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En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

mercredi 21 mars 2012

Zero Tolerance (ou une autre histoire de fou)

Vous avez aimé l’histoire de Tonto, le fou brun à tête grise, ou plutôt le roman-photo de ma rencontre avec cet étrange oiseau ? Et bien voici une autre histoire de fou. Rien à voir avec la précédente. Cette fois-ci, aucune photo. Rien qu’une histoire, une histoire de fou, une vraie histoire de fou, ou plutôt une vraie histoire de vrai fou. Ecoutez plutôt …
Le mois dernier, je suis arrivé à Acapulco avec le bateau. Magnifique baie bien abritée de la houle, petite marina tranquille pour amarrer Sabay Dii, et enfin une nuit sans que ça bouge. Le lendemain matin, un voisin de quai venait au bateau. Présentations d’usage …
Hi !                                                                           Hi !
Where are you from ?
                                                From France, and you ?
USA. My name is Mitch.
                                             Nice to meet you. My name is Didier
A peine les salutations faites, Mitch engage la conversation, très bizarrement …
Vous voyez ce beau bateau tout blanc, là derrière moi, il s’appelle « Zero Tolerance ». C’est mon bateau, mon bateau à moi ! Mon magnifique bateau ! J’arrive à peine à le croire, et pourtant il est à moi !
Et Mitch, totalement excité va ouvrir la soupape de sécurité en se mettant à raconter ce qui vient de lui arriver, une histoire vraie et pourtant incroyable, une histoire qu’il doit partager car il n’arrive plus à la garder pour lui, une histoire qui donne à réfléchir sur la terrible fragilité des hommes, mais aussi sur les ressources insoupçonnées qu’ils gardent toujours en eux, et surtout sur ces hasards de la vie qui modifient nos trajectoires, sans que nous ayons l’impression d’être maîtres de notre destin.
Voici donc l’extraordinaire histoire de « Zero Tolerance ».
Ainsi commence Mitch :
« Figurez-vous que cela fait quarante années que je suis passionné de mer, de voyages, de voile. J’ai beaucoup navigué, la plupart du temps comme équipier ;  j’ai traversé tous les océans, mais toujours sur le bateaux des autres. Et oui, toutes les occasions d’aller sur l’eau étaient bonnes. Et bien sûr, ce qui devait arriver arriva : un divorce. Ma femme ne pouvait plus supporter cette concurrence sans visage ; mon ménage ne pouvait pas résister éternellement à cette passion dévorante pour l’océan.
Mon épouse m’ayant quitté, j’ai commencé à m’enfoncer dans la dépression. Heureusement je n’étais pas complètement seul ; j’avais toujours la mer … pour me maintenir un peu la tête hors de l’eau, pour m’empêcher de sombrer complètement. N’ayant plus ni famille ni travail, j’ai cherché des embarquements pour gagner un peu ma vie et surtout me changer les idées. Je prenais tout ce qui passait : navigation à la journée, pour une régate, ou petites croisières.
Un jour, un propriétaire de J28 qui travaillait à San Diego depuis des semaines à l’aménagement de son voilier et qui m’avait vu trainer sur les quais, vient me voir. Il se présente : John, ancien militaire de carrière, enfin à la retraite après une vie professionnelle faite de guerres et d’horreurs, très faible expérience nautique mais bon bricoleur, et surtout propriétaire d’un très beau voilier de régate tout récemment transformé en parfait bateau de croisière, mais un voilier avec lequel il n’a encore jamais navigué. ».
Et puis cette question dont il se souviendra toujours : « voulez-vous skipper mon bateau, et partir en mer avec moi, pour une durée indéterminée » ?
Bien évidemment Mitch accepte la proposition de John. Quelques jours plus tard, les voilà en train de préparer leur voyage : l’avitaillement pour John, la vérification du gréement, de l’électronique de bord, du moteur, du matériel de survie, etc. pour Mitch. Tout à l’air au point sur ce magnifique voilier. Le jour J, c’est le grand départ. Départ pour où ? Eh bien la destination n’est pas très claire : en tout cas, vers le Sud, c’est-à-dire la côte Pacifique du Mexique. On a bien le temps, en mer, de définir précisément la route et les prochaines escales, pas vrai ? Mitch, qui a beaucoup d’expérience ne se fait pas vraiment de soucis, car il sait qu’il est capable de mener tout seul ce bateau très bien équipé, qu’il dispose des cartes de toute la côte Pacifique, et qu’il a même le matériel pour recevoir les fichiers météo, par satellite, où que le bateau se trouve.
Et voilà nos deux compères partis, cap au large. Mais ce qui avait été présentée à Mitch comme une gentille croisière, change de style. En fait, John a le mal de mer, un terrible mal de mer. Après seulement une journée de navigation et le passage dans les eaux territoriales mexicaines, il commence à déprimer. Mais pas une petite déprime, non ! Des envies suicidaires ! John, qui est fort comme un vrai « Marines », menace Mitch de la tuer, s’ils se rapprochent de la côte. De toute façon, ils doivent mourir tous les deux, car il y a longtemps que John a choisi de partir en mer pour y mourir, loin de tout ce monde pourri qu’il a connu. Tout effacer, sans laisser de traces. Mais il lui fallait quelqu’un pour le conduire au large : un Mitch choisi au hasard.
Cette croisière prometteuse qui devait permettre à Mitch d’oublier ses soucis se transforme en une farce macabre. Un scénario de film d’épouvante, dont la fin semble inéluctable : un naufrage suicidaire en pleine mer. Commence alors un enfer pour Mitch qui doit négocier en permanence pour tenter de sauver sa peau, de maintenir le bateau en marche, de calmer et de raisonner ce fou tantôt furieux, tantôt anéanti par sa déprime et le mal de mer. Cela va durer une semaine, au bout de laquelle, la tension va s’atténuer petit à petit, au gré des crises de John, de ses menaces de mort, de ses crises de pleurs, mais aussi des terreurs et des dépressions de Mitch qui n’en peut plus. Les deux compagnons d’infortune parviennent enfin à la côte, aussi épuisés moralement et mentalement l’un que l’autre.
Ils ont vécu ensemble une aventure épouvantable dont ils vont ressortir miraculeusement plus forts. John comprend que Mitch lui a sauvé la vie et lui a fait retrouver son âme. Mitch, qui ne se croyait plus capable de supporter de nouvelles épreuves de la vie, reprend confiance en sa force mentale. S’ensuivent quelques jours où les deux hommes vont partager leurs peines et leurs souffrances, faire la paix, et se remercier mutuellement. Pour John, ce sera le cadeau d’une vie sauvée. Pour Mitch ce sera le cadeau du bateau. Et oui, John qui a peur de la mer et ne sait rien faire sur un voilier annonce à Mitch qu’il lui offre son beau J28.
Après les émotions, place aux démarches administratives pour les deux hommes qui doivent rencontrer les autorités mexicaines pour officialiser la transaction. Mais ce genre de marché généreux est impossible car, au Mexique, on ne peut pas donner un bateau ; on doit le vendre, et en plus devant notaire. Qu’à cela ne tienne ! Le bateau d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars sera vendu pour la somme de 20 USD, avec tout ce qu’il contient. Le changement de propriétaire entraînant le changement de nom du navire, les autorités mexicaines qui restent sceptique sur cette transaction insensée décideront à la place de Mitch du nouveau nom. Ce sera « Zero Tolerance ». « Vous comprenez ce que ça veut dire : on vous a à l’œil, tous les deux et votre bateau ».
Quelle histoire !
Quand Mitch aura fini son récit, apaisé et soulagé, il proposera une visite guidée de son magnifique bateau, son bateau à lui, son beau « Zero Tolerance », en me montrant son nouveau titre de propriété et l’acte de vente à 20 dollars, en me détaillant tous les aménagements intérieurs et en n’arrêtant pas de dire : « si vous voyez quelque chose qui vous plaît, prenez-le, tout ça, c'est trop pour moi ! ». Je finirai par accepter deux combinaisons de plongée (qui ont déjà changé de mains), et un petit appareil électrique dont je ne sais pas si j’aurai un jour l’usage. En prime, je recevrai un chaleureux témoignage de bonheur et de générosité et surtout le cadeau d’une belle histoire à partager.
Pas vrai ?
P.S. : Mitch viendra m’annoncer quelques heures plus tard qu’il doit partir, cap au sud, peut-être vers l’Amérique du Sud, seul sur son bateau, car il lui faut impérativement retrouver la mer. Avant de larguer les amarres, il me tendra son appareil photo en me demandant de le photographier sur Zero Tolerance, pour pouvoir montrer à ses amis qu’il est bien vivant, et le très heureux propriétaire d’un voilier. Trop ému, je n’aurai pas la présence d’esprit de le photographier avec mon propre appareil.

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