Bienvenu sur le site de Sabay Dii

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Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

samedi 26 octobre 2013

Une autre vision de Bora Bora

De Bora Bora, je vous ai déjà donné mon avis, un avis mitigé sans grande valeur car étant seulement celui d’un touriste de passage, et qui plus est, vivant sur son bateau. Il est certain que les autochtones ont une vision bien différente de la mienne, plus circonstanciée, plus pragmatique.
Pour ne pas vous laisser sous l’impression de ma vision partielle et trop brève de Bora Bora, voici, une autre façon de regarder ce bout du monde (bdm), à partir d’un extrait d’un petit livre au titre prometteur : « le rêve d’une île » d’Olivier Le Carrer, que j’ai eu la chance de recevoir pour un Noël (merci Claude). Comme il est écrit sur la quatrième de couverture, c’est une « sorte de mode d’emploi décalé de l’île idéale et des moyens de s’y rendre … rédigé par un navigateur familier des archipels, à l’attention de ceux qui ont dans un coin de leur tête l’idée que le paradis peut exister ici-bas, quelque part sur la mer. Mi-sérieux, mi-poétique, entre vade-mecum illustré et récit initiatique, il vagabonde d’une face à l’autre du rêve et de sa concrétisation, proposant une réflexion à la fois amusée et utile sur ce qui nous pousse à partir… et ce qui nous attend dans l’île tant convoitée. » Exactement le livre qu’il me fallait avant d’arriver en Polynésie. Or, figurez-vous que ce livre qui dessine petit à petit, avec humour les contours imaginaires d’un idéal insulaire, se termine par un chapitre dans lequel on découvre que le rêve pourrait bien être Bora Bora … chapitre que je ne résiste pas de vous lire … en l’agrémentant de mes photos …
Pour l’île, donc, je ne vous ai pas tout dit.
Mais vous avez sans doute compris en passant qu’il valait mieux ne pas laisser traîner les yeux dans certaines directions. Dès l’arrivée magique sous le vent de la barrière, même.
Les bungalows se détachant au-dessus du corail au sud de Toopua, vous les avez vus bien sûr, mais vous n’alliez pas gâcher le plaisir pour quelques dizaines de toits de pandanus trop bien alignés. Il y avait tant d’autres choses à regarder. La transparence des brisants sur le récif, le jaillissement vertigineux de la végétation, la simplicité fascinante des motu de l’entrée, la grande histoire de la Polynésie qui sommeille dans ces images superbes.

Vous ne savez pas forcément qu’il s’est passé de drôles de péripéties sous ces cocotiers, mais vous le devinez. Sue le motu Taveiroa, par exemple, épilogue il y a plus de deux siècles d’un trafic rocambolesque autour d’une ancre. L’une des six ancres perdues en 1765 à Hitia’a par Bougainville lors de son inoubliable escale. Ancre récupérée par les Tahitiens – c’est toujours bon à prendre – puis transportée à Raiatea, la mythique Havai Nui, l’île sacrée, mère de toutes les autres selon la tradition. Elle change encore de mains quand Raiatea est conquise par Puni, le roi de Porapora. Oui, c’est bien la première orthographe officielle de l’île, le b n’existant pas dans l’alphabet maohi qui ne compte que treize lettres. A vrai dire, personne ne savait très bien comment prendre ce drôle de nom, les navigateurs européens de l’époque écrivant aussi « Bolabola », sur la foi de la prononciation locale. Et pendant que nos lettrés dissertaient sur l’orthographe insulaire, c’est finalement les pieds dans le sable de Taveiroa, près de dix ans après le passage de la Boudeuse, que l’anglais James Cook va négocier avec Puni la récupération de cette ancre française lors de sa troisième expédition, peu avant d’aller se faire rafraîchir dans les glaces du détroit de Béring puis massacrer chez les Hawaïens.
Votre ancre à vous n’a pas été facile à placer le long du motu Toopua : un mouillage calculé au millimètre, précisément à la bonne distance du rivage pour faire disparaître les bungalows de l’Hilton Resort & Spa derrière les collines et vous garder la verdure et le lagon comme seule compagnie.
Le lendemain, en filant plein sud dans le lagon vers la si belle pointe Farrone, une autre mauvaise surprise vous a encore un peu secoué. Vous ne vous attendiez sans doute pas à l’enfilade d’hôtels sur pilotis qui barre littéralement l’horizon le long des motu de l’est. Votre carte marine n’indiquait pas tout ça. C’est normal, les cartographes ont du mal à suivre par ici. En moins de quinze ans, les coraux de cette partie du lagon ont appris à se pousser pour laisser la place à près de quatre cents bungalows flambant neufs.

Alors, vous avez plutôt regardé sur votre droite, la quiétude parfaitement préservée de la baie de Taimoo, la majesté de la montagne suspendue au-dessus du ravisant village d’Anau, et la beauté sauvage de l’ensemble de ce panorama qui n’a guère changé, à part les discrètes constructions le long de la petite route côtière depuis les premiers voyageurs venus de l’est.
Près de Matira, quand vous avez débarqué pour acheter quelques produits frais, ça n’a pas raté, vous êtes tombé sur un vieil habitué. Le genre à vous parler du bon vieux temps du siècle dernier. Quand Dino de Laurentiis tournait ici Hurricane avec Mia Farrow et Trevor Howard, il y a plus de trente ans, sur fond de motu quasiment vierges, et qu’on ne savait plus où donner de la tête devant tous ces mouillages parfaits qui vous tendaient les bras. Le genre aussi à vous détruire le moral avec d’affreux racontars : les poissons fuyant le lagon en même temps que les jet-skis l’envahissent, les calendriers des vahiné faits avec des mannequins sud-américains, la nourriture des hôtels qui arrive tout droit de Nouvelle-Zélande, la merveilleuse baie du motu Tofari devenue terrain à bâtir, les chiens errants pas commodes, et les habitants qui ont tellement pris goût aux vedettes rapides qu’ils ne savent plus à quoi ressemble une pirogue à voile. Sans parler du pain encore plus mauvais qu’à l’île aux Moines.
A ce moment, vous avez peut-être hésité à hisser les voiles, désenchanté, reprendre le large vers n’importe où en vous noyant dans la belle voix grave de Lhasa chantant Fool’s gold :
Did you ever believe the lies that you told
Did you earn the foll’s gold that you gave me ?
(As-tu jamais cru les mensonges que tu racontais
As-tu bien gagné les illusions que tu m’as données ?)
Heureusement, vous êtes resté, parce que vous savez que les paradis ont besoin d’être apprivoisés. Et vous avez compris que le Bora d’aujourd’hui a beau être un peu plus fréquenté que celui des années cinquante - 1765 habitants et pas d’hôtel à l’époque, 8927 âmes aujourd’hui et 1100 chambres – il gagne toujours à être connu. Oui. Alain Gerbault s’en retournerait dans sa tombe (on peut le comprendre vu l’environnement un peu ingrat de celle-ci sur le port de Vaitape), mais il râlait de toute façon déjà dans les années trente, criant que son paradis fichait le camp et qu’il n’était de bonne Polynésie que celle du XVIIIe siècle, avant la venue des missionnaires.



Evidemment, vous pouvez rêver d’une autre époque. Vous faire du mal en pensant au lagon d’il y a quinze ans – n’oubliez pas que les visiteurs d’alors versaient une larme sur celui d’il y a vingt-cinq an. Mais si vous voulez apprécier les « bouts du monde » à leur juste valeur, il vaut mieux admettre d’entrée qu’ils ont souvent une population autochtone, laquelle est libre de s’organiser comme elle l’entend. Y compris en choisissant des voies différentes de celles souhaitées par les esthètes de passage. Les habitants des paradis ont aussi le droit de vivre.
Ça risque de ne pas vous plaire s’ils aspirent précisément au quotidien d’un citadin moderne. Pas de chance, mais cela n’aurait rien de vraiment étonnant. Nous sommes souvent séduits par ce qui semble manquer dans notre propre environnement. C’est peut-être pour ça que vous êtes venu jusqu’ici, d’ailleurs.
Je peux quand même vous rassurer : personne dans l’île n’a l’air très motivé par la réalisation d’un métro, d’une voie rapide ou d’un centre d’affaire. Tout le monde parait plutôt apprécier à leur juste valeur la majesté du paysage et la prodigalité de la nature.
La beauté du cadre ne suffit pas forcément à vivre mieux, mais elle peut aider à rendre les jours plus lumineux, pour peu qu’on ne lui demande pas de résoudre tout et n’importe quoi. Les problèmes que vous apporterez ici avec vous (rage de dents, brouille conjugale, misanthropie aiguë, découverts bancaires) ont peu de chances de se dissoudre miraculeusement dans le bleu du lagon. En paraphrasant le philosophe Alain de Botton, admettre qu’un comprimé d’aspirine ou une bonne sieste peuvent avoir un effet plus déterminant que le plus beau des atolls constitue un pas essentiel sur la voie de la sagesse.
A l’usage, vous verrez, c’est assez passionnant de réaliser qu’une île de rêve rencontre le même genre de soucis qu’un village de Champagne-Ardennes. Avec des projets qui font polémique, des lotissements qu’on aurait mieux fait d’éviter, des vues divergentes sur la façon d’envisager la voirie. La vraie vie en somme.
Ici, on a parfois du mal à s’y retrouver au milieu des pilotis, mais il se passe plein de choses encourageantes. L’état sanitaire du lagon, qui inspirait des inquiétudes il y a quelques années affiche un net progrès grâce aux efforts de la municipalité et de certains hôteliers. Malgré la polarisation de l’île sur l’activité touristique, les petites productions locales n’ont pas complètement disparu. Il est toujours possible d’acheter des fruits locaux – et notamment les succulents pamplemousses verts, doux et charnus – aux petits stands tenus un peu partout par les mamas, et les pêcheurs proposent chaque jour à l’entrée de Vaitape des poissons exquis tout juste sortis de l’eau.

Surtout, les raies manta que l’on croyait à jamais parties au début des années 2000, chassées par la frénésie de construction et la sollicitude des visiteurs, sont revenues. En partie grâce au fait que tous ces hôtels un peu encombrants sont aujourd’hui au trois­-quarts vides – quand je vous disais que les touristes n’étaient pas trop visibles… à condition de savoir rester patient et discret, vous pouvez à nouveau observer leurs majestueuses évolution en nageant à leur côté. Une aire marine protégée est en projet – chose impensable il y a peu – et des chercheurs s’activent à trouver des solutions pour régénérer les richesses du lagon. En analysant par exemple le comportement de l’atoti, poisson-demoiselle apparemment sympathique, mais capable de déséquilibrer tout le système par sa manie de cultiver des algues qui étouffent le corail.

2 commentaires:

  1. J'aime bien l'expression : "verser une arme" ! (tu vois, je lis attentivement :-))
    Merci pour toutes ces belles photos et tes commentaires documentés et historiques !

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  2. Lapsus rigolo mais corrigé. Heureusement que je t'ai comme relectrice assidue. Bises

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