Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

lundi 13 juin 2022

Hosanna, rencontre avec Saint Georges à Alimia

Alimia est avec Kharki l'une des deux îles satellites de Rhodes.

Le 13 mai, j'ai quitté Khalki (qui s'écrit aussi Chalki) pour Alimia par un temps superbe mais sans vent. 

Je quitte Khalki et ses trois moulins
Rhodes, au lointain, émerge paresseusement de la brume, preuve qu'il n'y a pas de vent.

Il m'a fallu presque 5 heures pour parcourir ce saut de puce, mais j'étais aux allures portantes, avec seulement le génois à poste, et n'avais pas envie de supporter le bruit du moteur. Et Khalki s'est éloignée tout doucement dans mon dos.
En même temps, Alimia se dessinait à l'horizon, à la même vitesse que Sabay Dii se traînait sur l'eau.

6 milles nautiques seulement séparent Khalki d'Alimia.
Le nom Alimia est la déformation de l'ancien nom de l'île, Evlimnia or Eulimnia, qui signifie "avec un bon port". Et effectivement, on distingue sur la vue satellitale deux fonds de baies, l'un au Nord et l'autre à l'Est, soit deux ports potentiels que je suis allé tester évidemment avec Sabay Dii.

Alimia a une forme très découpée (21 Km de côte pour une surface d'à peine 7.4 Km2) avec une grande baie intérieure et un minuscule isthme à l'Est.

Côté extérieur de l'isthme (Rhodes à l'horizon).

Côté intérieur de l'isthme qui récupère tous les détritus flottants (on voit les restes d'une grue).


 

 

 

 

 










 

Alimia a la réputation d'être une île aujourd'hui inhabitée, mais vous allez voir que ce n'est pas tout-à-fait exact. En tout cas, elle fut habitée de manière continue de l'Antiquité à 1960. A la période hellénistique, l'île servait de poste d'observation du trafic maritime et de port de relâche pour la flotte militaire de Rhodes ; on trouve quelques vestiges d'un quai antique dans la baie du Nord. Bien plus tard, comme d'ailleurs aussi à Khalki, les Hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean firent construire un château haut-perché (269 m) dont je suis allé voir les ruines, constituant un excellent poste d'observation et permettant de signaler aux guetteurs rhodiens l'arrivée d'ennemis. Enfin, il reste sur l'île, mais cette fois-ci dans la baie de l'Est, les restes de baraquements de l'armée d'occupation allemande qui avait établi une base secrète de sous-marins. De tout cela, on en conclut qu'à toutes les époques, Alimia présentait un intérêt certains aux yeux des stratèges de la guerre.

En arrivant à Alimia, j'ai choisi d'aller mouiller dans la baie située à l'Est. Elle s'appelle Emporeios, un nom propre très souvent utilisé en Mer Égée (mais aussi en Espagne, par exemple avec Empuria Brava, le port gréco-romain, du côté de Rosas), mot qui désigne un bon abri pour les marins. Dans les guides nautiques, on signale que c'est l'endroit le plus sûr, et le plus confortable pour mouiller : 7 à 10 mètres d'eau sur un fond de sable de bonne tenue, jamais trop de houle ou de ressac, et surtout pas de bourrasques violentes en cas de Meltem, comme cela peut être le cas dans la baie du Nord.

Lors de la deuxième guerre mondiale, c'est ici, à Emporeios, que les Allemands avaient choisi d'installer un petit détachement chargé officiellement de faire un peu de surveillance et de maintenance, mais on sait aujourd'hui qu'il y avait dans ce secteur une base de sous-marins. De leur passage, il reste deux baraques délabrées et une grues dont le sous-bassement a basculé, et qui se retrouve maintenant partiellement immergée.
 
Sabay Dii à Emporeios, la baie orientale de l'île d'Alimia.
Les deux baraques du détachement allemand sont délabrées, mais dans l'une d'elles, une pièce a conservé ses plâtres sur lesquels un soldat artiste à dessiné aux craies des scènes d'une vie heureuse, loin de la guerre, ou dans une île moins isolée, sous les tropiques.
La baie d'Emporeios vue depuis les baraques allemandes








 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir passé une nuit tranquille dans ce premier mouillage (en fait une nuit sans vent ni houle mais que j'ai en partie occupée à appâter et à tenter de capturer un barracuda), je me suis levé comme d'habitude au lever du jour. Et privilège des lève-tôts, j'ai assisté à un superbe lever de soleil sur une eau qui semblait d'un lac.

Je n'ai pas tardé à aller voir l'autre baie, au Nord, dénommée Agios Gorgios, ce qui signifie Saint Georges, patron du hameau annoncé abandonné et en ruine, mais qui avait été habité jusque dans les années 60. Évidemment, comme à Emporeios, je ne m'attendais pas à trouver âme qui vive.
Mais, alors que je m’apprêtais à mouiller l'ancre, un petit bateau-taxi est arrivé avec une quinzaine de personnes à son bord, essentiellement des femmes endimanchées et joyeuses, mais chargées de gros colis et de paniers. A peine débarqué, tout ce petit monde se dirigea vers le hameau qui, à ma grande surprise, avait quelques maisons blanchies de frais à la chaux et une belle chapelle ; des hommes vinrent à la rencontre et les retrouvailles semblaient prometteuses. Probablement un repas de famille en ce samedi 14 mai.
Une deuxième chapelle dédiée à Agios Minos trône sur les vestiges du quai antique.
Le hameau Agios Georgios, et sa petite église.
Agios Minos sur l'autre rive.

Pour le côté désertique de l'île, c'était rappé. Mais mon objectif premier était de partir à pied à la découverte d'Alimia, avec comme point d'orgue, la montée au château des Chevaliers de Saint-Jean, d'où j'espérais profiter d'une vue panoramique sur toute l'île, mais aussi Khalki et Rhodes, et toute la constellation d'îlots éparpillés sur une mer-miroir d'un bleu si léger.
Une fois Sabay Dii fermement ancré, j'ai rejoint en annexe la petite plage que domine le hameau.
La plage vue du village.
La chapelle d'Agios Minos et Sabay Dii vus depuis la plage d'Agios Georgios.
 
Je me suis engagé sur le seul sentier visible, qui traverse le hameau, en longeant les ruines des maisons effondrées, et les abris de bergers dont certains sont encore debout.
Les bergers vivaient dans ce type d'habitat : quatre murs très épais de pierres sèches, avec une seule ouverture, et un toit de planches recouvertes de terre. Vous avez dit rustique ?
Ayant emprunté le même chemin que les convives, j'ai pu admirer les quelques maisons rénovées avec goût. Je ne voyais personne mais devinais, au bruit, l'effervescence qui régnait derrière les murets d'enceinte.

 
Terre cuite apposée sur un mur.
 
Je n'avais vu personne, mais tout le monde avait repéré mon bateau et m'avait vu débarquer ; on attendait mon passage. Kalimera, kalimera. On me fit signe de venir me joindre au groupe. Plusieurs personnes vinrent à ma rencontre, qui, comme souvent en Grèce, parlaient anglais. Dont une anglaise, évidemment, qui me dit tout de suite, avec son accent de Plymouth ou Southampton, qu'elle était venue avec tous ces gens formidables pour la Saint Georges, le patron du village, et que ces gens étaient vraiment tellement formidables qu'elle avait un jour décidé de rester vivre en Grèce, parmi eux. Joviale, enthousiaste, je la sentais toute excitée à l'idée de cette journée à venir. D'un autre côté, me surveillant du coin de l’œil, un œil d'ailleurs à moitié caché par la tignasse et le sourcil épais, un solide gaillard, dont je devinais le sourire sous une barbe de guerrier assyrien. C'était Kostas. Il m'observait.

On me fit entrer dans la cour, au milieu de laquelle une nuée de dames s'affairaient à installer tables napées, chaises ou fauteuils, pendant que les hommes s'occupaient de tout le nécessaire pour une grillade. Tout le long du mur, des paniers recouverts de linge blanc, et au milieu, circulant dans tous les sens sans savoir vraiment où il allait, un petit bonhomme aux rares cheveux grisonnants, portant une énorme corbeille pleine de belles miches de pain. On préparait des agapes.
J'expliquais rapidement que j'avais dormi dans l'autre baie et étais venu de ce côté de l'île pour monter au château. 

Comme je m’apprêtais à repartir, la gentille anglaise dont j'ai oublié le nom, insista pour que je vienne voir la jolie chapelle. Non, ce n'était pas un traquenard ! C'est ainsi que j'assistais à ma première messe orthodoxe : un grand pope aux cheveux noir de jais, presque tout le temps caché dans une alcôve dont les murs étaient drapés et recouverts de splendides icônes dorées, et tournant toujours le dos à ses fidèles lors de ses rares sorties, une dizaine de femmes psalmodiant et ne cessant de se signer, et, seul homme, papillonnant parmi ces dames, notre porteur de miches, tout aussi désorienté, mais avec maintenant un plateau de cierges jaunes et luisants.

Au centre de l'image, on devine le pope en chasuble, seul dans son alcôve, en train d'officier.

Après un bon quart d'heure de cérémonie à laquelle je ne comprenais rien, bien que je fusse un communiant exemplaire, lorsque j'étais enfant et surtout naïf, je quittais les lieux, lentement, à reculons,  avec une discrétion de sioux, mais certain que, dans la ferveur ambiante, personne n'avait remarqué ni ma présence,  ni ma fuite.

J'étais enfin prêt à me lancer dans l'ascension du jour.

Objectif en vue, tout là-haut.

Mais, je n'avais pas fait 100 mètres que le barbu d'un autre âge, me courut après (ce qui est normal car il avait des Nike) pour me demander dans  un anglais d'Oxford si, dans mon sac à dos, j'avais de l'eau.

  •     Un peu.
  •     Pas assez. Ça grimpe dur et il fait chaud, il te faut plus d'eau. Attends moi l.

Et le voilà reparti au pas de course pour me chercher une bouteille d'eau.

  •    Take care, my friend ! See you soon (sois prudent mon ami et à tout-à-l'heure).

Et Kostas avait bien raison : ça montait dur, et il faisait chaud. Mais avec la grande forme que j'avais, cette ascension aurait été une simple formalité si et seulement si il y avait eu un chemin pour rejoindre la tour de gué des Chevaliers de Saint-Jean. Mais pas la moindre trace de passage, à part celle des chèvres qui ne mesurent pas 1,9 m au garot, comme moi. Il me fallut donc bartasser, à la montée comme à la descente.

Bartasser : impossible de traduire par un seul verbe ce mot de patois occitan ; en résumé : se battre de toute son énergie contre une nature hostile pour se frayer un chemin dans un milieu où il faut être fou d'imaginer que l'on va arriver quelque part.

Normal que sur une île désertée à défaut d'être toujours déserte, la nature ait repris ses droits sans se soucier de l'Homme et de ses lubies, surtout quand il s'agit d'un marin en mal d'altitude.

Ascension laborieuse ! La bouteille de Kostas ne fut pas de trop !

Au pied du chatelet

Quelle réconpense une fois arrivé la-haut ! 269 m d'altitude seulement, mais quelle vue !



Rhodes en suspension entre deux bleus.
Vers midi, j'étais sur le point de retrouver Sabay Dii, après deux heures harassantes de randonnée acrobatique alternant passages d'éboulis ou sauts de blocs de rochers tranchants d'une part, et rampements sous la frondaison d'épineux ou traversées douloureuses d'un hallier inextricable de ronces et de cactées d'autre part. Et une surprise au bout du compte : deux heures passées sans la moindre rencontre animale : pas un chant d'oiseau, pas le moindre reptile se chauffant au soleil, pas un seul insecte pour m'asticoter ou venir téter ma sueur. Ni la moindre trace, ou la moindre crotte. Rien ! Et de me poser la question : à la suite des Hommes, les animaux sauvages auraient-ils décidé, eux aussi de déserter cette île ? Bizarre, bizarre, car la plupart du temps, le départ des Hommes favorise la biodiversité. Cette question et l’ambiguïté de la réponse m'ont taraudé les jours suivants, et m'ont poussé à aller fouiner, comme à mon habitude, pour trouver quelques éléments de réflexion. Et ce faisant, j'ai découvert avec intérêt que des chercheurs en éthologie s'étaient posé la même question. Leur projet était de faire un inventaire de la faune d'une île du Dodécanèse ayant quelques réserves d'eau, et une taille suffisante pour permettre un développement complexe de la faune, mais une île sans peuplement humain depuis plusieurs décennies. Et ils avaient choisi, justement, Alimia. Leur constat est une biodiversité incroyablement faible, notamment dans le domaine herpetologique (reptilien), dont ils ignorent la cause.

https://www.researchgate.net/publication/284411808_First_observations_on_the_herpetological_and_theriological_fauna_of_Alimia_Island_Rhodes_Archipelago_Aegean_Sea#pf3

A peine étais-je en vue des maisons que Kostas venait à ma rencontre pour voir dans quel état j'étais. Jovial car rassuré, il m'invita à partager leur festoiement. Un repas à la grecque, avec olives, feta, tomates et salade, bien arrosé d'huile d'olives, des grillades de mouton et beaucoup de petites pâtisseries qu'ils croient grecques mais qu'ils ont adoptées de leurs envahisseurs turcs (les invasions ont toujours quelque chose de bon, surtout à manger). Et je ne parle pas de ce que les hommes buvaient ; avant le repas (Ouzo, Tsipouro), pendant (bière Alpha), et après (raki, liqueur de mastiha), les femmes restant aussi sobre que moi. Quant au pope, grand, le teint halé et doté d'un sourire hollywoodien, il n'était pas le dernier à apprécier les alcools, entre deux cigarettes.
Mais en Grèce, repas festif rime avec musique. Et Kostas sortit sa guitare.
Kostas
Fin de banquet
Une fois tout débarrassé, les femmes disparurent une à une, mystérieusement : promenade digestive, sieste ou plus probablement prière dans la petite église. Nous sommes donc restés entre hommes à discuter de sujets divers et variés : voyages lointains, solitude en mer ou dans les îles, préservation du patrimoine et restauration du village (Kostas semblantt être le fédérateur des énergies d'une dizaine d'hommes très motivés pour redonner vie à Agios Georgios), difficultés de collecte et retraitement des déchets dans les îles, technique de pêche, alimentation des poissons d'élevage, épuisement des réserves halieutiques de Méditerranée, réchauffement climatique et montée des eaux etc. Discussion très riche montrant que les problèmes patrimoniaux et environnementaux sont aujourd'hui compris et considérés avec une grande attention. Échanges enrichissants.
Puis les femmes sont réapparues avec l'icône de Saint Georges vieille de plus de 400 ans. Émotion indicible de toutes et tous, qui voulaient la baiser, être pris en photo avec.
C'était le signal de départ de ceux qui étaient venus en bateau-taxi, et qui remportaient Saint-Georges à Khalki pour le mettre à l'abri pendant un an, avant de revenir ici, juste après le 23 avril, dans les futures années
 
 
 
 


En partant, une vieille dame est venue me donner une toute petite croix faite avec les restes des cierges de la cérémonie de bénédiction de Saint Georges, et emballée dans du papier d'aluminium, en me recommandant instamment de la garder précieusement dans le bateau, pour me protéger des tempêtes et des naufrages. (pendant que nous discutions, les femmes en avaient fait un plein sac à l'église, pour les distribuer pendant toute l'année aux êtres chers, comme porte-bonheur, talisman, gri-gri, suivant les situations)
Les "aux-revoirs" et les bons vœux étant terminés, nous nous sommes à nouveau retrouvés entre hommes, mais avec un sujet de discussion bien différent. En fait, ce n'était plus à proprement parler une discussion, mais plutôt la profession de foi de chacun pour dire l'importance qu'il attachait à ces rites et croyances pour son équilibre psychique personnel, ou pour l'harmonie familiale, ou pour la cohésion de leur communauté de village. Émouvant, mais intriguant pour moi, sceptique invétéré et athée impénitent.
Il était temps de se séparer après cette rencontre d'un autre type, conviviale voire chaleureuse, et très enrichissante. Kostas est venu me dire que deux hommes vivaient à présent en permanence dans le village pour ne plus qu'il perde son âme, et qu'à l'unanimité, j'avais reçu en ce jour mémorable le statut de citoyen d'honneur d'Agios Georgios, et d'invité permanent. Rendez-vous fut pris pour l'année prochaine.
Sans cheval comme Saint-Georges, mais avec un voilier, j'ai regagné mon mouillage solitaire d'Emporeios, en me disant qu'une fois de plus, ma vie de bohémien des mers me permettait de faire des rencontres imprévisibles, mais formidables..

Άγιος Γεώργιος (Saint Georges)

la légende

Georges est un saint totalement légendaire, dont l’existence est mise en doute dès le Ve siècle. Né en Orient, son culte est toujours resté vivace en Grèce et en Russie. Les croisades contribuèrent à le diffuser en Occident, où Georges devint un des saints patrons de Gênes, Venise et Barcelone, puis celui de l’ordre Teutonique et le saint national de l’Angleterre (il remplace dans ce rôle Édouard le Confesseur). En outre, saint Georges est, dans toute la chrétienté, le patron des chevaliers.

Né en Cappadoce de parents chrétiens, Georges, officier dans l’armée romaine, traverse un jour une ville terrorisée par un redoutable dragon qui dévore tous les animaux de la contrée et exige des habitants un tribut quotidien de deux jeunes gens tirés au sort. Georges arrive le jour où le sort tombe sur la fille du roi, au moment où celle-ci va être victime du monstre. Georges engage avec le dragon un combat acharné ; avec l’aide du Christ, il finit par triompher. La princesse est délivrée et, selon certaines versions, dont celle de la Légende dorée, le dragon, seulement blessé, lui reste désormais attaché comme un chien fidèle.

Plus tard, Georges est victime des persécutions antichrétiennes de l’empereur Dioclétien. Il subit en Palestine un martyre effroyable : livré à de nombreux supplices (brûlé, ébouillanté, broyé sous une roue, etc.), il survit miraculeusement et finit par être décapité.

Fête le 23 avril

 

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