Comme je vous l’ai dit précédemment, j’ai loué une
petite voiture pendant une journée pour aller voir les vestiges de deux des
trois cités antiques à l’origine de la création de la ville de Rhodes, à savoir
Kamiros, sur la côte occidentale de l’île, et Lindos, sur la côte orientale. Mais
tant que j’y étais, j’avais aussi programmé une balade à Petaloùdes, dans la très
réputée Vallée des Papillons, l'un des hauts lieux du
tourisme local qui draine plusieurs centaines de milliers de
visiteurs chaque été.
Rendez-vous à 9 heures du matin à la marina pour
récupérer une Fiat Panda (30 € / 24 h, assurance
tout risque comprise). Pas de caution, juste une signature sur un formulaire
officiel avec l’immatriculation du véhicule, mon nom et le numéro du permis
de conduire, avec la date et l’heure de prise en main du véhicule. Un
point c’est tout. Deux minutes plus tard, toutes fenêtres ouvertes, je démarrais,
pour une belle journée de vadrouille terrestre, ...
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... pendant que Sabay Dii, bien
amarré, encaissait (on dit "étalait" chez les marins) docilement le coup de vent. |
Départ vers le Nord pour faire le tour de l’île (ou
presque) dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
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En rouge, mon trajet de la journée
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J’ai donc dû
traverser la ville de Rhodes, ce qui se fait très facilement et rapidement, si
on longe la côte. Le vent soufflait déjà fort. La mer sur cette côte occidentale très exposée était
bien agitée, comparée à l’autre côte, où les moutons n’étaient visibles qu’au
large.
Petit arrêt au niveau d’Ixia pour m’acheter un
casse-croute, et je bifurquais sur la gauche pour entrer dans les terres, en
empruntant de toutes petites routes serpentant au début parmi des champs, puis sous
le couvert de pinèdes et de belles forêts d’arbres très variés, à la moindre
petite côte. En quelques minutes, j’avais eu l’impression de passer d’une lande
sèche et accablée de soleil, à un alpage baigné de fraîcheur. Parfois, c’était aussi les restes d’un bois de pins détruit
par un incendie, mais dans l’ensemble, dès qu’on s’élève un peu, on est étonné
par la densité de la végétation et aussi par le nombre incroyable de gués
(souvent à sec) aménagés pour le passage des rares véhicules, preuve qu’il doit
y avoir pas mal de pluie en hiver. |
La Grèce a connu de terribles incendies, ces dernières années.
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Vers 10 heures, j'arrivais au parking de la Vallée des Papillons. Ceux qui me connaissent bien doivent imaginer que j'étais tout excité à l'idée de pouvoir photographier des papillons. Eh bien, figurez vous que non, car je n'étais pas venu pour cela. Oh ! Je devine que vous pensez que, soit j'avais un problème de matériel photo, soit que les photos étaient interdites, ou que sais-je encore. Eh bien, encore non ! Car je savais que cette vallée n'est fréquentée que par une seule variété de papillon, le Parnassia Quadripunctaria, un très joli papillon nocturne qui se retrouve ici en quantité
phénoménale, mais seulement de juin à septembre. Or on n'était qu'au début du mois de mai. N'est ce pas ?
Ce papillon n’est autre que l’une des quatre
sous-espèces de l’Ecaille chinée, un
papillon nocturne que l’on trouve un peu partout, mais nulle part ailleurs, avec une
telle concentration. Son nom scientifique est l’Euplagia quadripunctaria
rhodosensis, (Daniel, 1953), mais ici on l’appelle Parnassia Quadripunctaria,
ce qui n’est pas une erreur de nomenclature, vu qu’il y a encore des
discussions de spécialistes pour savoir si on le classe dans le genre Euplagia
ou Panaxia. Vous
en avez probalement vu, car on le rencontre partout en France et dans une grande partie de l'Europe. Sa particularité qui vous l'a fait peut-être
repérer, c'est qu'il est très beau pour un papillon de nuit, que ce soit posé avec ses ailes
tigrées de noir et blanc (les anglais l'appellent d'ailleurs, le Jersey
tiger moth), ou en vol, lorsque ses ailes déployées colorées de rouge
vif laissent voir les quatre petits points noirs qui lui valent son non
scientifique.
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Au repos, ailes "fermées"
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En vol, ailes déployées
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Évidemment, je ne m’attendais pas à voir ce papillon qui, à ce moment de l’année, n’a
pas encore atteint sa phase de joli lépidoptère volant. J’étais venu ici pour admirer cette
magnifique vallée avec ses aliboufiers en fleur, son joli court d’eau
bruissant, ses cascades brillant au moindre rai de lumière, bref pour l’atmosphère fraîche et tranquille.
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Cascades, fraîcheur, quiétude. On est pourtant à Rhodes !
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Ce dont je ne me doutais
pas, c’était que cette vallée grimpe autant et si longtemps (compter une bonne
heure et demie de grimpette en marchant tranquillement), ce qui en été, avec la
cohue et la chaleur, doit décourager pas mal de monde. Mais l’endroit est
tellement charmant, et parfaitement aménagé, tout en restant très « nature ». Heureusement,
car le personnage principal de la scène est quand même l’Euplagia
quadripunctaria rhodosensis dont le biotope doit être préservé.
Les photos que j’ai vues à l’accueil m’ont fait penser
au Michoacan, cet endroit incroyable du Mexique où je m’étais rendu pour voir
les Monarques se regroupant par centaines de millions avant leur migration.
Au sujet de la migration du monarche, voir ce que j'avais mis dans le blog en 2012 :
- https://sabaydii.blogspot.com/2012/07/la-migration-du-papillon-monarque.html
- https://sabaydii.blogspot.com/2012/07/les-monarques-se-preparent-pour-la.html
Pourquoi une telle concentration, tout-à-fait exceptionnelle seulement
ici, alors qu’ailleurs en Europe, on ne trouve cette espèce que très disséminée ?
Plusieurs raisons. D’abord le climat de l’île de Rhodes
qui peut se résumer en deux saisons : un été chaud et le reste de l’année sans
grand froid, mais avec pas mal de pluie. Ensuite la fraîcheur du lieu due à la petite rivière qui coule
toute l’année dans cette étroite vallée. Ensuite le fait que le couvert végétal
à feuilles persistantes est très important et ne laisse presque jamais passer le soleil, ce qui pour un
papillon nocturne est fondamental. Et enfin, la présence de l’aliboufier, un arbre
qu’aime particulièrement la chenille de ce papillon.
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Feuilles de l’aliboufier |
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Feuilles de l’aliboufier |
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Fleurs de l’aliboufier - J'étais par contre au bon moment pour la floraison de l'arbre.
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Tout beau papillon a été une belle chenille. A méditer !
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La vie de l'écaille chinée est assez étonnante. Dans sa phase
papillon, elle commence à la fin du mois de mai et se termine en août, au
moment de l’accouplement. En septembre, les femelles se
déplaçant uniquement la nuit, vont pondre leurs œufs sur des plantes à feuilles persistantes et des feuillus. Chaque
femelle pond une centaine d’œufs d’une taille inférieure à un millimètre, puis
meurt. Les chenilles émergent au début du mois d’octobre, période à laquelle
les pluies commencent en Méditerranée. Elles ont alors plein de nourriture à leur disposition. Le
plus étonnant est que ce papillon ne se nourrit que pendant cette phase de sa
vie, qui dure tout l’hiver. Début mai, la chenille se transforme en chrysalide,
puis quelques temps plus tard, émerge le papillon, dans sa magnifique robe
colorée. Dès lors, il ne se nourrit plus, mais il a stocké beaucoup de
graisse dans son corps. C’est le carburant de l’été, à la fois pour la
reproduction et la survie.
Quelques photos du papillon glanées sur Internet ...
Pour
les entomologistes, cette vallée offre des conditions idéales pour la
reproduction de cette espèce de papillon, ce qui explique son abondance,
voire son endémicité. Mais l’endroit n’est pas dépourvu de dangers ;
les lézards, les guêpes et même les araignées sont ses ennemis, sans
compter la principale menace, la chauve-souris qui partage le même
biotope.
Et puis, il ne faut pas se voiler la face, il y a les
touristes, une espèce extrêmement dangereuse, qui arrivent en masse au moment
où le papillon est en jeune. Il doit donc s’économiser, et j’ai du mal à
imaginer que l’ambiance soit reposante, avec les braillement, les
gesticulations, et même les claquements de mains pour le faire s’envoler, ce
qui est le plus traumatisant pour lui, car cela produit des fréquences proches
de celles du vol de la chauve-souris.
Ah ! Heureux les Euplagia
quadripunctaria de nos campagnes et de
nos greniers qui n’ont pas à faire le spectacle pendant l’été.
Pour les amateurs, comme moi, de macrophotographie d'insectes (y compris papillons), voici quelques articles de ce blog avec mes photos perso. :
- https://sabaydii.blogspot.com/2019/07/mais-quel-est-don-cet-insecte.html
- https://sabaydii.blogspot.com/2018/01/a-la-chasse-aux-papillons.html
- https://sabaydii.blogspot.com/2013/01/papillons.html
- https://sabaydii.blogspot.com/2012/07/des-papillons-en-veux-tu-en-voila.html
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