Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

dimanche 23 juin 2013

"Un dur, un vrai, un tatoué"

Avant de vous montrer les Tuamotu, laissez-moi vous conter une incroyable petite histoire qui m'est arrivée à Nuku Hiva, la plus grande des îles du groupe nord des Marquises, celles où nous avions atterri après notre traversée du Pacifique oriental.

Dans le sud de cette île très impressionnante par son relief hirsute et démesuré, non loin de Taiohae, le chef-lieu de la région, se trouve la vallée d'Hakaui, l'un des sites les plus grandioses de Nuku Hiva. C'était, autrefois, le fief du roi Te Moana et de la reine Vaekehu qui y vivaient avec leurs nombreux sujets, mais aujourd'hui, elle n'est plus habitée que par une poignée de familles qui y cultivent fruits et légumes dans ce qui m'est apparu comme un jardin d'Eden. Imaginez ! Sous les cocotiers, à l'ombre des manguiers, papayers et arbres fruitiers de toutes sortes poussant avec luxuriance, entrecoupé par le chant des coqs et les bêlements des chèvres, le clapotis d'une paisible rivière coulant en de nonchalantes sinusoïdes jusqu'à l'océan tout proche.  Sa source n'est pas très éloignée, mais pour la rejoindre, après avoir suivi l’ancienne voie royale, on doit emprunter un vertigineux canyon se terminant par la cascade de Vaipo, haute de plus de 300 mètres. Tout au long du chemin, on peut découvrir, enfouis dans la jungle, des vestiges archéologiques impressionnants par la taille des pierres noires qui constituaient d’anciens murs et enceintes. Il y a même, nichées dans des grottes dissimulées dans les falaises surplombant le cours d’eau, des loges funéraires où les dépouilles des grands chefs étaient déposées dans des pirogues mortuaires.
Bien sûr, avec Julien et Lucile, nous avions projeté d’aller à Hakaui, pour faire la magnifique randonnée permettant de rejoindre la cascade de Vaipo depuis l’embouchure de la rivière, et vous avez pu en voir les images (voir le message "Nuku Hiva : la baie et la vallée d'Hakatea" du 28 avril 2013). Même si le filet d’eau de la cascade était bien ténu et les chambres mortuaires pratiquement inaccessibles, nous avons passé une formidable journée ensoleillée dans ce site magique. Mais au-delà de cette belle aventure, cette vadrouille dans la vallée d’Hakaui allait être le début d’une drôle d’histoire…
En réalité, sans le savoir, tout avait commencé quelques jours auparavant, alors que je marchais sur la route très raide qui relie Taiohae au col qui surplombe la magnifique baie où nous avions mouillé. A la sortie d’une épingle à cheveux, alors que je tirais la langue sous un soleil de plomb, je me fis dépasser par un petit lutin, en danseuse sur son vtt. Dix mètres plus loin, il mettait pied à terre et avec son grand sourire, et sans le moindre essoufflement dû à grimpette qu’il venait de se taper, il me demanda où j’allais ainsi. C’était le début de ma rencontre avec Pierre, le si sympathique prof d’EPS de Nuku Hiva, dont je vous ai déjà parlé. Une fois qu’il sut où je me rendais, il se mit au milieu de la route, arrêta la première voiture et leur donna des instructions pour qu’on me conduisît à bon port. Après s'être assuré que j’étais bien installé dans la plateforme du pickup, il se mit en danseuse à côté de la voiture pour me donner des informations sur les petits chemins à prendre pour visiter les coins intéressants de la région. Il semblait voler alors que le bruit du moteur du 4X4 montrait que la côte était bien raide. Incroyable ! Deux heures après, apparemment infatigable, Pierre qui avait fini son entrainement et était rentré chez lui à Taiohae prendre une douche, avait pris sa voiture pour venir à ma rencontre, du côté du col pour me conduire à une magnifique piste en pleine brousse débouchant sur le site archéologique récemment restauré de Tohua Koueva (voir le message "Les Marquises" du 17 avril 2013). Encore un de ces endroits magiques et d'une grande importance pour tous les Marquisiens qui y retrouvent leurs racines et leur traditions, dans des cérémonies grandioses faites de danses et de chants. Plus anecdotique, ce site, comme de nombreux autres dans les Marquises, a été le lieu de quelques faits d'armes remarquables montrant que la colonisation de cet archipel ne fut pas de tout repos, et que les marquisiens, sans armes modernes, étaient de farouches guerriers. Ici, à Koueva, par exemple, en 1845, lors d’un affrontement avec les français, le grand chef Pakoko tua cinq soldats sur ce tohua, avant d’être arrêté et exécuté. Non, ça ne rigolait pas à l'époque, d'autant que les victimes des affrontements finissaient souvent au menu des autochtones sous le nom de « cochons longs ». Bon appétit ! Mais revenons à notre histoire à nous.
Après cette formidable journée de découverte de la région de Taiohae, Pierre et moi mangeâmes ensemble et nous nous revîmes plusieurs fois, pour de sympathiques moments (ventes de tee-shirts pour financer un voyage scolaire, préparation de danses de ses élèves pour accueillir les touristes d’un paquebot, etc.). Pierre était donc la personne que je connaissais le mieux à Taiohae, et nous avions convenu qu’à la fin de mon périple autour de l’île de Nuku Hiva, nous nous reverrions. Et nous allions effectivement nous revoir, mais bien avant, et dans le cadre de la drôle d’histoire de la vallée d’Hakaui.
Après une petite semaine à Taiohae, notre croisière à l'île de Nuku Hiva commença vraiment. Première étape, la baie de Hakatea, qui permet justement d'accéder à la vallée d’Hakaui. Une nuit paisible dans un mouillage très joli et bien protégé ! Et le lendemain matin, de bonne heure, nous étions prêts pour rejoindre en annexe, en moins de cinq minutes, la plage de sable noir où débarquer pour faire notre randonnée. En fait, comme souvent aux Marquises, l'arrivée fut un peu plus mouvementée que prévue, à cause des vagues. A 50 mètres de la plage, dans un surf plus ou moins contrôlé, je ne pus empêcher à temps que l'hélice du moteur ne touche une patate de corail, mais rien de grave. Nous débarquâmes sans soucis, et après avoir remonté le petit zodiac en haut de la plage, nous partîmes pour notre belle journée. Au retour, remise à l'eau de l'annexe, et remise en marche du moteur pour rejoindre Sabay Dii. Et là, au moment de mettre les gaz pour passer la première vague, je me retrouve tout bête, sans aucune puissance. L'hélice qui avait pris un choc le matin, venait de partir. La galère !
On remonte vite l'annexe et on commence à chercher, dans 50 cm d'eau trouble, une hélice noire sur un fond de sable noir, et à la nuit tombante ! Mission impossible évidemment. Après plus d'une heure de recherche, c'est à la rame que nous rentrerons au bateau. Mais comme vous le savez, je suis du genre entêté et ne baisse pas les bras rapidement. Le lendemain matin, avant l'aube, je suis déjà sur place pour profiter de  la marée basse afin de retrouver cette hélice dont je suis sûr qu'elle n'a pas pu partir bien loin. Trois heures encore à fouiller du regard la moindre apparition fugace d'une tâche sombre. Mais rien ! Et la marée qui remonte !
Je décide donc d'abandonner provisoirement la recherche et d'aller dire bonjour à une personne étonnante avec qui j'avais échangé quelques mots la veille au départ de la randonnée, et dont Pierre m'avait parlé. Le grand Teki. Un Hercule, genre deuxième ligne des All Black, paisible et toujours avec un grand sourire, comme les Marquisiens, et avec aussi, comme la plupart des Marquisiens encore, un tatouage. Oui ! Mais pas n'importe quel tatouage ! Teki est tatoué de la tête au pied, mais pas partout. Juste la moitié du corps. Vous imaginez un colosse avec la moitié du visage tatoué de caractères incompréhensibles, ressemblant un peu à des hiéroglyphes. De quoi faire peur, si vous le rencontrez le soir, au coin d'une rue. Oui, mais ici, on n'est pas au coin d'une rue. On est aux Marquises, et un gars comme ça ici, avec un grand sourire et une jovialité contagieuse, ça met à l'aise. Propriétaire de la première maison de la vallée, celle qui est tout prêt de la plage. Teki qui m'a reconnu de loin m'invite à prendre le petit déjeuner avec sa femme : de la soupe au riz avec un peu de viande bouillie, des bananes, du thé, etc.
- Tu retournes de nouveau à la cascade, aujourd'hui ?
- Non, je suis venu chercher une hélice.
Et je lui explique ma mésaventure de la veille.
- Tu sais, ton hélice, elle ne va pas s'envoler. Ce qui atterrit ici y reste : les bouteilles en plastique, les cordes des pêcheurs, et ton hélice probablement aussi, même si elle ne flotte pas. Elle finira un jour sur la grève. Au fait, qu'est-ce que j'en fais si je la trouve ?
- Tu connais Pierre, le prof de sport de Taiohae ?
- C'est qui ?
Petite description et illumination dans son regard. Il l'a déjà vu. D'ailleurs ici, sur une île de 2600 habitants, tout le monde a déjà vu tout le monde, pas vrai ? Mais je ne me fais pas d'illusion pour mon hélice qui est peut-être cassée en plusieurs morceaux, et qui doit déjà être enfouie sous le sable.
Notre croisière va donc continuer, mais avec un dinghy fonctionnant sans moteur. Un peu d'exercice ne nous fera pas de mal. Dix jours plus tard, nous arrivons à Hatiheu, au nord, c'est-à-dire à l'autre bout de Nuku Hiva. Encore un joli mouillage devant un charmant petit village entourant une minuscule église (voir "Le tour de Nuku Hiva" du 6 mai 2013) et une autre belle randonnée en perspective, cette fois sous le crachin. En effet, à quelques kilomètres en pleine brousse, se trouve le plus grand complexe archéologique des Marquises. S'étendant sur trois sites adjacents (Kamuihei, Takahia et Teiipoka), l'ensemble a été restauré en 1998 pour le festival des Marquises de 2011. Il rassemble tous les éléments architecturaux d'un clan : plate-formes d'habitation (pae pae), lieux de festivités et de réunion (tohua), sites religieux, (meae) pétroglyphes, fosses alimentaires de stockage et banians (arbres sacrés). Un endroit impressionnant montrant à l'évidence que devait résider dans cette vallée, une population très importante (on estime qu'elle était dix fois supérieure à celle d'aujourd'hui). L'atmosphère est intense et étrange. Les blocs de basalte recouverts de mousse semblent garder le silence de tout ce dont ils ont été les témoins muets, pendant des siècles, dans ce territoire de farouches guerriers et de hardis marins capables de traverser les océans, depuis l’Indonésie, jusqu’à la Nouvelle Zélande ou les iles Australes, sur des barcasses de fibres naturelles, sans autres instruments que leurs yeux pour se guider aux étoiles.
Et là, au beau milieu de ce monde du silence et de l'histoire, une petite voie qui me dit :
- salut Didier. J'ai un truc pour toi dans mon sac à dos. Une hélice, je crois !
Et là gros éclat de rire. Pierre et une poignée de ses élèves sont là. Ils sont venus ici, depuis le collège de Taiohae, à l'autre bout de l'île, pour visiter le site, bien sûr, mais sait-on jamais. Si on rencontrait Didier dans la brousse ...
Et Pierre va me raconter comment cette hélice lui a été apportée.
Le jour du premier tour des élections territoriales, Teki qui comme tous les Marquisiens n'a pas peur de faire dix ou vingt kilomètres à pieds ou de traverser l'île à cheval, par des vallées et des précipices à couper le souffle, est venu à Taiohae. Il a cherché partout le prof d'EPS dont on lui a dit qu'il avait une voiture verte. Et à la première voiture verte aperçue, il a bondi au milieu de la route pour l'arrêter.
- C'est toi Pierre ?
- Oui, c'est moi.
- Il faut que tu trouves Didier et que tu lui donnes son hélice. Je l'ai cherchée et je l'ai trouvée. Il sera heureux.
Et c'est ainsi qu'en pleine brousse, à des kilomètres de là où je l'avais perdue, et dix jours plus tard, j'ai retrouvé l'hélice de mon moteur hors-bord.
Etonnant non ?
Cette petite histoire est sans prétention, mais elle a le mérite, en tout cas, de montrer, qu’ici aux Marquises, les choses ne se passent pas comme ailleurs. Mon court séjour là-bas, à Nuku Hiva aussi bien qu’à Hiva Oa, m’a permis de constater à chaque instant, à quel point les Marquisiens sont accueillants, généreux, bienveillants. On se couperait en quatre pour vous faire plaisir. Et cette attitude est contagieuse.
Quand on arrive aux Marquises, on est d’abord époustouflé par les paysages, mais très rapidement ce sont les habitants qui subjuguent le nouvel arrivé. Difficile d’en partir sans se dire que l’on va y revenir le plus vite possible.

A présent je vous parlerai des Tuamotu, mais dans ma tête et mon cœur, les Marquises et les Marquisiens ne seront jamais bien loin, et il me tardera toujours un peu de les rejoindre.

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