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En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

samedi 6 juin 2020

Finike, ville morte pour Ramazan Bayramı


Dimanche 24 mai 2020.
Voila un jour très particulier, dans une année également très particulière.
En effet, le 24 mai de cette année correspond à l'Aïd El Fitr ( عيد الفطر ), la fête musulmane marquant la rupture du jeûne du mois de ramadan. C'est un jour sacré d'importance majeure dans le calendrier religieux, car il unit 1,6 milliards de musulmans à travers le monde, rassemblés dans l’oumma (la communauté musulmane universelle). pour une prière commune qui a lieu en début de matinée traditionnellement dans les mosquée, ou en plein air dans des mossallas permettant de rassembler plus de fidèles. Cette réunion collective, différente des cinq prières quotidiennes, est l’occasion de revenir sur les trente jours passés, sur les bonnes ou mauvaises actions accomplies durant cet épisode sacré. En ce jour précis, s'il ne l'a pas déjà fait, la tradition veut que le pratiquant s’acquitte du zakat (l’aumône destinée aux plus démunis) qui consistait à l'origine, à donner quatre fois le contenu des deux mains réunies de nourriture. Fête du pardon et de la paix, elle peut durer jusqu’à trois jours, comme c'est le cas en Turquie.

Dans chaque pays, outre l'aspect religieux, l’Aïd el-Fitr est aussi l’occasion de se retrouver en famille autour de repas copieux et de cadeaux (les enfants reçoivent souvent des vêtements ou de l’argent). Au cours de mes sept ans passés en pays musulmans,  j'ai presque toujours été invité pour ce jour de fête, et parfois par plusieurs familles le même jour, notamment quand j'habitais à Mayotte, et j'en garde un souvenir ému de simplicité, de convivialité, et de générosité.
L'Aïd El Fitr est aussi appelée, dans certains pays comme la Turquie, la "fête sucrée" (« Şeker Bayramı » en turc), car c'est l'occasion de faire honneur aux desserts une fois la prière du matin accomplie. Heureusement, ces réjouissances ne sont pas réservées qu'à la classe privilégiée de la population. Ainsi, les villes d'Ankara, d'Istanbul, etc. ont organisé cette année, pendant le ramadan, des collectes sur le Net qui ont eu un succès retentissant et qui ont permis d'offrir un repas festif aux nécessiteux de ces métropoles. Dans les campagnes, la même démarche a lieu à l'initiative des imams, grâce au kazat. (Pour information, cette obole est fixée à  cinq euros à Paris). Comme cette journée honore la famille et le partage, il est aussi de bon ton de se rendre dans les cimetières pour visiter les sépultures des défunts.
Bombons à volonté pour l'Aïd

Malheureusement, cette année, les célébrations ont du composer avec la pandémie de Covid-19. De l'Égypte à l'Irak, en passant par la Syrie et la Turquie, de nombreux pays ont interdit les prières collectives. Même en Arabie Saoudite, qui abrite pourtant les lieux les plus saints de l'islam, un couvre-feu total de cinq jours à partir de samedi a été instauré. Ici, les autorités d'Ankara ont ordonné le confinement absolu de toute la population pour toute la durée des fêtes, soit du samedi 23, veille de l'AÏd, au mardi 26 mai. Comme à  La Mecque et Médine, la prière de l'Aïd s'est donc déroulée dans des mosquées "sans fidèles", tout en étant proclamée haut et fort par les hauts-parleurs installés dans les minarets et qui servent cinq fois par jour à l'appel à la prière. Et bien sûr, la télévision retransmettait sur de nombreuses chaînes les prêches des imams des mosquées les plus prestigieuses du pays.
Seule étrange exception à ce confinement absolu, la permission pour les personnes de plus de 65 ans de sortir le dimanche, justement le jour sacré, entre 11 h et 15 h. Mais étant donné le vent tempétueux qui régnait à Finike, et le côté familial de cette fête, toutes les  petites vieilles et tous les petits vieux considérés d'office comme fragiles sont restés sagement chez eux, préférant les sucreries au risque de s'envoler dans une bourrasque de "Meltem". J'ai donc eu la privilège de pouvoir déambuler quatre heures durant, mais dans une ville fantôme de 50000 habitants invisibles.
Voici donc Finike, ville morte ...
Je sors de la marina. Pas surpris du spectacle surréaliste que je découvre, vu le silence assourdissant qui y régnait
La quatre voies très fréquentée qui va d'Antalya à Marmaris, et qui dessert toute la côte touristique méditerranéenne de la Turquie, est absolument vide. Pas la moindre voiture, pas un camion, ni une moto ou un vélo.

Au centre ville, même désolation. Cette rue commerçante est habituellement bondée.
Idem pour les promenades longeant les deux rivières qui traversent Finike.

Les deux rivières sont victimes de l’eutrophisation due à l'usage déraisonnable des engrais dans cette région agricole.
Le Derviche de Finike tourne tout seul.

 


L'une des grandes artères de la ville ... vide encore ! Notez les caméras sur le mât à droite de l'image.
L'une des places de quartier de cette ville très dynamique, habituellement. Mais où sont passés ses 50000 habitants ?


Une autre grande artère de la ville. Toujours personne !
Les minarets des nombreuses mosquées veillent sur des rues vides, en ce jour de fête musulmane.
La belle mosquée Ayşe Akın


Après avoir tourné trois heures dans la ville sans croiser âme qui vive, je suis parti vers la longue (plus de 10 km) plage de Finike, certain de n'y croiser personne vu que le décret de confinement stipule que les plages sont interdites d'accès. Sur ma route, une étonnante rencontre ...


Voiture vide, bien entendu !
Effectivement la plage s'étendait à perte de vue, sans qu'aucune silouhette se dessinât.
Pourtant, des papys et des mamies étaient autorisés à sortir entre 11 et 16 h et auraient pu profiter de l'aubaine pour venir marcher sur la corniche. Mais c'était sans compter sans ce vent fou qui les eût emportés.
 
2 vidéos de piètre qualité car prises avec mon téléphone peu performant,
en essayant de ne pas me faire renverser par ce satané zef.

Si ce n'était ce vent maudit, la balade en bord de mer eut été bien agréable, car, comme c'est très souvent le cas en Turquie, la promenade est agrémentée de jeux d'enfants assez spectaculaires, avec des personnages grandeur nature rappelant des scènes de comptes enfantins ou des moments historiques.
Il y a aussi de nombreuses guinguettes, mais elles n'ont pas encore ouvert à cause de la Covid-19. Néanmoins, preuve que la Turquie n'est pas un pays de voleurs, tout le matériel de ces estaminets est resté en place pendant les neufs ou dix mois hors-saison, sans qu'aucune effraction n'ait lieu pour dérober un réfrigérateur ou un congélateur, une télévision ou une sono, des tables et des chaises, les décorations, etc. et tous les jouets pour enfants que chaque établissement se doit d'avoir pour occuper la marmaille pendant que les adultes festoient. Tout le matériel est là, bien en vue, le long d'une plage déserte, à quelques kilomètres de la ville. Autre bon point, la piste cyclable qui protège parfaitement des voitures, tout le long de la plage, et qui donne envie de venir là en deux-roues.
J'ai coincé la bulle une petite demi-heure, le nez au vent, dans le parc pour enfants, entre une diligence monumentale et un nain enturbanné, affalé sous les murailles d'un château-fort et à portée d'un ottoman belliqueux prêt à me transpercer de sa pique.
 Spectacle commun d'une mer bien agitée, par un beau jour ensoleillé, et toujours sans personne.

L'heure de la fin de permission approchant, je m'en suis retourné tranquillement vers Sabay Dii en passant par le centre aquatique municipal, totalement délabré (la crise économique sévit en Turquie depuis plusieurs années, mais il ne faut pas en parler), le joli parc arboré, le port de pêche et le chantier naval assurant l'entretien des gros "gulets" (gros voiliers en bois qui promènent les touristes en été) ... Et toujours personne !

Le pâtre du centre aquatique a pris un coup de vieux.
Et ses moutons n'ont pas l'air en forme, non plus.
Détail des balustrades de pont en fer forgé.
La marina en vue avec la mosquée en construction qui la domine.
Plus qu'une centaine de mètres et me revoilà confiné pour une semaine, espérant une autre permission de sortie pour le prochain dimanche. Et j'espère qu'alors, je pourrai apercevoir quelques spécimens de l'espèce humaine, pour me rassurer. Ça m'ennuierait un peu d'être l'unique et dernier survivant de la pandémie.

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