Sparsus honor, pelagique potens
Phoebeia donis exornata Rhodos
On combla de présents la reine de la mer,
Rhodes, consacrée à Phébus
Lucain, La Guerre civile, Livre V, 50
La ville de Rhodes fut fondée en 408 av. J.-C.
Deux siècles plus tard, elle est considérée comme une puissance de premier ordre, au même titre qu’Athènes ou que Sparte. Son rôle dans la vie politique, économique et culturelle de toute la mer Égée, et bien au-delà, est prépondérant.
Le commerce est florissant : exportation de produits locaux notamment l'huile et le vin de Rhodes très réputé à l'époque), et surtout commerce des céréales entre l’Attique trop aride et trop stérile pour nourrir les athéniens, et la Syrie. Démosthène ne disait-il pas aux Athéniens dans son discours contre la loi de Leptine : « Savez-vous qu'il n'est point de peuple qui consomme plus de blé étranger que nous ne faisons ? ». Mais les rhodiens ne se limitent pas aux échanges entre la Grèce et l’Asie Mineure. Ils fondent des comptoirs aux quatre coins de la Méditerranée : en Lycie (Gagae et Corydalla), en Cilicie (Soli), en Sicile (Gela), en Italie (Sybaris, Siris, Salapia, Parthenope (l'actuelles Naples)), en Espagne (Rosas, et les îles Baléares), mais aussi assurent le commerce maritime avec l’Égypte. Rhodes frappe sa monnaie qui a cours partout. Les pièces rhodiennes avec la tête radiée de Phébus, le dieu protecteur de Rhodes, sur une face, et sur l’autre, une rose, se retrouvent sur tout le pourtour méditerranéen et même loin à l’intérieur des terres.
La suprématie navale de Rhodes pour le commerce est incontestée. Mais ce n’est pas son seul domaine d’excellence, puisque c’est la flotte rhodienne qui est chargée par toutes les autres cités grecques d’assurer, contre rétribution, la police des mers en luttant contre la piraterie. C’est aussi à Rhodes que fut formulée la « Lex Rhodia de Iactu », c’est-à-dire l’ensemble des textes définissant les règles de base du droit maritime, encore en vigueur aujourd’hui (même s’il a été un peu modifié par la suite). Les règlements pour la police de la mer sont adoptés par tous les grands ports. La loi rhodienne devient d’usage général pour tout le commerce maritime, et elle est approuvé dans un rescrit de l'empereur romain Auguste. Un de ses successeurs, Antonin le Pieux, saisi d'un litige concernant un naufrage à l'ile d'Ikaria, le confirmera en ces termes : « Je suis le maître du monde, mais c’est la loi qui règne sur la mer. C’est par la loi maritime des Rhodiens que le litige doit être jugé ». Pendant ces deux siècles, malgré la présence croissante des Romains, Rhodes ne sera jamais privée de sa prospérité ou de sa prépondérance sur les îles égéennes et les régions traditionnellement sous son influence.
Après mon séjour à Rhodes; au cours duquel j'ai pris conscience de l'importance du rayonnement pendant une très longue période de l'Antiquité, de cette cité minuscule, perdue sur une île apparemment ordinaire, j'en suis arrivé, évidemment, à me poser la question suivante:
Comment une
petite île peuplée d'à peine quelques dizaines de milliers d'habitants, au plus
fort de son histoire, a-t-elle pu avoir un tel rayonnement, un tel prestige, un
tel pouvoir sur tout le monde méditerranéen et même sur une partie de l'Asie
Mineure ?
Pour trouver quelques éléments de réponse, ma première idée fut d’aller visiter le Musée Archéologique où j’ai trouvé de l’information, mais comme vous allez le voir, pas celle que je cherchais
Mais avant de partir au musée, quelques points de repères historiques sur Rhodes (île et cité) sont néanmoins nécessaires pour pouvoir tout comprendre de la visite :
- Sur l'île de Rhodes, qui est très proche du continent (visible à l’œil nu sans problème), de nombreux éléments trouvés par les archéologues attestent d’une présence humaine depuis au moins 1700 av. J.- C., en des lieux qui montrent clairement que le site n’était pas choisi au hasard, mais en raison de ses baies et aussi des argiles particulièrement intéressantes pour la céramique
- Vers 1200 av. J.- C., après le passage successif de quelques visiteurs ne cherchant pas à établir de colonie, commence l’hellénisation de l'île, avec l’installation des Doriens, à la fois redoutables guerriers et remarquables commerçants, qui fondent les trois cités de Ialyssos, Lindos et Kamiros, pour établir un réseau de relations commerciales avec la Grèce, la Phénicie, la Crète, et plus tard Corinthe, l’Egypte et Chypre. Le choix de l’île n’est encore pas dû au hasard, mais à sa position stratégique au carrefour des routes maritimes entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
- Pendant 8 siècles, les trois cités coexistent de façon plus au moins autonome : Lindos sur la côte orientale (un petit bijou naturel où Sabay Dii est allé mouiller son ancre et dont vous allez voir prochainement des photos), Kamiros située sur la côte occidentale (où je me suis rendu en voiture) et enfin, au Nord, à quelques klomètres à peine de l'actuelle ville de Rhodes, Ialysos qui fut découverte par deux archéologues amateurs, mais dont on ne peut voir grand chose, d'autant que presque tous ses trésors archéologiques ont été emportés sans scrupules au Musée du Louvre et au British Museum. On sait assez peu de choses de cette très longue période, si ce n’est quelques soubresauts : par exemple qu’entre la fin du VI e siècle av. J.- C. et le début du V e, Kamiros se retrouva sous domination perse. On sait aussi qu’au V e siècle av. J.- C. (de 471 à 412), les trois cités faisaient partie de la très puissante « Ligue de Delos », une confédération de petits états sous le contrôle d’Athènes, ce qui, bien sûr, n’était pas du goût des Spartiates. Malgré quelques turbulences, l’île devient rapidement une étape incontournable du trafic maritime de toute la région. L’intérêt de l’île est renforcé pas la présence de chantiers navals très réputés. C'est cette très longue période que l'on appelle la « période archaïque ».
- Puis, en deux ans, quelques évènements vont changer le cours de l‘histoire de Rhodes. Le premier date de 412 av. J.- C., avec la décision conjointe des trois cités de s’émanciper de l’autorité d’Athènes pour se structurer en une cité-état indépendante, la Cité-État de Rhodos, tout en maintenant des relations privilégiées avec les ports continentaux de la Carie et de la Lycie. Un an plus tard, en 411 av. J.- C., les Spartiates, partis de Cnide (un superbe endroit sur la côte turque où j’ai fait escale l’an dernier, en remontant vers les Dardanelles), débarquent à Kamiros avec 94 navires, conquièrent la ville qui n’étaient pas fortifiée, et obligent les habitants à se soumettre au contrôle de Sparte. En 408 av. J.- C., dans ce contexte incertain qui pèse sur l’économie florissante de toute l’île, les trois cités de Ialyssos, Lindos et Kamiros, qui n'imaginaient pas à l'époque que cela allait conduire à leur déclin (très rapide, surtout pour Ialysos), décident de la création de nihilo d’une nouvelle ville, au Nord de l'île. Elle s’appellera Rhodos.
En route pour une visite accélérée et résumée du Musée Archéologique de Rhodes et de ses trésors, même si les plus belles pièces de Rhodes ont été appropriées par les musées les plus riches d'Europe, comme d'habitude !
L'étage supérieur. Le couloir voûté est bordé de petites salle qui abritent les collections du musée. |
On y trouve essentiellement des objets découverts au cours des excavations des archéologues italiens installés à Rhodes, et en particulier à Kamiros, (1912 - 1948) : poteries, bijoux, objets votifs déposés par des pèlerins venus de toute la Méditerranée, éléments funéraires, ...
L'Aphrodirte marine de Rhodes (26 cm de haut) |
Mosaïque
de la basilique d'Arkasa située sur l'île voisine de Karpathos (une des
rares pièces qui ne date pas de la période antique) |
En sortant du musée, j’ai, comme à mon habitude, fait le point sur ce que je venais de voir, d’apprendre, et surtout de comprendre grâce à cette visite, en particulier à propos de la période antique de Rhodes
Je venais de voir un superbe bâtiment mais qui datait des Chevaliers de Saint-Jean et non de la période qui m’intéressait. J’avais vu un grand nombre de superbes sculptures et énormément de poteries, de petits objets votifs, provenant de divers lieux de l’île et même des îles voisines.
J’avais été très surpris d’apprendre comment étaient
élaborés ces décorations très connues de vases sur lesquels les personnages
sont en noir brillant, procédé très sophistiqué reposant sur, entre autres, trois cuissons très particulières.de la céramique.
L'un des très nombreux superbes vases à figures noires du musée. |
Les personnes intéressées trouveront un bon article sur le sujet dans wikipedia .
https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9ramique_%C3%A0_figures_noires.
Avec la visite successive des diverses salles exposant des poteries, j'avais bien saisi la chronologie de l'art de la poterie en Grèce, l'origine des influences qui ont fait évoluer les techniques, etc..
J'avais aussi été très intéressé par la dernière salle située
juste avant la
sortie du musée (et que presque tout le monde rate), qui traite de l'apparition de l'écriture en Asie Mineure en s'appuyant sur un ensemble très varié de matériaux archéologiques (statues, bornes, dalles funéraires, etc.).
Néanmoins, en reconsidérant à tête reposée cette visite très agréable d'un point de vue esthétique, je constatais que je n’avais pas appris grand chose à propos de l’île et de la ville de Rhodes. Aucun plan historique de la cité, pas de maquette, ni de tableau permettant d'identifier des grands moments de son histoire. Et bien sûr, aucun outil pédagogique moderne : ni vidéo, ni atelier interactif.
En résumé, ce musée a de splendides collections, mais il se contente d’en faire une monstration, certes accompagnée d'explications, mais centrées uniquement sur l'art grec en général, et donc relativement décontextualisées. Il est dès lors quasiment impossible de relier cette abondance de trésors au développement concomitant de la cité. Dans cette logique, il est normal que la visite puisse se faire linéairement ou pas, ce qui se manifeste in situ par le défilement rapide des visiteurs qui, soit papillonnent, soit glissent d’un mouvement uniforme d’une salle à une autre, sans vraiment se poser. On est donc très loin des standards muséographiques actuels tels qu’on peut les apprécier dans des musées modernes comme le Narbo Via de Narbonne qui s’intéresse à l’histoire de cette ville à une période sensiblement identique, mais dont on ressort avec le sentiment d’avoir participé à la vie de l’époque grâce à des projections 3D dans des salles dédiées, et surtout d’avoir compris, en circulant au milieu des œuvres, les tenants et les aboutissants de l’entreprise ayant conduit à la création et au développement artistique, mais aussi économique et politique de la cité.
Ayant déjà bien circulé dans la ville de Rhodes, et ayant constaté de visu que, de cette période hellénique d'une incroyable prospérité, il ne restait que
très peu de vestiges en plein air, certainement à cause des nombreux tremblements de terre, mais aussi des nombreuses civilisations qui s'y sont succédées, j'ai pensé dans un premier temps à aller faire un saut du côté des autres cités antiques de l'île, en espérant y trouver plus de vestiges et surtout d'explications, car, paradoxalement, il est bien connu qu'une cité qui est abandonnée subit
moins l'outrage du temps que si elle est conquise. J'ai donc loué une voiture pour faire le fouineur de ruines à
Kamiros, puis à Lindos, où je suis retourné en voilier ; des photos de
cela dans quelques jours.
Mais pour satisfaire ma curiosité inassouvie par cette visite de musée, j’ai avant tout dû me plonger dans la littérature dont je disposais sur le bateau, et surtout dans la débauche d’articles qui pullulent sur Internet. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que le pire côtoie le meilleur, et que le plus généraliste et/ou superficiel article pour promouvoir le tourisme de masse renvoie les articles les plus intéressants, sérieux, spécialisés au fin fond du classement des moteurs de recherche. Heureusement, j’avais du temps et du wifi gratuit et très rapide pendant les neuf jours que j’ai passés à la marina de Rhodes, en attendant que ce furieux Meltem se calme.
D'où, pour bientôt, des images de mes visites extra muros, et mes réflexions sur quelques raisons économiques, politiques, stratégiques, très particulières auxquelles j'ai été plus sensible (modèle d'urbanisation, type de bateaux, organisation sociale et juridique de la cité, contrôle de la monnaie, ...) qui, à mon humble avis, on du influer fortement sur le cours de l'histoire rhodienne, et contribuer à l'irrésistible ascension de Rhodes.
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