Manihi, qui fait partie de l’archipel des Tuamotu, est sur la route qui permet de rejoindre Tahiti depuis les Marquises.
C'est le premier atoll que l'on
rencontre par la route nord, avec son voisin et jumeau, Ahe (où Bernard
Moitessier avait choisi de s'installer avec sa femme polynésienne, originaire
de Manihi, d'ailleurs). En venant des Marquises, après plus de 500 milles de
navigation hauturière au portant, à belle allure, avec une mer assez formée, il
était temps de faire une halte et c'est Manihi (et non Ahe) que j'avais choisi.
Il nous fallut d'abord franchir la
passe Tairapa, au sud-ouest de l’atoll, pour pénétrer dans le lagon. Séance
initiatique pour qui n'est jamais venu aux Tuamotu. Sensations garanties, je
vous en reparlerai une autre fois, car il ne faudrait surtout pas croire qu'il
est facile et de tout repos de naviguer dans ces lagons de rêve, bien au
contraire.
Une fois à l'intérieur, on retrouve
dans une lumière assez irréelle, le calme d'un lac, sans houle, mais avec le
vent du large.
Pour me mettre à l'abri du fort
alizé qui soufflait depuis plusieurs jours, j'avais choisi de rejoindre la
bordure sud-est de l'atoll, les cocotiers constituant un bon paravent. Et je
fus bien inspiré, car en passant devant le Motu Maveca, j'ai trouvé un très
joli mouillage, parfaitement calme, avec quelques patates de corail certes,
mais avec suffisamment de fond pour pouvoir espérer dormir tranquille, pendant
les balades à terre.
Et comme vous devez vous en douter,
une fois le bateau bien rangé, j'ai pris "mon annexe Moitessier" (ma
chambre à air, quoi !) et j'ai rejoint le sol ferme pour aller me dégourdir les
gambettes. Il y avait une maison sur pilotis, pas loin, vous l'avez vue, mais
j'aime bien les endroits tranquilles et suis parti en direction inverse pour
essayer de rejoindre la côte de l'atoll opposée, celle exposée à l'océan. Alors
que j'observais tranquillement le déferlement bruyant des vagues sur la
barrière de corail, j'entendis une voix toute proche.
- Bonjourrr (car en Polynésie on
rrrroule les rrrr). Il est à toi le bateau ?
- Oui, on vient juste d'arriver.
- Eh bien je suis trrrès content
que tu sois venu sur mon motu. Il est trrrès joli, mais perrrsonne ne vient
ici. Sauf une fois, Chrrristophe et Nadine qui sont devenus mes amis, mais qui
ne m'ont jamais rrrappelé.
On échange quelques mots très
aimables et il retourne à sa maison, en me disant que si on a besoin de quoi
que ce soit, il ne faut surtout pas hésiter à aller le voir, lui et sa femme
qui vient juste d'accoucher d'une petite fille de deux mois à peine.
Le lendemain matin, il y avait sur
le pont du bateau deux mérous et un poisson-perroquet.
Bien sûr, je
suis immédiatement parti remercier Hotu, mais il n'était pas chez lui. Il y
avait son petit brin de femme en train de pouponner. Elle me fait la bise, en
me souhaitant la bienvenue, et me raconte un peu leur vie dans ce coin perdu de
la planète, où elle a fait le choix de rejoindre Hotu, en abandonnant son poste
de chef de chantier à Papeete. Presque jamais de visite, mais une vie sans
stress, sans rien d'inutile ou de futile, à même la nature.
Dans cette première conversation, j'entendrai que l'on vit avec très peu d'argent ici : 2 à 300 € par mois, pour acheter tout le nécessaire (nourriture, couches, lait, etc.) qui vient en bateau depuis Tahiti, mais que, à part la vente du poisson que Hotu chasse au fusil, de nuit, en plongeant au milieu des requins, et ses quelques revenus dans la culture perlière de son père adoptif, la principale ressource, c'est la vente du coprah.Vous saurez bientôt tout du coprah, mais pour résumer, à cette époque de l'année, il faut ramasser les noix de coco et faire sécher la chair (le coprah) qui est vendue aux huileries de Tahiti. C'est là que l'on extraira l'huile pour en faire du monoï, des savons, toute sorte de produits de beauté, mais aussi de produits alimentaires (desserts, glaces, etc.). Et le coprah s'achète à bon prix. Le coprah est ici la principale ressource de la plupart des familles ayant un lopin de terre. Le hic, c'est que Hotu qui travaille déjà la nuit, ne peut pas faire la récolte seul, sa femme étant obligée de rester à la maison avec la petite. Donc, cette année, il faudra se serrer un peu la ceinture.
Avec mes deux moussaillons Julien et Lucile, nous passerons quelques jours très agréables à Manihi, en compagnie de nos hôtes qui n'auront de cesse de nous inviter à manger, nous apporter du poisson, et nous offrir de l'eau potable si précieuse sur un voilier hauturier, mais si abondante ici. Eh oui, paradoxalement, il y a de l'eau non salée dans le sous-sol des atolls (chacun a son puits) et pour l'eau potable, elle est récupérée des toits par un ingénieux système qui conduit l'eau de pluie directement dans de grandes citernes. On a donc l'eau à boire d'un côté, et l'eau non potable pour faire tout le reste, d'un autre côté. Bien plus futé que nos super systèmes occidentaux, où l'on gaspille l'eau qui a été traitée et rendue potable à prix d'or, pour nettoyer la cuvette des wc, laver la voiture ou arroser les plantes. Non ?
Mes deux équipiers souhaitant depuis le début du voyage se rendre à l'atoll de Tikehau, distant de 300 km, pour rejoindre des amis et faire de la plongée, il était convenu que nous resterions une petite semaine au maximum à Manihi. La date d'appareillage approchant, je suis allé voir Hotu deux jours avant notre départ pour lui faire la proposition suivante :
- Hotu, comme tu le sais, je dois partir bientôt, mais si tu le souhaites, et si tu peux obtenir de ton patron un congé de quinze jours, je reviens dans une semaine et on fait ta récolte de coprah tous les deux.
- Ouaih ! Génial ! Je me débrrrouillerai pourrr le congé. Va à Tikehau et rrrevient vite. On t'attend.J'apprendrai aussi à pêcher l'ina (minuscule poisson ressemblant à la civelle)
à trouver les turbos (gros coquillages) dans le récif frangeant
à ramasser des oursins-crayons pour
les manger mais aussi pour décorer ou faire des colliers
à extraire les bénitiers et à les
cuisiner
à chasser, les nuits sans lune, le kaveu
pose du piège, une simple demi noix de coco bien attachée à un pandanus |
Quelques heures plus tard, en pleine nuit, le kaveu est là. Gare aux doigts |
ce fameux « crabe des cocotiers » qu’on ne trouve qu’ici. C’est une sorte de cigale de mer, mais bien terrestre, aux couleurs magnifiques (bleu pour les femelles, orange pour les mâles) et à la chair délicieuse. Mais attention ! Cette bestiasse peut atteindre plus de 50 cm d’envergure (Hotu en a déjà pris de plus gros encore), ses pinces sont capables d’ouvrir une noix de coco, et il est d’un caractère tellement belliqueux qu’on ne peut pas en mettre deux dans le même sac, sous peine de n’en retrouver qu’un, le plus fort (mais très amoché), et les restes du plus faible (complètement désintégré). Donc attention aux doigts !
De mon côté, j'aurai quand même l'occasion de leur apprendre quelque chose : ils ont tout près de chez eux des gisements de magnifiques palourdes qui se vendent à prix d'or à Tahiti, et je montrerai à Hotu comment les repérer et comment les récolter.Bref, ce seront deux nouvelles semaines formidables d'échanges et de partage chez mes amis de Maveca Motu !
Et maintenant, quelques images d’un dimanche ordinaire à Manihi …
Le repas exceptionnel en mon honneur : grillé au barbecue, un gros « nazon » à la chair ferme et savoureuse accompagnée d’une sauce puamotu délicieuse. L’un des meilleurs poissons que j’ai jamais mangé
Admirez l’ingénieuse poussette tout-terrain. |
Ce dimanche-là, exceptionnellement,
on n’ira pas à la messe (dans une des 6 églises de ce village de 200
habitants), mais on fera, bien sûr, comme tous les autres jours, la prière
avant le repas.
Ah ! J'allais oublier de dire qu'en partant, Hotu m'avait préparé un sacré cadeau. Dix magnifiques perles (noire, violette, saumon, ambrée, etc.
Superbe !
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