Départ de la marina de Rhodes le 6 mai 2022 pour une navigation SSW de 25 milles nautiques vers Lindos.
Navigation tranquille au portant, avec un vent de Nord d'une dizaine de nœuds.
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Une côte monotone et toute pelée.
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Au loin, du relief qui annonce Lindos
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Je devine le piton de Lindos qui plonge de 116 mètres dans la mer
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L'Acropole et la forteresse sont en vue, tout en haut.
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Après six heures de navigation pépère, il ne reste plus qu'à tourner sur la droite pour rentrer dans le port naturel de Lindos.
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Sabay Dii est arrivé.
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L'endroit est magnifique. Sabay Dii n'est pas seul, tout au moins aujourd'hui.
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Bien que Lindos ne compte actuellement qu’un millier d’habitants, c’est le village de Rhodes le mieux connu à l’étranger. Site classé au même titre que les vieux quartiers de Rhodes, Lindos a su préserver un caractère authentique, et c’est pour cela, entre autres, que les touristes s’y rendent par milliers chaque jour de la haute saison touristique. Je dis « entre autres », parce que ce site a de nombreux atouts. Outre ses ruelles pittoresques serpentant entre des maisons d’un blanc lilial, on peut y venir pour admirer la forteresse des Chevaliers de Saint-Jean perchée sur un éperon spectaculaire, et enserrant l’Acropole de la période hellénistique, ou tout simplement pour se baigner ou faire du paddle dans l’eau cristalline de son port naturel.
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Les atouts de Lindos : archéologie, tourisme consumériste, baignade
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Les images que vous allez voir pourraient vous laisser croire, au contraire, que l’endroit est désert. C’est parce qu’on n’était qu’au joli mois de mai, et que j’ai bien choisi mes horaires pour pouvoir, tranquillement, sans bousculade ni bruit, déambuler dans les ruelles, ou grimper à la citadelle. Mais je n’ose imaginer la cohue qui doit se former à la rencontre des touristes débarquant des bateaux et ceux arrivant par bus entiers, à la haute saison. C’est le tourisme de masse moderne.
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9 heures du matin. Les rues sont vides de touristes. Les commerçants sont prêts pour le rush.
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Un nombre incroyable de mules et de mulets sont prêts eux aussi à porter les fainéants jusqu'à l'Acropole.
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Dernières minutes de quiétude pour les bêtes qui ne sont vraiment pas gagnantes dans le succès touristique.
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Tout est prêt pour servir des cars entiers et des bateaux bourrés de touristes
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Les mamies attendent les chalands pour leur vendre leurs œuvres.
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Le premier bateau vient de débarquer sa cargaisons (60 étudiants belges qui attaquent la grimpette à pied, car ils sont en forme physique, eux).
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Mais ce ne fut heureusement pas toujours comme cela. Dans l’Iliade, Homère parle avec admiration de Lindos, en expliquant qu’elle fut érigée par les Doriens au XII e siècle av. J.-C., en même temps que Kamiros et Ialissos, soit huit siècles avant la fondation de la ville de Rhodes. Des trois cités, c’est elle qui envoya le plus de bateaux participer à la guerre de Trois : 9 contre 2 pour Kamiros et un seul pour Ialissos, ce qui témoigne de sa suprématie dans l’île, à la période archaïque. Rien d’étonnant dans cette prédominance, car Lindos avait de sérieux atouts géographiques : deux ports naturels situés de part et d’autre d’un piton imprenable où avait été édifiée l’Acropole.
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L'Acropole sur son piton. Vue de la mer, c'est encore plus impressionnant.
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Les habitants de Lindos n’ont pas tardé à créer des colonies, aussi bien dans les îles voisines que sur la côte continentale, qui n’est qu’à une demi-journée de navigation de l’époque, que ce soit à la voile ou à la rame. Grâce à leur flotte marchande, ils prirent ainsi une grande part dans le commerce maritime, que ce soit en Mer Égée, ou avec l’Égypte et la Syrie. C’est à eux, d’ailleurs, que l’on doit la première ébauche de ce qui allait devenir la Charte du droit maritime rhodien, adoptée dans le monde entier, et encore en vigueur aujourd’hui sous une forme actualisée.
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Lindos vue du ciel, avec ses deux ports naturels. Au Sud, la petite baie de Saint-Paul, presque fermée.
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La baie de Saint-Paul, vue depuis l'Acropole.
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L'avant-port côté Nord, vu depuis la citadelle.
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Leur rayonnement ne se limitait pas au commerce et aux chantiers navals. Ils se distinguèrent aussi dans le domaine des arts, notamment la sculpture, avec une expertise particulière pour le travail du bronze, faute de matériaux lithiques de qualité, comme le marbre blanc. Ce n’est donc pas étonnant que ce soit à eux que l’on se soit adressé pour la construction du fameux Colosse de Rhodes, œuvre de Charès de Lindos, dont la hauteur dépassait trente mètres, pour un poids supérieur à 20 tonnes.
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Gravure représentant le colosse de Rhodes (je reviendrai sur ce sujet un de ces jours).
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C’est au cours du VI e siècle av. J.-C. que la ville fut à son apogée, notamment pendant les quarante années du règne de Kleovoulos qui était considéré comme l’un des sept Sages de l’Antiquité. Il fut le premier à imaginer de financer certains travaux publics en collectant des fonds auprès de ses sujets, selon leurs moyens. Il venait d’inventer les impôts locaux. Mais à la différence de notre cher Ministère des Finances, la collecte de l’argent était réalisée par des enfants qui faisaient du porte à porte en chantant les « chants de Kleovoulos » ou « chants de l’hirondelle », que la tradition orale à miraculeusement conservés intacts jusqu’à nos jours. C’est de cette manière que furent financées la construction du Temple d’Athéna en 550 av. J.-C. et celle de l’aqueduc toujours fonctionnel, et qui alimente sans répits la fontaine de la place du village depuis plus de vingt-cinq siècles.
A partir de la construction de la ville de Rhodes, en 408 av. J.-C., un certain nombre d’activités vont être transférées à la capitale, mais Lindos demeurera néanmoins très active, contrairement à Ialissos et Kamira, qui pâtirent énormément de la concurrence de la métropole rhodienne.
Beaucoup plus tard, au XIV e siècle, les Chevaliers de Saint-Jean qui ont choisi l’ile de Rhodes comme point d’ancrage, bâtissent la citadelle de Lindos, parallèlement à celle de Rhodes, en se servant d’une partie des matériaux de l’acropole antique.
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Gravure de l'entrée de la citadelle des Chevaliers de Saint-Jean.
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Les remparts de la citadelle des Chevaliers de Saint-Jean. (en comparant à l'arbre, vus avez une idée de la taille des créneaux).
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Citadelle médiévale et Acropole helénistique sont imbriquées.
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Puis, en 1522, lorsque les Chevaliers de Saint-Jean abandonnèrent l’île aux turcs, c’est ces derniers qui, n’ayant pas une grande expérience dans le domaine de la police maritime, demandèrent aux Lindiens de s’en charger. C’est de cette époque (du XVI e au XVIII e siècle) que datent les maisons dites « des capitaines », autrefois fois délabrées, mais aujourd’hui magnifiquement restaurées par des particuliers pour en faire des chambres d’hôtes, car à Lindos la construction d’hôtels est interdite par son statut de site classé.
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Maison de Capitaine restaurée
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Pour qui connait les îles grecques, les photos des rues que j'ai faites ne surprendront pas. Pour les autres, ce sera comme moi l'émerveillement devant ses façades d'un blanc de chaux immaculé se découpant sur un ciel d'azur, et tous ces petits détails, ces coquetteries qui révèlent à chaque pas le goût intemporel et immodéré des grecs pour le Beau.
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Vues depuis la citadelle, la ville et sa cathédrale, tout de blanc vêtues.
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L’acropole de Lindos se voit de très loin, perchée sur un éperon rocheux haut de 116 m. Et de ce somptueux perchoir, on a, bien sûr, une vue imprenable sur les deux bassins nautiques, le grand port au Nord et la petite anse presque complètement fermée de Saint-Jean, au Sud, où je n’ai pas osé aller mouiller, car les Instructions Nautiques indiquent un seuil de 2 m, ce qui est vraiment limite avec le tirant d’eau de 1,9 m de Sabay Dii (en fait le passage est bien plus profond que ce qui est indiqué sur les cartes ; presque 4 m ! Ce sera pour une prochaine fois). Du coup je suis resté quelques jours dans le port naturel où je me suis retrouvé seul très rapidement. A cette époque de l’année, l’eau étant encore frisquette et les touristes rares, je n’ai pas eu à subir les nuisances des scooters des mers ou des hors-bords. Un vrai régal de mouiller dans un si bel endroit, et de pouvoir en profiter tranquillement.
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Personne sur ce magnifique plan d'eau, avec vue imprenable ?
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Ah si ! Il y a Sabay Dii pour profiter de la vue.
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Ce port naturel est exceptionnel de part sa remarquable protection du vent dominant, sa profondeur (entre 3 et 20 m, ce qui est parfait) et sa taille incroyable. En plus, il est facile d'y entrer et d'en sortir.
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Zoom sur Sabay Dii et ses voisins du premier jour. Les jours suivants, je serai seul dans la baie.
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La plage du Sud
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La plage de l'Ouest
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De l’Acropole, une fois de plus, il ne reste pas grand-chose. Elle a
fait l’objet de fouilles de la part des chercheurs de l’Ecole Danoise
d’Archéologie de 1902 à 1912, qui ont trouvé des instruments en
obsidienne prouvant que le site était habité depuis le néolithique. De
la période archaïque (avant le IV e siècle av. J.-C.) pendant laquelle
le temple d’Athéna fut construit, on ne peut voir que quelques colonnes
qui ont été reconstruites par les archéologues italiens pendant
l’occupation, comme à Kamiros.
Néanmoins, les archéologues ont mis à
jour de nombreux vestiges mais qui ne sont pas visibles faute d’un musée
local. Parmi leurs trouvailles, il faut citer deux plaques de marbre
portant les inscriptions de la main du prêtre de la déesse Athéna,
Timachidas, datant de 99 av. J.-C. Sur l’une d’elle figurent les noms de
tous les prêtres de la déesse, et sur l’autre un inventaire des
miracles qu’elle a accomplis, ainsi que la liste des visiteurs et de
leurs offrandes. On y trouve du beau monde : Héraklès, Danaos et ses
filles, la Belle Hélène et son époux Méléanos, à leur retour de Troie,
Artaxerxès, roi des Perses, Alexandre le Grand, … Cette chronique montre
clairement que Lindos et son temple d’Athéna furent un haut-lieu de
l’antiquité, à l’époque hellénistique. Malheureusement, de ses deux
tables de marbre, qui doivent reposer dans un musée lointain, le
visiteur n’est même pas informé au cours de sa visite. En se promenant
sur le site, il pourra voir, par contre, une multitude de socles de
statues éparpillés un peu partout, et rappelant la coutume très répandue
à l’époque hellénistique, selon laquelle les visiteurs de marque et les
gens fortunés dédiaient des statues en guise d’ex-voto à la déesse
Athéna. Malheureusement, en 42 av. J.-C., Cassius, l’un des futurs
assassins de César, est venu à Rhodes avec pour mission d’anéantir
Rhodes, ce qu’il fit avec beaucoup de zèle, mais en est néanmoins
reparti avec 3000 belles statues, dont celles de Lindos.
Par
contre, il y avait quelque chose que Cassius ne pouvait pas emporter :
taillés dans le roc, à la base de l’Acropole, une estrade sur laquelle
reposait une statue disparue, mais surtout un bateau en relief, et pas
n’importe quel bateau.
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J'ai du bidouiller ma photo pour révéler la proue de ce bateau rhodien très particulier (taille : plusieurs mètres).
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C’est semble-t-il la seule mise en évidence
visible d’une triémioline, le bateau typique de la flotte de Rhodes,
dont je vous reparlerai un de ces jours. En 170 av. J.-C., les citoyens
de Lindos ont gravé dans la roche cette réplique de la proue du bateau
de leur grand navigateur et guerrier Agésandre, en l’honneur de ses
nombreuses victoires sur les pirates. Cette sculpture murale devait
servir de socle pour un portrait en bronze d’Agesandre. Une inscription
à la base du bateau lui rend hommage et indique que la ville de Lindos
l’a coiffé d’une couronne en or. Quant à l’estrade sculptée aussi dans
la roche à la même époque, elle supportait une statue des membres du
gouvernement de Lidos. On y trouve aussi une inscription du prêtre du
sanctuaire indiquant qu’il avait en charge les travaux de restauration
du temple. Et de fait, le sanctuaire fut prospère jusqu’en 396 de notre
ère, date à laquelle l’empereur byzantin Théodose ordonna la destruction
de tous les lieux de cultes païens. Comme les prêtres de Lindos s’y
opposaient, ils furent tout simplement massacrés avec leur sanctuaire.
Si
l’on ajoute à tous ces évènements historiques dramatiques, les
multiples guerres intestines qui ont rythmé un millénaire de prospérité,
le pillage quasi systématique des richesses locales par les pirates qui
profitaient de la moindre faiblesse d’une cité, et les incessants
tremblements de terre, il n’y a rien d’étonnant qu’ici comme ailleurs
dans ces îles grecques, il ne reste pas grand-chose à voir des
merveilles que ce peuple d’artistes à créées. Paradoxalement, c’est de
l’autre côté, sur le continent, aujourd’hui turc mais autrefois aussi
grec que ces îles, que l’on peut voir les plus beaux sites de
l’Antiquité héllénique. Car la plupart des grandes cités, toujours des
ports à cette époque, n’ont pas été détruites, mais simplement
abandonnées, car victimes des dépôts d’alluvions qui, en ensablant les
ports, obligeaient les citoyens à émigrer pour construire de nouvelles
cités. C’est ainsi que j’ai pu voir pendant mes trois années en Turquie
les sites d’Ephèse, Millet, …, les petits ports tels que Cnide,
Phasélis, …, les théâtres tels celui d’Aspendos, qui surclassent très
largement tous les sites archéologiques de la Grèce actuelle à
l’exception du Parthénon d’Athènes, de Mycènes, d’Epidaure ou Delphes.
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