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jeudi 27 octobre 2016

Les îles Banda, un archipel aux épices rudement convoitées *

Titre emprunté avec quelques citations et images à un article de Franck MICHEL paru en juillet 2012 retraçant l’histoire tourmentée des îles Banda.


Les îles Banda ont été « découvertes » officiellement par les Portugais, en 1512, peu après l’établissement de leur comptoir à Malacca, et cette découverte va être le début d’une histoire incroyablement tourmentée qui tient en un mot : la muscade. Dans la réalité, Banda avait été « découverte » depuis bien longtemps, comme de nombreuses autres îles des Moluques, d’ailleurs. Ainsi, on a la preuve de la présence de clous de girofle sur le site de Terqa en Syrie en 1721 avant J.-C. alors qu’on sait pertinemment que les clous de girofle ne pouvaient provenir, à l’époque, que de Ternate, au nord des Moluques ! Quant à la muscade, depuis plus de 4000 ans, elle a été utilisée dans les cours d’empereurs, de pharaons et autres princes, alors que le muscadier est un arbre indigène, originaire uniquement des îles Banda. Ces épices étaient très précieuses car elles servaient à conserver les aliments autant que à faire la cuisine, mais aussi comme médicaments, surtout au Moyen-Âge où la muscade était considérée comme le seul moyen de se prémunir de la peste bubonique. D'où un commerce plus ou moins informel, par l’entremise de marins profitant de leurs voyages pour rapporter dans leurs cales des sacs de bois de cannelle, de clous de girofle et de noix de muscade, entre les Moluques et l’Inde, la Chine, l’Europe et l’Afrique. C’était le tout début de la « route des épices ».
     

Noix de muscade, clous de girofle, bâtons de cannelle

Le fruit du muscadier enrobant la précieuse noix
Mais revenons à la pseudo-découverte de Banda par les portugais en 1512. Cette date peut être considérée comme le point culminant d’une quête de 1500 ans de la part des Européens pour atteindre les fabuleuses îles des épices, mais en ce qui concerne l’archipel de Banda proprement dit, comme vous allez le voir, c’est le début d’une histoire terrifiante…
Étonnamment, les Portugais ne vont pas s’installer à Banda, préférant les deux îles du nord des Moluques – Ternate et Tidore – cœur du commerce des clous de girofle. L’équipage de la flotte portugaise, dirigée par Francisco Serrao, qui apprécia l’hospitalité des autochtones, se contente de séjourner un mois sur place, avant de remettre les voiles.
Les Hollandais arrivent à Banda en 1599 talonnés de près par les Anglais qui ne voulaient pas rester sur la touche dans cette conquête des lointaines îles aux épices. Les Hollandais s’installent durablement à Banda Neira, souhaitant s’enrichir mais surtout obtenir le monopole du commerce des épices dans toute la région. Pour cela, les colons hollandais négocient avec les chefs des villages de Banda des règles et des traités très déséquilibrés afin que l’exclusivité du commerce des épices puisse leur revenir. Les habitants des îles Banda se retrouvent alors soumis à un diktat qui les oblige à consacrer toutes leurs terres à la production d’épices, et surtout de noix de muscade. Non seulement, ils sont obligés de travailler pour les hollandais, mais ils ne peuvent plus produire ce qui était indispensable à leur consommation, d’où la nécessité pour survivre de devoir acheter des produits d’importation dont les hollandais ont le monopole, évidemment. Des tensions entre colons néerlandais et autochtones insulaires apparaissent rapidement et en 1609, une rébellion survient après la construction, contre l’avis des chefs locaux, du fort Nassau de Banda Neira. Prétextant une renégociation des accords commerciaux, des chefs coutumiers de Banda montent une embuscade en proposant une rencontre avec les Hollandais au fort Nassau précisément : l’amiral Verhoeven et 42 de ses subordonnés sont massacrés.
A partir de ce drame, les Hollandais dont la présence à Banda n’était jusqu’alors que sporadique, considèrent que la conquête totale de l’archipel s’impose, d’autant que les Anglais qui pratiquaient déjà le commerce de la muscade avec les îles voisines de Ai et de Run cherchent à s’installer sur tout l’archipel de Banda. La vengeance des hollandais va être terrible. Mûrement préparée, et dirigée par l’infâme Jan Pieterszoon Coen, nouveau gouverneur général de la VOC, la conquête sanglante a lieu en 1621. Les Hollandais débarquent de 13 vaisseaux armés une troupe de 1500 soldats qui vont occuper la quasi-totalité de l’archipel, puis capturer les 44 chefs traditionnels qui seront exécutés en public au fort Nassau dans le but de soumettre l’ensemble des villageois. Dans la foulée, sur une population totale estimée à cette période à environ 15000 personnes, au moins 14000 sont tuées (dont tous les hommes de plus de quinze ans) ou exilées (dans les îles Kai notamment).

 

A gauche, portrait de Jan Pieterszoon Coen, gouverneur général de la VOC, et bourreau des habitants de Banda, surnommé « le boucher de Banda », au début du XVIIe siècle.
A droite, le tableau (qu’on trouve au musée de Banda Neira) qui retrace l’épisode dramatique du massacre des 44 chefs traditionnels (les « orang kaya ») dans l’enceinte du Fort Nassau en 1621, sous le commandement du « roi Coen ».


Sans la moindre résistance, les colons hollandais peuvent prendre possession des terres. Les planteurs hollandais (dénommés « perkeniers » en néerlandais) s’entourent d’esclaves qu’ils ont fait venir d’autres îles d’Insulinde et créent un empire commercial, ici basé sur les noix de muscade, qui comptera autour de 70 plantations dans le seul archipel des îles Banda, notamment sur les îles Banda Besar et Pulau Ai.
Il reste cependant une île de l’archipel, située à seulement 10 km de Banda Neira, qui échappe à la Compagnie des Indes Orientales (la fameuse VOC) et au « roi Coen ». C’est Run, ultime possession anglaise tenue courageusement par Nathaniel Courthope face à l’hégémonie hollandaise. Véritable héros romanesque dont l’épopée a été magistralement décrite dans un livre de Giles Milton (Nathaniel’s Nutmeg, Londres, Sceptre, 2005), Courthope sera capturé et assassiné par les hommes de main de Coen. Défaits partout dans les Moluques, les Anglais sont contraints de décamper mais non sans négocier astucieusement le « prix » de Run. Le traité de Breda, signé en 1667, précise l’échange entre deux îlots très éloignés l’un de l’autre : Run revient à la Hollande tandis qu’en échange l’Angleterre reçoit Manhattan dans ce qui était alors la Nouvelle Amsterdam (plus tard New York). A cette époque, personne n’aurait pu imaginer le destin de Manhattan dès le siècle suivant, et le sort oublié dans lequel va sombrer Run !
La garnison anglaise une fois partie de Run, les Hollandais vont occuper les lieux, couper tous les muscadiers et mettre tous les hommes adultes en esclavage. Au XIXe siècle, l’archipel de Banda – à l’instar des Moluques en général – ne sera plus ni rentable ni en vogue, et il retrouvera une pesante tranquillité dont les autochtones avaient oublié jusqu’au souvenir. Des autochtones à la génétique complexe, car à la suite du génocide du « boucher de Banda », les milliers d’hommes « manquants » ont été remplacés par des travailleurs makassars soumis, des coolies javanais dociles, et des esclaves timorais et papous contraints de travailler dans les plantations de muscade. Plus tard, ces nouvelles populations locales ont été rejointes par des marchands Européens, Chinois, Bugis et des Arabes apportant l’Islam. On pourrait croire que cette mixité soit un gage de tolérance pour les années suivantes, mais il n’en est rien. Au premier trimestre 1999, au début des affrontements inter-religieux dans les Moluques, les îles Banda ne seront pas épargnées : églises incendiées, maisons brûlées, et des dizaines de victimes, surtout à Banda Neira et à Banda Besar. Des villageois chrétiens sont assassinés dans leurs maisons ou sur leur plantation, y compris ledit dernier perkenier Wim de Broeke, descendant d’une longue et riche lignée de planteurs hollandais. Certains chrétiens se convertissent de force à l’Islam, d’autres – la plupart – fuient et s’embarquent pour d’autres îles. Les Chinois ne sont pas épargnés.
Pourtant, quand on se promène aujourd’hui dans les rues de Banda Neira, on ne perçoit aucune tension, aucun clivage ethnique, culturel ni religieux. Les enfants jouent ensemble, et il n’y a pas de quartier-guetto. A croire que tout est « normal ». Une impression générale pour qui voyage en Indonésie, une nation qui semble « habituée » aux brassages de toute sorte. Une impression que je partage peut-être naïvement mais qui sera néanmoins renforcée tout au long de ce rallye assez extraordinaire, où, à chaque étape, nous seront reçus par des gens de confessions différentes se donnant la main, travaillant, jouant, dansant ensemble et répétant inlassablement que tout cela est de l’histoire ancienne.

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