J'étais en train de vous préparer un article sur les randonnées que j'ai faites les deux derniers week-ends, mais cette journée surprenante mérite un papier d'actualité (sans images ... mais il sera bref !).
Mais que s'est-il donc passé de si spécial pour mériter cela ?
Oh, rien d'extraordinaire au fond, mais pour moi et pas mal de monde ici, cette journée valait vraiment le coup d'être vécue.
Récit chronologique de mon 10/06/2020
Aujourd'hui, par pure coïncidence, je devais aller à Kemer, une grande ville à la fois charmante, administrative et très touristique, située sur la route joignant Finike et Antalya, presque à égale distance des deux villes, pour accomplir des formalités administratives. En effet, les européens n'ont pas le droit de rester en Turquie plus de 90 jours consécutifs, or j'ai dépassé cette limite. Il me fallait donc aller au service de l'immigration pour régulariser ma situation. Un rendez-vous m'avait été donné, il y a plusieurs semaines, pour me présenter avec un dossier de justificatifs, à 8h30 précises. Or jusqu'à présent, les personnes de plus de 65 ans sont confinés en permanence, à l'exception d'une fenêtre de liberté le dimanche. Je n'avais donc théoriquement pas la possibilité de me rendre à Kemer, mais dans ma situation particulière j'avais été assuré de ne pas être inquiété, à la condition de me munir de la convocation officielle qui m'avait été donnée.
J'ai donc loué une voiture pour cette occasion, et suis parti ce matin à 5h30 en prévoyant une grosse marge d'avance, car la route est partiellement en travaux, et surtout parce que je ne savais pas exactement où se trouvaient les bureaux de l'Immigration. Je dois aussi avouer piteusement que n'ayant pas mon permis de conduire français, ni l'international (qui sont quelque part dans le bateau, mais je ne les ai pas encore retrouvés), je m'étais muni de mon permis de conduire vietnamien (et que je suis le seul à pouvoir traduire dans le coin), sachant que si j'étais arrêté, j'aurais à m'expliquer.
Un quart d'heure après mon départ, évidemment, il faut que je tombe sur un barrage de police. On examine attentivement ma convocation et les documents annexes, avec mitraillette mais courtoisie, et on me laisse finalement passer en me souhaitant une bonne journée. Ouf !
Le reste du voyage se passera sans soucis, la quatre voies étant finalement en excellent état à l'exception d'un tronçon de 5 km en chantier (soit un dixième du parcours).
J'arrive donc à Kemer, très en avance, trouve rapidement les bureaux en question, et ai tout le temps de découvrir en flânant une ville incroyablement coquette. Coquette mais vide. A première vue, cette station balnéaire très soignée doit être un point de rendez-vous privilégié des touristes russes, car tout est écrit en cyrillique. Mais étant donné la pandémie qui sévit à l'Est, la frontière est fermée par la Turquie. Donc pas un chat en ville, surtout à 7h du matin. Des vitrines bien garnies avec encore les collections d'hiver, ou des devantures au rideau baissé. Des restaurants avec les chaises retournées sur les tables. Des bassins aquatiques à sec mais avec les techniciens en train de préparer leur mise en eau. Des balayeurs vidant des poubelles presque vides. Et toutes les toilettes fermées à clé car inutilisées. Cette promenade matinale me faisait penser à une belle chanson de Francis Cabrel intitulée "Hors saison".
A 8h30, le rideau de fer des bureaux de l'Immigration se levait. Faible affluence pour une équipe forte d'une poignée de fonctionnaires accueillants. Papiers vite remplis. Une visite à la Perception pour payer mon droit à rester en Turquie, et retour au premier bureau pour avoir un certificat provisoire avant de recevoir une jolie petite carte rose et on-ne-peut-plus officielle de résident temporaire du Ministère de l'Intérieur. En moins d'une heure, l'affaire était bouclée.
Du coup, avec autant de temps libre, je décidais de pousser la virée jusqu'à Antalya, pour faire quelques courses pour le bateau, mais aussi pour me "nipper", car en Turquie, les vêtements sont entre 3 et 5 fois moins chers qu'en France. Après avoir léché les vitrines et fait mes emplettes, je m'en suis retourné tranquillement vers Finike où je suis arrivé vers 18 h. Bref une journée assez quelconque me direz-vous.
Certes, sauf qu'en arrivant à Finike, je découvrais, incrédule, que la Turquie venait d'être déconfinée. Des gens plein les rues, joyeux, excités comme des puces pour les plus jeunes ou au contraire calmes et détendus comme tous ces séniors enfin autorisés à sortir de 10 à 20 heures tous les jours et qui déambulaient paisiblement sous la voute parme des jacarandas en fleur. Des familles au grand complet allant ou revenant de la plage rouverte au public, avec serviettes, ballons et bouées. Des motos avec parfois deux adultes et deux enfants, tous en short et sans casques, de retour de baignade dans une crique voisine. Aux terrasses des bistrots et aux coins des rues, assis sur leurs petits tabourets, des hommes sirotant le thé tout en jouant au okey (rami turc) ou au tavla (une variante du backgammon). Et dans les parcs, des groupes de femmes se racontant leurs histoires tout en essayant de contrôler l'élan de leurs jeunes marmailles excitées. Mais le plus spectaculaire fut pour moi, le déferlement d'enfants.inondant littéralement la ville. Il faut dire que la pyramide des âges turque est bien différente de celles des pays d'Europe de l'Ouest. Ici les moins de 20 ans sont beaucoup plus nombreux que dans notre pays à la population vieillissante. Or, depuis trois mois, tout ces jeunes étaient enfermés à la maison, sans école ni université mais surtout avec interdiction absolue de mettre le nez dehors. Alors imaginez la frénésie de ceux qui n'avaient pas pu enfourcher leur bicyclette ou jouer au foot depuis 90 jours. Et toutes ces filles bien pomponnées en train de faire des selfies le long des quais ou sur un banc, jubilant en bandes, ou seulement deux par deux et se racontant l'ennui des trois longs mois écoulés. Et que dire de tous les amoureux se retrouvant après une si longue période d'abstinence ?
Parti de bonne heure avec ma voiture de location, et n'ayant vu que les rues vides de Kemer ou les magasins de bricolage ou de prêt-à-porter d'Antalya, et les paysages sauvages de la côte Lycienne, j'avais l'impression en entrant dans Finike de l'éclosion d'une nouvelle génération. J'étais à la fois subjugué par ce spectacle jubilatoire et très concentré sur la conduite de ma Renault Symbol, entourée de nuées virevoltantes de jeunes à vélo, assourdi par la pétarade de motos roulant en trombe et déboussolé par l'afflux des piétons débouchant de tous côtés pour traverser la chaussée.
Ce n'est qu'en arrivant au bateau, dans le calme retrouvé de ma cabine, que j'appris officiellement par un courriel de l'Ambassade de France que cette folie populaire était la mise en application spontanée et enthousiaste du décret officiel de déconfinement "partiel" publié la veille à 20 heures par le Gouvernement turc.
Une excellente nouvelle, sauf que les personnes de plus de 65 ans doivent rester chez elles de 20 heures à 8 heures, encore quelque temps, ce théorème ayant pour corollaire que ces mêmes personnes n'ont toujours pas le droit de naviguer. Gloups !
Mais comme disait Jean de la Fontaine, « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».
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