« Il y a bien longtemps de cela, Jean Bluche qui rentrait de son tour du monde sur Chimère en a ramené l'image la plus belle de ce qu'est un atoll : Ni tout à fait la terre, ni tout à fait la mer, mais une union des deux, comme offerte au marin dans un écrin d'azur entouré d'immensité. »
Tamata et l'alliance, Bernard Moitessier
Ils constituent le plus grand archipel du monde. Probablement le plus beau aussi, et vous avez pu apprécier les images de ces extraordinaires lagons aux couleurs paradisiaques. Vous vous dîtes, probablement, que cela doit être génial d’avoir devant son étrave ce coin de la planète. Une navigation de rêve, paisible et sûre …
Apataki, du côté de chez Alfred |
Eh bien détrompez-vous ! Ce petit coin de paradis pour le touriste, le photographe, le baigneur, le pêcheur, etc. n’est pas du tout une sinécure pour le navigateur, surtout en solitaire, bien au contraire. Autrefois, les Tuamotu se nommaient « l'archipel dangereux ». Trop de navigateurs y ont laissé leur bateau ! C'était au temps du sextant, des cartes approximatives et de la navigation astronomique. Aujourd'hui, les cartes (papier et électroniques) indiquent correctement la position des atolls et deux outils extraordinaires de confort et de précision sont à notre disposition pour nous situer : le GPS et le radar. Il n'empêche que, malgré une météo pas épouvantable comparée à celle d’autres régions du monde, les Tuamotu demeurent encore un des endroits de la planète où l'on a le plus de "chance" de casser son bateau. Pas difficile de s’en persuader en visitant les chantiers de Papeete : coques percées, gouvernails tordus, quilles arrachées ! Et pour les moins chanceux, le bateau reste en épave sur le récif.
Pourquoi ?
Oh ! Les raisons ne manquent pas.
Oh ! Les raisons ne manquent pas.
- La première est la difficulté à repérer un atoll. Tout est au raz de l’eau, et une grande partie de sa ceinture corallienne est même immergée. On ne voit que les palmiers, quand il y en a ; très peu de maisons ou de lumière, en général. On peut donc se retrouver, en plein Océan Pacifique, à quelques centaines de mètres seulement d’un atoll, sans l’avoir vu, de jour et par beau temps. Imaginez alors par mauvaise visibilité, ou avec une grosse mer, ou pire, de nuit. Il faut donc être très vigilant, 24 heures sur 24, dès que l’on navigue dans les Tuamotu. Pas question de s’endormir pendant son quart. La carte et le GPS doivent être comparés régulièrement à la recherche de la côte (toujours sous forme de récif) la plus proche. Et il faut tenir compte des courants qui peuvent être violents et dévier fortement le voilier de la route prévue.
- Mais c’est surtout quand on s’approche de l’atoll que les choses se corsent. Pas question de pénétrer dans un lagon sans une étude détaillée de sa configuration et des conditions de vent et de mer. En effet, chaque atoll comporte un nombre limité de passes : une ou deux en général, quelquefois pas du tout ou seulement accessibles aux petites embarcations. Certaines sont larges, profondes et balisées , d’autres sont étroites ou présentent des seuils ou des chicanes et sont peu ou pas balisées. Parfois il existe un mouillage d’attente ou un bout de quai qui permet d’attendre les conditions favorables : bonne visibilité, soleil haut et dans le dos, et surtout un courant « raisonnable ». Dans tous les cas il est prudent de bien préparer la navigation et de mémoriser la carte avant d’y entrer, car ça va vite ! Et dans presque tous les cas, on n’en mène pas large. Ma première passe fut celle de Manihi, réputée facile, au moment que je pensais le plus favorable. Eh bien, il m'aura fallu presque une heure pour parcourir moins de 500 mètres, avec le moteur à fond, à contrer un courant sortant qui faisait déraper Sabay Dii dans tous les sens. A chaque instant, je me demandais si je n’allais pas rebrousser chemin, sans savoir d’ailleurs comment faire demi-tour dans un tel maelstrom. Et j’étais loin, ce jour-là, d’imaginer que j’aurai des conditions beaucoup plus effrayantes, lors du franchissement des passes suivantes, pour entrer comme pour sortir des lagons. Il m’est arrivé de me retrouver face à un véritable mascaret, c’est-à-dire une vague pratiquement stationnaire d’une puissance prodigieuse, formée par la rencontre de l’eau qui sort du lagon et de l’eau de la marée qui essaie de pénétrer dans l’atoll.
Passe de Manihi, à l'heure de l'étale de basse mer |
Courant contre marée |
- La troisième difficulté réside dans le fait qu'un lagon est une sorte de lac assez profond (de 20 à 100 mètres en général) mais parsemé de patates de corail qui affleurent, constituant le type de récif parfait pour casser un bateau. Comme la plupart des atolls n'ont pas été complètement cartographiés, on doit se contenter de suivre un chenal plus ou moins bien balisé, quand il existe. Sinon, on doit naviguer en regardant ce qui est devant l'étrave, à vitesse très réduite, avec le soleil dans le dos, et par très bonne visibilité. Certains voiliers n'hésitent pas à envoyer quelqu'un dans le mat pour faire la vigie.
- Et enfin, pour corser le tout, le temps change très très vite aux Tuamotu. Vous partez confiant car vous avez un vent léger, grand soleil et le ciel tout bleu, et puis, patatrac, en cinq minutes, tout change : vous vous retrouvez au milieu des patates ou d'une passe avec une visibilité pratiquement nulle sous un pluie battante et 40 nœuds de vent dans le nez. Pour illustrer mon propos, voici trois photos prises à 10 minutes d'intervalle depuis Sabay Dii, devant chez Hotu à Manihi...
Comme vous l'aurez compris, être aux Tuamotu, c'est formidable, mais naviguer dans les Tuamotu en solitaire, cela demande de la concentration, de l'expérience, du sang-froid, et un peu de culot pour se lancer dans certaines passes. En résumé, après avoir savouré les Tuamotu, on est bien content de reprendre la haute mer pour se détendre un peu.
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