Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

jeudi 31 octobre 2013

Les Tuamotu en solo à la voile

Je vous ai déjà dit plusieurs fois que naviguer dans les Tuamotu n’était pas une sinécure. Alors comment faire sur un voilier, et en solitaire ?
La première chose à dire est qu’il est tout à fait possible d’explorer à la voile cet extraordinaire archipel sans courir le moindre risque, que ce soit en équipage ou en solitaire. Pour cela, il suffit de respecter impérativement trois règles simples. Quand je dis « impérativement », cela veut dire que la moindre fantaisie dans le respect de ces principes risque de se paye cash par la casse du bateau. Vous voilà prévenu !
Première règle : ne jamais naviguer dans une zone non complètement hydrographiée sans une parfaite visibilité, et ne pas se fier aveuglément aux cartes marines officielles, qu’elles soient sous forme papier ou en version informatique.
Voici un exemple : sur la carte ci-dessous présentant l’atoll de Kauehi, seul le chenal reliant la passe (au sud-ouest) au village (au nord-est) a été hydrographiée. Or la partie la plus intéressante à explorer est la côte est, bien abritée du vent dominant de sud-est pas un motu continu et boisé. Mais elle n’a jamais été hydrographiée.
Et elle est certainement truffée de « patates de corail », c’est-à-dire des blocs de récif à fleur d’eau capables de casser une quille ou un gouvernail, et même de trouer une coque.

Patate de corail repérée dans de très bonnes conditions de visibilité
Mais comment repérer ces pièges sournois ?
Sur certains des rares bateaux que j’ai croisés dans les Tuamotu, j’ai pu voir, perché plus ou moins haut dans le mât, un équipier jouant les vigies, en indiquant au barreur où se trouvaient c redoutables « patates de corail ».
Bonne précaution, mais impossible de faire cela tout seul sur son bateau. D’autant que cette stratégie impose de naviguer au moteur et sans voile. Or tous ceux qui ont eu l’occasion de naviguer beaucoup avec moi (Jef, Claire, Hervé, Natacha, Arnaud, Fabrice, Sébastien, Véro, etc.) savent à quel point j’ai horreur de mettre en route la « brise Volvo ».  Quand je navigue seul, c’est toujours ou presque à la voile, et sans moteur.
Voilà donc comment je m’y prends. D’abord, je ne navigue dans ces zones vicieuses que sont les atolls, que par beau temps et de façon à n’avoir jamais le soleil en face de moi ; par exemple, en allant vers l’ouest en fin de matinée et vers l’est en début d’après-midi. Lunettes polarisantes de rigueur, pour supprimer les reflets du soleil ou des nuages sur l’eau. Et ce n’est pas tout : je navigue sous pilote automatique électronique (et pas avec mon régulateur d’allure mécanique). Pourquoi ? Eh bien c’est tout simple : mon pilote électronique peut se commander à distance. Je me place à l’avant du bateau, la télécommande du pilote en main. Et je scrute attentivement la mer.
 Au moindre doute, quelques impulsions sur les bonnes touches et Sabay Dii change de direction. Si nécessaire (changement important de trajectoire), je retourne au plus vite dans le cockpit pour modifier le réglage des voiles, tout en regardant sur l’écran de mon Interphase.
Interphase ?
Oui ! Mon sonar à balayage horizontal ! Un équipement luxueux que je n’ai vu sur aucun autre bateau de croisière ! Un appareil cher et pas facile à étalonner, mais magique. Un peu comme un radar, il permet de voir à l’avant du bateau mais sous l’eau, il enregistre le profil du relief et il me prévient par une alarme lorsque le fond semble remonter brutalement. Grâce à lui, je peux examiner le profil sous-marin et opérer la manœuvre qui me semble la plus adaptée : déviation, virement de bord ou  empannage. Mais pour ce faire, il est nécessaire d’avoir un bateau très manœuvrant. C’est pour cette raison que je navigue aux allures de près sous grand-voile et petite voile d’avant (la trinquette) au lieu du grand génois. Ainsi gréé, mon beau Sabay Dii est capable de virer quasiment instantanément et sur place. Quant aux allures portantes, c’est sous génois seul que je navigue, ce qui me garantit un risque nul d’empannage violent.
Une fois le danger évité, je retourne à mon poste de gué avancé, car l’important, c’est l’anticipation et pour ça, rien ne vaut l’observation du lointain de visu, la portée d’un Interphase étant limitée à quelques dizaines de mètres, en général.
Deuxième règle : connaître les prévisions météorologiques. Voilà une règle que tous les capitaines sérieux connaissent bien. Mais comme je me plais à le répéter, si le capitaine doit connaître le temps prévu et prévoir sa route en conséquence, le bon capitaine, lui fait tout cela mais prévoit tout autant que les prévisions pourraient bien se révéler fausses. Et ceci, aussi bien pour choisir sa route de navigation que pour déterminer sa zone de mouillage. Voici un exemple récent.
En arrivant dans l’atoll de Kauehi, il y a trois jours, j’ai cherché au voisinage du village de Tearavaro un mouillage bien protégé du vent de nord-est annoncé par tous les services météorologiques s’intéressant à la Polynésie (Météo-France mais aussi Windguru et surtout le service américain de la NOAA qui fournit des fichiers informatique de cartes du vent). Je n’ai pas retenu le mouillage recommandé par les Instructions Nautiques (voir sur la carte ci-dessous la petite ancre dessinée à l’ouest du village) car trop exposé à mon avis, au cas où le vent serait plus nord que prévu. J’ai préféré aller plus au sud du village (Tearavaro Sud) dans un site que j’avais identifié comme bien protégé à la fois des vents d’est et nord par la barrière de corail (couleur marron). Ce faisant, j’ai aussi repéré un autre mouillage au nord du village (Tearavaro Nord) protégé à la fois des vents d’ouest et de sud, au cas où la prévision météorologique serait complètement fausse.

Avant de mouiller, j’avais pris le soin d’aller examiner les deux mouillages. Bonne précaution car, alors que le soir, à mon arrivée, le vent ENE venait effectivement de l’océan (flèche rouge), pendant la nuit, un vent violent de WSW (flèche verte) s’est levé avec une mer très dure, comme c’est souvent le cas dans un atoll. Vu le rodéo épouvantable que subissait mon bateau, j’ai considéré qu’il m’était impossible de rester au mouillage initialement choisi (Tearavaro Sud) sous peine de risquer de déraper sur le récif, et j’ai décidé de lever l’ancre, en urgence, et en pleine nuit, pour me rapatrier sur le site situé de l’autre côté du village (Tearavaro Nord).
Chose pas très facile mais possible, même de nuit par un temps de chien et sans aucune visibilité, car d’une part j’avais pris la précaution de tout inscrire sur la carte électronique que je peux lire de mon cockpit, et d’autre part tout le trajet se trouvait sur une zone parfaitement hydrographié que j’avais déjà parcourue. Donc pas de mauvaise surprise à attendre entre le point de départ et le point d’arrivée. Il me suffisait de naviguer en suivant sur mon écran la trajectoire déjà explorée et enregistrée. Ouf !
Troisième règle : respecter aveuglément toutes les balises de chenal, même si elles paraissent suivre une logique farfelue. En effet, il faut savoir que ces balises sont placées de façon à aller de l’une à l’autre en ligne brisée, en laissant les balises vertes côté barrière de corail, et les balises rouges côté intérieur du lagon. Voici un exemple : le chenal balisé pour aller de la passe de l’atoll de Manihi au motu de mon copain Hotu …
Sur la carte ci-dessous, j’ai rajouté les balises rouges et vertes que l’on voit sur l’eau mais qui ne figurent pas sur la plupart des cartes. On en déduit la trajectoire à suivre (en rouge). Mais quand on sait que la carte indique en bleu les hauts fonds, on est tenté de couper court (trajectoire verte). Suivre cette piste est certainement la plus mauvaise idée que l’on puisse avoir aux Tuamotu, car s’il y a une balise rouge ou verte à respecter, cela veut dire que de l’autre côté de la balise, souvent invisibles à l’œil nu et non représentées sur les cartes, se trouvent de traitresses patates sur lesquelles vous allez vous planter.
Donc aucune fantaisie : lorsqu’un chenal est balisé, on le suit, sans réfléchir, quelle que soit la visibilité, et quelle que soit l’urgence avec laquelle on doit rallier la destination.
Remarque : sur l’exemple précédent, le cheminement sécurisé ne semble pas très éloigné de la route directe, parce que je n’ai représenté qu’une toute petite partie de l’itinéraire. Mais dans son intégralité, la longueur du parcours pour aller de la passe d’entrée dans l’atoll de Manihi jusqu’au motu Maveca est multipliée par deux ou trois selon que l’on choisit la route directe à vue ou le passage par le chenal recommandé. Tentant d’aller tout droit par beau temps quand on est pressé, n’est-ce pas ?
Voilà donc les trois règles que je suis à la lettre, à ma grande satisfaction. Au début, j’avais bien un peu envie de me permettre quelques fantaisies, mais quelques frayeurs et la découverte de tristes épaves m’ont fait comprendre très rapidement que la rigueur absolue était le seul moyen de se faire plaisir aux Tuamotu, plutôt que de s’y faire peur.

Prochainement : comment calculer l’heure pour franchir une passe au bon moment ?

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