeur,... mais surtout philosophe, Lanza Del Vasto; chantre de l'action non-violente, de passage à Grenoble. En sortant de la salle, ma décision était prise de façon irrévocable : je ne toucherai jamais une arme. Dans les semaines qui suivirent, instruit de mes récentes lectures, j'ai cherché à entrer en relation avec des membres d'une association anti-militariste, interdite en cette période très coercitive, pour connaître les démarches à suivre pour refuser officiellement de faire le Service Militaire National, obligatoire à l'époque, en sachant pertinemment que cet engagement moral pouvait avoir des conséquences personnelles désastreuses, même dans le cas où j'arriverais à obtenir le statut d'objecteur de conscience. A compter de cette date, je n''ai eu de cesse de prôner l'efficacité de la non-violence sous toutes ces formes, pour la résolution des conflits (même si aujourd'hui, j'admets quelques limites dans le cas de certaines guerres non conventionnelles, comme le djihadisme).
Lanza Del Vasto en Inde, sur les chemins de Gandhi |
Ensuite, heureusement, les Dardanelles n'ont plus hanté mes nuits. Sauf que; en 2015, cent ans exactement après la guerre des Dardanelles, alors que j'étais avec Sabay Dii en Nouvelle-Zélande, j'ai eu une piqure de rappel. Car l'un des pires moments de la bataille des Dardanelles, connu sous le nom de bataille de Gallipoli, a impliqué les néo-zélandais et les australiens et marqué à jamais leurs deux nations. Ces jeunes habitants de l'Hémisphère Sud qui venaient juste d'obtenir l'indépendance de leurs pays, ont été envoyés se battre à l'autre bout du monde par leurs nouveaux et fiers gouvernements, au nom de leur récente autonomie, de leur fidélité à la couronne d'Angleterre, et au nom des valeurs humanistes défendues par la Triple Entente (France, Royaume-Uni et Russie Impériale). Ce baptême du feu, fut un véritable massacre, le premier de leur courte histoire, commémoré avec ferveur par toute la nation, toutes générations confondues, sous le nom de l'ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps). Et pour ce centième anniversaire, une fabuleuse exposition préparée depuis des années et intitulée la bataille de Gallipoli était présentée au Te Papa Tongarewa, le Musée National de Nouvelle-Zélande, à Wellington. Je m'y suis rendu sans avoir fait le rapprochement entre Gallipoli et les Dardanelles. Et je me suis fait à nouveau bien secouer. Je vous parlerai à la fin de cet article de cette exposition au Te Papa qui fut un évènement national majeur de Nouvelle Zélande et qui m'a personnellement très fortement impressionné.
Mais place à la traversée du détroit des Dardanelles avec Sabay Dii.
Dimanche 6 juin 2021 à 15 heures, Sabay Dii s'engage au moteur dans le Détroit des Dardanelles (trace en pointillés rouges).
Faisant route vers l'ENE, la côte à bâbord sera pendant toute la traversée en Europe, et celle à tribord en Asie. Mais dans les 2 cas on reste en Turquie. |
Au loin le mémorial turc Çanakkale Şehitleri Anıtı |
Mais ce mémorial est loin d'être le seul le long du détroit, et toutes les nations impliquées dans cette terrible bataille y ont leurs mausolées et leurs cimetières particuliers et même parfois communs, éparpillés sur les collines, mais souvent bien visibles depuis le canal.
Les dauphins qui avaient probablement été prévenus de l'arrivée de Sabay Dii, étaient bien là pour m'accompagner de leurs surfs, cabrioles, et autres facéties.
Départ au petit matin pour faire la quarantaine de milles nautiques me séparant de la Mer de Marmara.
La deuxième chose qui m'étonne de bon matin, c'est qu'il n'y a aucun cargo, ni dans un sens ni dans l'autre. Juste quelques pêcheurs de temps en temps, à des points stratégiques, du point de vue halieutique.
L'endroit doit être poissonneux. |
A 8 heures du matin, je passe devant Çanakkhale, le seul vrai port du détroit, facilement identifiable à son château (khale en turc), et surtout à tous les bacs qui font la navette entre les deux parties de la ville situées sur les rives opposées. Le courant contraire dépasse les 2,5 nœuds, ce qui me donne l'impression désagréable de faire du sur place malgré un moteur qui fait de son mieux pour me faire avancer.
Çanakkhale et son château sur la rive asiatique |
et Çanakkhale sur la rive européenne |
A l'endroit le plus étroit du détroit, au nord de Çanakkhale, je passe sur l'autre rive pour profiter d'un contre-courant favorable.
Les remorqueurs sont garés sur la rive européenne à mi-distance des deux extrémités du détroit. |
Et tout au long, du parcours, des rappels des drames qui se sont déroulés dans les environs.
Depuis une heure, j'ai l'impression de voir deux gros pylônes en plein milieu du détroit.
Pas facile de savoir ce qu'il y a au loin. Ça a l'air d'un pont. |
Or aucun pont ne figure sur mes diverses cartes dont certaines ont été mises à jours une semaine auparavant. Par contre, sur toutes les cartes figurent des câbles sous-marins qui pourraient bien se trouver là où j'aperçois une structure. Le doute m'envahit. Et si ce que je vois était un dispositif de pose de câble ? Cela ne serait-il pas une bonne explication au fait qu'à 11 h 30, je n'ai pas encore aperçu le moindre cargo, alors qu'ils devraient circuler dans les deux sens depuis plusieurs heures. La circulation ne serait-elle pas interdite, ou pour le moins limitée aux petits bateaux comme moi, pendant les travaux ?
Je n'ai pas la berlue. Vous voyez bien, comme moi, deux grands pylônes dans le détroit, non ? |
Je décide donc de m'approcher et de faire une pose dans une sorte de petite baie avec peu de fond, alors qu'en général, le détroit est très profond. A mesure que je m'approche de ce recoin, le drame m'apparaît dans toute sa démesure.
La mayonnaise n'a pas besoin de l'hélice de mon moteur pour monter. |
Plus j'avance et plus la mousse est épaisse et gluante. |
En approchant du pseudo-pont, l'étrave re Sabay Dii fend la mousse tel un soc de charrue. |
Il est 14 heures. Je remonte l'ancre en vitesse et me lance dans la deuxième partie de la remontée du détroit, car il faut que je sois en Mer de Marmara avant la nuit
Ce qui me semblait un inquiétant obstacle à franchir est maintenant derrière moi, et j'en ris. |
Le reste de la remontée du détroit ne sera qu'un formalité,au cours de laquelle je découvrirai que la circulation des cargos est alternée. Ils passent dans un sens sur deux voies, par exemple pour aller en Méditerranée, ce qui permet aux plus rapides de dépasser les plus lents. Le lendemain, ce sont les bateaux arrivant de Méditerranée qui s'élancent à leur tour dans l'autre sens. C'est la raison pour laquelle je n'ai vu aucun bateau de toute la matinée, car je circulais en sens inverse du sens des cargos, et ils ont besoin d'au moins trois heures pour arriver à mi-parcours. Les règles de circulation ont donc changé en pratique, mais pas sur les cartes, même les plus récentes qui indiquent encore une voie montante et une autre descendante. Tout s'explique, finalement.
Quelques mots et images sur l'exposition du Te Papa Tongarewa
J'avais déjà présenté le Musée National de Nouvelle Zélande dans un article précédent de ce blog.
Cf. https://sabaydii.blogspot.com/2016/03/te-papa-tongarewa.html
Mais je n'avais que peu parlé de l'exposition sur Gallipoli. Petit rappel avec mes photos de l'époque ...
Malgré la mousse dégoutante, photos intéressantes de celle-ci.
RépondreSupprimerUn bon rappel que 'Le jour où le pouvoir de l'amour l'emportera sur l'amour du pouvoir, le monde connaîtra la paix.' Mahatma Gandhi (excusez la traduction)