Après cet épatant entracte archéologico-touristique, j'ai retrouvé mon cher Sabay Dii et Herbert son cher Chi. Les deux bateaux étaient en parfait état, prêts à reprendre le large.
Cela faisait déjà deux mois que les trajectoires de Sabay Dii et de Chi se croisaient.
- Départ de Djibouti dans la même fenêtre météo de fin février (nous sommes partis une demi-journée plus tôt que Chi, mais avons fait une pause d'un jour entre les îles Moucha et Mascali pour décrasser le bateau).
- Arrivée une demi-journée après Chi à Port Suakin au Soudan, après une étape longue de presque 700 milles nautiques se terminant dans une mer épouvantable.
- A nouveau départ le même jour que Chi pour rejoindre l'Egypte.
- Comme nous, il a fait des petits étapes en n'hésitant pas à rester planqué au fond de marsas pendant les coups de vent, puis après avoir tiré au large pour éviter la redoutable zone de Foul Bay (c'est là que L'Etoile a coulé), nous nous sommes retrouvés en peine nuit, au large de Port Berenice, à tirer des bords de prés, pour arriver un jour plus tard, en même temps, à Port Ghalib.
Et tout ça, sans jamais discuter de nos projets, alors que nous passions du temps ensemble aux étapes.
Il en fut de même à Port Ghalib. Notre escapade à Louxor était justifiée en partie par le temps exécrable annoncé. Nous avions au moins quatre jours à ne pas mettre le nez de nos voiliers dehors. Et pendant notre séjour à Port Ghalib, nous avons consulté chacun de notre côté la météo pour programmer le départ vers Suez. Et finalement, sans en avoir jamais parlé, nous nous sommes découverts le 1er avril à 5 heures du matin, à préparer nos bateaux pour un départ imminent.
Pourquoi tant de cachotterie et pourquoi cette synchronisation étonnante ?
Eh bien pour la bonne raison que la décision de partir en mer, surtout quand on navigue en solo, incombe au capitaine, et qu'il doit faire ses choix sans se laisser influencer par qui que ce soit. Et de façon tacite, nous respections cette ligne de conduite qui consiste à ne pas donner notre avis pour laisser l'autre faire ses choix sereinement, en toute connaissance de cause, et en son âme et conscience. Mais évidemment, ce n'est pas un hasard si nous avons tout le temps fait les mêmes choix tactiques et stratégiques, car nous avons tous les deux une même culture nautique bâtie sur des années de régate, une longue expérience de la navigation hauturière, les mêmes documents nautiques traitant des dangers de la Mer Rouge, les mêmes sources d'informations météorologiques, la même prudence et aussi la même envie de faire avancer nos voiliers le plus vite possible (Chi et Sabay Dii sont très différents et ne marchent pas de la même façon, car l'un est un catamaran allant très vite au portant et l'autre un cotre taillé pour le prés, mais au final, nous avons toujours mis le même temps sur les longues étapes).
La route est longue (plus de 350 milles nautiques) et semée d'embûches pour aller de Port Ghalib à Suez.
En quittant Port Ghalib, mon objectif était d'arriver à passer le grand port d'Hurghada et si possible d'aller au bon mouillage de Endeavout Harbour distant de presque 150 milles nautiques de Port Ghalib. Pour cela, il fallait plus d'une journée vu les vents légers et très variables en direction qui étaient annoncés, et il n'était pas question de chercher un mouillage de nuit dans cette région pavée d'îles, îlots et récifs.
|
Endeavour Harbour se trouve au beau milieu du paquet d'îles que l'on voit sur sa trajectoire en rouge |
|
Dans cette partie de la Mer Rouge, le vent est soit de Nord, soit de Sud, ce qui fait d'Endeavour Harbour un excellent abri |
|
En voyant la carte, on pourrait imaginer que les voiliers sont protégés par le relief de l"île.
Il n'en est rien car l'île où se trouve Endeavour Harbour est très basse,
mais même si le vent souffle fort, les bateaux sont sur une eau calme,
et c'est ça qui compte, en voilier. |
|
J'aperçois le signal AIS de Chi (le gros triangle) qui est à deux milles nautiques devant Sabay Dii |
J'arriverai vers 17 heures au mouillage, et Chi que j'ai aperçu de temps en temps arrivera une demi-heure plus tard, après avoir choisi d'aller tirer au large, alors que j'avais privilégié la côte pour bénéficier des brises diurne et nocturne, ce qui fut payant et qui me permit de ne pas me faire enfumer par Chi, sur ce parcours soumis une bonne partie du temps à du vent portant de Sud.
|
Chi sous Code 0 (une voile d'avant dont les propriétés sont intermédiaires entre le génois léger et le spi asymétrique).
Herbert a équipé son voilier d'une garde-robe impressionnante
qui lui permet d'être tout le temps à fond. |
|
Sabay Dii au mouillage de Endeavour Harbour |
|
Chi arrive à 17 h 30 |
En rangeant ses voiles, Herbert va découvrir que l'étai (le câble qui retient le mât par l'avant) de son voilier est endommagé. Il viendra me chercher pour que je lui donne mon avis (ce qui prouve que ce n'est que sur les choix tactiques que nous restons secrets). Il va donc devoir lever le pied lorsqu'il remontera au vent, mais pas de problème pour les allures portantes.
A cinq heures du matin, nous nous retrouvons une fois de plus en train de hisser les voiles, sans concertation préalable. La journée va être longue mais avec du vent de Sud très favorable. Par contre nous devrons être très vigilants, car nous allons devoir traverser le rail des cargos pour passer du côté du Sinaï, qui est le seul à offrir des abris sûrs jusqu'à Suez.
|
Herbert hésite dans le choix de sa voile d'avant à cause du problème d'étai |
|
Le vent faible au départ va monter progressivement, et notre traversée du rail se fera sans problème,
puis le vent du Sud va forcir et Chi va s'envoler à plus de 18 noeuds,
pendant que Sabay Dii plafonne à 10. |
Chi va tellement vite que je le perds de vue en début d'après-midi. Comme le vent est maintenant très soutenu (entre 25 et 30 nœuds), et que Sabay Dii avance vite, je décide d'aller jusqu'à un mouillage bien plus lointain que celui initialement prévu.
J'y arriverai juste avant la tombée de la nuit.
C'est une base de stationnement des remorqueurs de la zone de prospection pétrolière toute proche.
|
Trois des quatre remorqueurs à l'ancre |
|
Il était temps d'arriver |
Pas de Chi à ce mouillage, mais à la vitesse à laquelle il allait, je le pense plus avancé encore. Pourtant j'apprendrai plus tard que ce n'est pas du tout le cas, car Herbert a préféré s'arrêter en route, dans un petit port, quand le vent est monté très fort. Il espérait trouver de quoi réparer son étai mais il devra se contenter d'une réparation de fortune qui va être néanmoins suffisamment efficace pour lui permettre d'aller jusqu'en Grèce sans avarie.
Départ au petit matin, après une nuit très inconfortable à cause d'un clapot épouvantable résultant du vent fort de la veille.
Aujourd'hui, le vent est passé au Nord. Je vais donc devoir tirer des bords, et en plus ce sera au milieu de champs pétrolifères. Va falloir ouvrir l’œil et bien calculer quand virer pour ne pas me retrouver à proximité d'une plateforme.
Ce sera comme ça pendant deux jours, à zigzaguer au milieu des derricks. Dans ces cas-là, on ne regarde pas trop le paysage, pourtant les monts du Sinaï qui sont à bâbord sont splendides.
|
On voit régulièrement sur cette côte du Sinaï des habitations en construction mais inachevées et évidemment vides |
A la différence du reste de la Mer Rouge, il y a quelques bateaux de peche, mais au vue de ce qu'ils ont proposé de me vendre, il n'y a pas grand chose à ramasser : quelques crevettes et des poissons de moins de 15 cm qu'ils pêchent avec des fillets à mailles beaucoup trop fines pour espérer maintenir les réserves halieutiques
|
Ces pêcheurs égyptiens sont beaucoup moins sympathiques que ceux que j'ai rencontrés un peu partout dans le monde.
Pas aimables, resquilleurs, ils cherchaient à monter sue le bateau,
et à l'équipage en loque auquel j'ai donné des vêtements de quart,
c'est juste s'ils ne m'ont pas insulté parce qu'il n'y en avait pas assez pour tout le monde.
Ils devraient aller prendre une leçon de savoir vivre en Amérique Latine ou dans les îles lointaine du Pacifique |
Avec l'obligation de ne pas naviguer de nuit au milieu des champs pétrolifères, j'ai fait des sauts de puce (20 à 30 milles par jour), tranquillement, toujours contre le vent qui s'est installé de secteur Nord mais modéré.
A part ça, il fait très froid sur l'eau
|
Obligé de porter un bonnet la nuit et de bon matin |
|
Fait très froid |
|
Un peu moins froid |
|
Le soleil est arrivé |
|
Enfin la température dépasse les 15°C |
Cette partie du parcours est bien plus tranquille et reposante que dans le Sud et le centre de la Mer Rouge. Navigation dans des petits airs, au près, ce qu'adore Sabay Dii
|
Du petit temps, le génois bien tuilé tire fort |
J'ai même le temps et le loisir de faire du pain, chaque jour.
|
Non seulement la croute est croustillante, mais la mie est aérée et souple.
Miam miam ! |
Le dernier jour, ce sera l'absence totale de vent qui va m'obliger à rallier Suez au moteur, mais ce n'est pas grave car l'endroit est tellement étroit qu'il y a peu de place pour tirer des bords sans risquer de se retrouver sur le rail des cargos.
|
L’extrémité Nord de la Mer Rouge |
|
Sabay Dii avançant, une fois n'est pas coutume, avec la brise Volvo |
|
Cargo transportant des éoliennes |
|
Super-yacht rejoignant la Méditerranée |
Au fait, j'allais oublier ...
Qui, arrivé une heure plus tôt et ayant entendu mon arrivée par VHF, était là, sur le petit ponton du Yacht Club de Suez à m'attendre ?
Je vous le donne en mille ...
Eh oui, Herbert et son joli petit catamaran Chi ! Décidément !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire