En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?
lundi 11 avril 2022
Ça commence mal !
A peine cette croisière démarre-t-elle qu'il faut déjà revoir le calendrier, faire des réparations, et surtout se mettre à l'abri. Quelques explications qui vont refroidir ceux qui croient que la croisière est une sinécure.
Comme prévu, je suis parti dimanche matin de Finike, accompagné des vœux de bon voyage de quelques bons camarades de quai.
Mr & Mme Oka, un couple de navigateurs turcs sympas, serviables et toujours souriants.
Pour ce départ, j'avais la chance d'une prévision météo très favorable, confirmée dès la première heure par le ciel d'un bleu pâle prometteur, un soleil chaud dès son lever, et un air calme. Alors que j'aurais aimé larguer les amarres dès 9 h, j'ai du attendre une heure de plus car, avec ma manie de puriste qui a horreur de naviguer au moteur, il me fallait attendre d'avoir quand même un léger frémissement de brise pour pouvoir avancer.
Mon copain Tony, navigateur solitaire et bon vivant anglais est aux amarres.
La journée va se dérouler parfaitement. C'est à Polemos Bükü, un mouillage que je connais bien au bout de la
rade de Kekova, que je jette l'ancre, vers 17 h, après 30 miles
nautiques de route (c'est bien plus que la distance entre les deux
points, car il m'a fallu tirer des bord contre le vent).
J'avais initialement prévu de m’arrêter à Andraki, mais comme dans l'après-midi le vent a forci, j'ai décidé d'en profiter pour aller plus loin, et diminuer ainsi la longueur de l'étape suivante.
Un repas léger (cuisse de poulet et olives) puis tisane, et au lit. Nuit calme.
Pourtant, vers 5 heures et demi, je me réveille avec la désagréable impression que le temps change.
La rade de Kekova vue depuis le mouillage de Polemos Bükü.
Effectivement, en mettant le nez dehors, je constate la présence dans le ciel, côté Nord, de quelques nuages qui ne me disent rien de bon.
Ce nuage lenticulaire a des "mèches", ce qui signifie un vent très fort en altitude.
Comme la météo n'annonce rien de bien méchant, je ne m'en inquiète pas outre mesure, mais décide néanmoins de ne pas traîner. Et à 6 heures, Sabay Dii est sorti de la rade de Kekova.
En route vers la sortie de la rade, grand largue sous génois seul (je hisserai la grand-voile dehors). On voit la passe à droite.
Direction plein Ouest vers la prochaine destination, la marina de Kaş où j'ai réservé deux nuitées. Finalement le temps est clair malgré ces quelques nuages qui m'ont chagriné au réveil, et tout marche pour le mieux.
Mais vers 8 heures, une houle apparaît, venant de l'Ouest, ce qui n'est jamais bon signe, car la houle est toujours annonciatrice du vent fort qui lui a donné naissance, et comme ces ondes dans l'eau se propagent plus vite que ne se déplace une dépression, cela veut dire qu'après la houle arrive le coup de vent. Heureusement, comme d'une part j'ai réduit la distance à parcourir grâce à la rallonge de la veille et que d'autre part, je suis parti tôt, je ne suis plus loin de Kaş : une heure de navigation tout au plus. Mais cette zone de navigation est compliquée par la présence de nombreux îlots et récifs, par de forts courants, et par la frontière maritime entre la Turquie et la Grèce qu'il faut impérativement respecter, car on se trouve du côté de Kastelorizo, qui est une zone de tension du fait de la volonté des turcs de récupérer cette île qui faisait partie de l'Empire Ottoman.
La frontière entre Kastelorizo et la Turquie
Courants, îlots, récifs en plus de la frontière
Alors que j'approche de l'îlot turc Sarada (ou Sariot Adasi), le vent forcit brutalement. Je remplace le génois par la trinquette pour diminuer la surface de voilure à l'avant du bateau. Mais comme la mer commence à se former, je choisis de me diriger vers l'île grecque de Strongyli car le passage est plus large qu'entre Sarada et le continent. En effet, pour des raisons de sécurité, il ne faut pas passer dans une zone dangereuse lorsque le vent pousse à la côte, or en l'occurrence, il vient de l'Ouest.
Cette option sera la bonne, car en quelques minutes, c'est un vent de folie qui souffle. J'ai juste le temps de mettre le premier ris qu'il faut mettre le second. Comme on approche les 35 nœuds (force 7), je décide d'affaler carrément la grand voile avant de passer entre les îlots et récifs qui parsèment la zone Est de Kastelorizo. Mais pour affaler une grand voile, il est impératif de se mettre face au vent, même s'il est très fort, et pour cela on se sert du moteur pour maintenir la position. Alors que je fais ma manœuvre, le bateau dérape d'un seul coup, comme si je venais de perdre l'hélice : il tourne comme une horloge mais sans propulsion.
Comme c'est souvent le cas, les incidents s'enchaînent : le bateau se met en travers du vent et des vagues, la voile prise de travers dans la tempête arrache les suspentes du lazzy bag qui se vide de sa voile dans le cockpit et une des suspentes vient se coincer dans une poulie de la trinquette. Rien ne va plus !
Dans un boucan infernal de voiles et de cordages qui claquent de toute part, dans les paquets de mer qui volent au dessus du pont, avec les sauts du bateau qui décolle à chaque vague, il me faut faire face simultanément à une multitude de tâches : maintenir le bateau dans la bonne direction, sans qu'il offre son flanc aux vagues, faire du rangement en fagotant la grand voile qui menace de partir à la mer, et sans me blesser avec les écoutes qui volent de tout côté, aller faire l'acrobate pour décoincer la poulie de trinquette qui avec tous ces évènements est devenue mon seul moyen de propulsion.Heureusement que je suis venu là car j'ai de l'eau sous mon vent, et peux faire ce que j'ai à faire sans frôler la catastrophe.
Reste à faire le choix de la stratégie : mettre à la fuite et repartir pour Kekova contre le courant, ou profiter de ce courant qui va me pousser entre les récifs avec, je l'espère, un peu moins de vent lorsque je passerai à l'Est de Kastelorizo. Après avoir bien examiné la trajectoire du bateau depuis que tout va mal, je choisis la deuxième option, quitte à franchir la frontière, alors que deux bateaux de la marine grecque sont sur zone. Pour avoir leur clémence, je signale par radio ma situation, en m'excusant de devoir couper la ligne à plusieurs fois pour rejoindre la rade de Kaş, seule zone où je peux trouver un abri. Comme prévu, pas de réponse, ce qui est normal pour un bateau militaire.
Il va me falloir plus d'une heure pour faire le petit mille qui se trouve dans la zone la plus dangereuse, mais en restant toujours à distance de sécurité des divers dangers.
Une fois cet obstacle majeur franchi, je dois remonter au vent pour rejoindre l'entrée de la rade de Kaş, et là ce n'est pas gagné sous trinquette seule car le vent a encore forci, et il va me falloir tirer des bords dans des claques de folie et de grosses vagues qui commencent à déferler. Maintenant, c'est une question de patience et de calme.
Louvoyage sous trinquette seule dans la tempête (le vent et les vagues arrivent de l'Ouest)
Et effectivement, au bout d'une autre heure, j'arrive à l'embouchure de la rade. Je peux maintenant me mettre vent arrière dans la houle et les vagues et rouler la trinquette pour être à sec de toile. Le bateau sans voile file à plus de 8 nœuds droit vers la marina que j'essaie de contacter depuis le début des évènements mais qui ne répond toujours pas.
Ce n'est que lorsque j'arrive à 300 m des quais que quelqu'un me répond. Ils comprennent la situation pour me prendre en charge, mais le vent est si fort et les vagues si hautes, qu'on ne peut imaginer caser un bateau entre deux voisins. La seule solution est le quai des carburants, mal exposé, mais sans obstacle. Sans moteur je réalise la manœuvre d'abordage et cinq ou six personnes accourent pour récupérer mes amarres et protéger la coque de Sabay Dii qui va dériver vers le quai.
Tout est fini. Pas de gros dégâts mais plein de choses à réviser, notamment ce problème de moteur qui propulse par intermittence. Une semaine ne sera pas de trop, d'autant qu'on annonce une grosse tempête pour le weekend sur Rhodes, où j'avais prévu d'aller après Kaş.
Sabay Dii enfin à l'abri, mais bien secoué quand même (notez l'état des housses de pare-battages refaites à neuf après une demi-heure au quai des carburants).
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