Après avoir quitté Manihi et
Hotu, j’ai mis le cap sur Apataki, un autre atoll, plus au sud et encore plus
sauvage que Manihi. La configuration très particulière de sa pointe
nord-oriantale permet à la fois d’avoir un mouillage très protégé, dans une eau
limpide et très poissonneuse, de se trouver tout prêt de cocoteraies abandonnées
et de pouvoir rejoindre le tombant côté océan.
Il ne resterait plus qu’à construire une paillote ici et il serait possible d’y vivre longtemps en totale autarcie. De plus, le lieu est absolument sauvage, sans la moindre habitation à la ronde, et les animaux ne sont pas très méfiants. C’est donc ici que je me suis installé quelques temps, vivant tel un Robinson, partant tôt le matin pour trouver ma pitance, du côté de l’océan, mais aussi sur la bande de terre (ou plutôt de corail) où, miraculeusement, poussent plein de bonnes choses à manger, dont la plupart ont quelque chose à voir avec le cocotier, comme nous le disait si bien Alain Gerbault.
Seul hic, je n’étais pas au mieux
de ma forme physique. Eh oui, comme « le Grand Blond à la chaussure noire »,
j’ai accumulé les gaffes ; je me suis retrouvé en trois jours avec le pied
gauche brûlé (le dernier jour de la récolte de coprah), une fracture du coccyx (en
tombant sur la delphinière du bateau en remontant l’ancre au départ de Manihi),
et une double entorse de la cheville droite (en glissant dans le corail à mon arrivée
à Apataki, à cause d’une attache de chaussure qui s’est cassée).
Mais ceux qui me connaissent bien
et qui m’ont vu une bonne partie de mon existence mener une vie normale malgré
des petits bobos récurrents (par exemple aller au boulot avec des béquilles, skier
avec une jambe dans le plâtre, descendre en snowboard avec une épaule luxée ou
aller aux champignons avec une minerve), ne seront pas surpris de savoir que, tous
les jours, je partais comme si de rien n’était, pour poser mes filets et mes
pièges à poissons, attraper des crabes, récolter des coquillages et ramasser des
noix de coco et des uto (noix de coco germées) pour faire mon pain et mes
salades.
crabe pour la soupe |
crabe pour le hors d'oeuvre |
En rusant un peu, je suis même arrivé à attraper deux ou trois gros
poissons perroquets par jour, juste en les pourchassant à marée basse, jusqu’à
ce qu’ils s’échouent faute d’eau.
poisson-perroquet un peu naïf |
le même une demi-heure plus tard |
Eh oui ! Bien qu’un peu handicapé dans ma démarche, je n’ai pas risqué de crever de faim pendant les quinze jours dans ce petit paradis.
Un matin, je suis parti à la
pêche au varo, cette sorte de langouste qui vit dans le sable. Et du sable,
justement, il y en avait beaucoup du côté lagon où j’avais mouillé Sabay Dii. Pour
cette pêche très particulière, l’idéal est de présenter devant le trou du varo
un bout de poisson avec un bel hameçon, l’ensemble étant suspendu à une
baguette par un fil que l’on fait descendre ou remonter en tournant la baguette
sur elle-même. Et tout ça, bien sûr, sans se faire trop voir. J’ai donc cherché
des trous à varo dans un mètre d’eau et me suis laissé dériver tout doucement
avec ma bouée. J’étais installé à plat-ventre sur le pneu, la tête dans l’eau
avec un masque pour bien voir, les bras tendus à l’avant pour manipuler la
baguette, et les jambes pendant dans l’eau à l’arrière du pneu, pour équilibrer
l’avant de mon corps. Pas si compliqué que cela, d’autant que l’eau stabilise l’équilibre,
une fois que l’on a trouvé la bonne position.
Après une demi-heure de bredouille,
je me suis retourné ayant l’impression désagréable qu’il y avait des remous
derrière mes pieds. Ce n’étaient pas des remous mais une dizaine de requins qui
tournaient autour de moi. Oh pas des mangeurs d’hommes, mais des petits « pointes
noires » d’un mètre cinquante, qui ont la réputation d’être aussi curieux
que peu agressifs. Mais quand même ! Ayant déjà eu l’occasion de voir leur
rangées de dents tranchantes comme des rasoirs, j’en ai un peu oublié les varos. Trouvant ma posture un peu provocatrice, j’ai
rejoint tout doucement la plage où ils m’ont suivi. Dommage, je n’avais pas mon
appareil photo ! Ils me faisaient un peu penser à des chiens suivant une
personne dont ils espèrent peut-être un morceau de quelque chose à manger. Ce
matin-là, j’ai pu les observer longuement. J’étais avec de l’eau jusqu’aux
cuisses et eux restaient à moins de vingt mètres de la plage. J’ai vu comment
ils procèdent pour courser des poissons bien vivants qui longent le rivage, et
non pour quémander mes appâts. Une belle leçon de comportement animal. Mais il
est quand même très étonnant de voir ces animaux venir sans crainte, à un ou
deux mètres d’un homme qui, dans ce coin de la planète, est une espèce très
rare et sacrément dangereuse.
Depuis ce matin un peu spécial, je
ne suis plus angoissé à voir ces bestioles s’approcher de moi. Mais ce sont des
« pointes noires », et il serait complètement inconscient de vouloir
supposer que les autres espèces de requins sont aussi bien intentionnées.
Lire ton blog me replonge dans les souvenirs. J ai l impression de sentir l odeur du coprah brulé mais quel plaisir de voir des photos de ce que fut notre vie durant 3 ans et je repense à cette ile, ses odeurs, et ses gens (leur sourire, leur gentillesse) qui nous aurons marqués à jamais
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