Depuis mon arrivée en Turquie, début mars, je n'avais jamais cessé d'avoir froid la nuit. La faute au fait que Sabay Dii ne soit pas isolé, vu son programme initial se limitant à un tour du Monde par la zone intertropicale. La première échappée-belle de cette bande relativement large fut mon séjour de 18 mois en Nouvelle Zélande, où j'ai pu expérimenter les nuits passées engoncé dans le duvet et tout habillé (fourrures polaires, chaussettes, gants et bonnet). Mais je ne m'attendais pas à revivre le même scénario ici, dans le coin réputé le plus chaud de la Turquie. Et pourtant, jusqu'à la semaine dernière, j'ai dormi avec duvet plus couette, et tout habillé, en attendant désespérément que le thermomètre passe la barre fatidique des 15°C durant la nuit.
Et puis, changement météorologique brutal au cours de la semaine dernière (du 11 au 17 mai). Jugez-en !
- dans la nuit de dimanche à lundi, la température de la cabine franchit enfin les 15°C. Je quitte le bonnet et les chaussettes, en les gardant près du lit, au cas où j'en aurais besoin le lendemain, mais ...
- dans la nuit de lundi à mardi, la température avoisine les 17-18° et je vire le duvet pour ne garder que la couette. Nuit agréable avec seulement un bon tee-shirt bien chaud et la couette remontée jusque sous le nez. En milieu de journée, on fleurte avec les 27°. Surprenant ! Enfin en short et débardeur !
- Mercredi, la température grimpe encore. A poil sous la couette. En pleine journée, on frise les 30°C. Tout le monde à chaud dans la marina. Fini le footing diurne ; je passe en mode furtif pour trottiner de nuit.
- Mercredi soir, j'installe le ventilateur dans la cabine et le programme avant de me coucher pour 2 heures de fonctionnement, tellement il fait chaud dans le bateau. La température ne descendra jamais en dessous de 22°C.
- Jeudi, au réveil (vers 6 h du matin), il fait anormalement chaud : 25°C. Vers 10 heures, la brise de mer se lève et de façon très surprenante, la température augmente encore, avec un vent brûlant. Les autres résidents de la marina restent confinés toute la journée dans leurs bateaux avec la climatisation à fond. Sur Sabay Dii, dont le capitaine a choisi de ne jamais recourir à ce genre d'accessoire, tous les capots sont ouverts, et je vais m'asperger régulièrement au jet, pour continuer à m'activer.
- Vendredi, on atteint les 35°C et le service national de météorologie annonce la canicule pour le week-end, ...
- et on ne sera pas déçu. Elle est bien là. Au moins 38°C. Explication officielle : l'air vient du désert d'Egypte et de Lybie. Samedi, je ne vais pas faire mes 15 ou 20000 pas sur le quai mais attends sagement le fraîcheur vespérale pour bouger.
- Et dimanche ?
Eh bien dimanche, c'est à nouveau officiellement une journée de sortie pour les petites vieilles et les petits vieux de Turquie. Comme le dimanche précédent, nous avons une permission de quatre heures, exactement entre 11 et 15 h, c'est-à-dire au moment le plus chaud de la journée. Et cela fait déjà 6 jours que j'attends que la grille de ma cage s'ouvre pour rugir de plaisir et aller gambader.
Dès le réveil, le fauve qui sommeille en moi scrute son environnement par le hublot de la cabine, et constate avec satisfaction qu'il fait grand beau, d'autant que la campagne qu'il devine vaguement ressemble à la savane qu'il a foulée lors de ses périples dans l'Est africain, nimbée de brume de chaleur. Un coup d’œil au thermomètre de la cabine pour avoir confirmation : l'atmosphère est bien africaine : 28°C au lever du jour, dans le bateau ! Ce qui veut dire bien plus dehors, car il est bien connu des navigateurs que l'avantage d'un bateau mal ou pas isolé, c'est qu'il est refroidi par l'eau fraîche dans laquelle il baigne, ce qui est très appréciable en pays chaud. Et effectivement, c'est bien le cas en ce dimanche de liberté. Vers 9 heures du matin, exactement à l'heure où la rose avait éclose sa robe de pourpre au soleil, il fait 45°C sur le pond du bateau, sous la capote.
Il fait tellement chaud et sec que l'appareil n'arrive plus à donner le taux d'humidité |
Il va falloir que je modifie sensiblement le programme prévisionnel que je m'étais fixé dimanche dernier, en revenant de cette balade si agréable dans le maquis et en bord de mer.
Où aller pendant les quatre heures de ce dimanche torride pour éviter l'insolation, comment m'habiller pour ne pas suffoquer d'une hyperthermie, et comment me chausser pour ne pas que mes semelles restent définitivement scotchées au goudron de la chaussée ? Des questions qu'un lion ne se pose jamais, car quand il fait chaud, il fait la sieste avec ses lionnes. Oui, mais moi je n'ai aucune lionne auprès de moi depuis un sacré bout de temps, et encore moins envie de rester à faire la sieste dans cette atmosphère surchauffée.
D'où le nouveau programme, pour lion curieux mais pas fou :
- D'abord, aller faire les photos du chantier de la mosquée Eroğlu Nuri de Finike, juste aperçu la semaine précédente, et revenir pour déposer mon sac photo.
- Ensuite, profiter de cette permission exceptionnelle pour aller au centre-ville que je connais déjà pour l'avoir visité à plusieurs reprises l'an dernier, et déambuler dans les petites rues qui ont l'avantage d'offrir au promeneur un peu d'ombre.
- Longer la très longue plage (d'accès interdit pendant toute la période de confinement), en espérant un peu de brise marine pour rafraîchir l'atmosphère,
- et revenir par le centre-ville.
- Sans oublier, bien sûr, de me faire un petit repas local (à emporter car les restaurants n'ont pas le droit de servir à table). Au menu : döner kebab avec une portion de frite, ...
... , et dondurma (la glace locale qui contient un mastic la rendant très élastique).
J'aurais pu choisir entre ces deux
Mais j'ai été raisonnable. |
La mosquée est construite sur un énorme surplomb artificiel |
Cette terrasse a été probablement construite avec les remblais de la grande plate forme obtenue en arasant la colline. |
On peut accéder à la mosquée par un escalier large et très pentu, mais pour le chantier et en prévision du futur parking, une piste a été ouverte. |
Sur plusieurs centaines de mètres, les matériaux de construction sont entreposés le long de la piste. Des milliers de blocs parallélépipédiques d'un blanc immaculé attendent d'être découpés et sculptés. La traditionnelle pierre de carrière a été en partie remplacée par de la pierre de synthèse plus facile à travailler, et probablement moins résistante au temps.
Le chantier est éblouissant de blancheur sous la lumière crue de midi. N'oublions pas qu'il fait certainement bien plus de 40°C à l'ombre ! |
La mosquée devrait être constituée de deux grands bâtiments reliés par une galerie de colonnades. Voici le premier bâtiment. |
Le deuxième bâtiment, plus petit, vient juste de recevoir sa coupole faite de petites briques savamment agencées, et non encore parée de son revêtement définitif.
Détail du tour de porte |
Et dans la fournaise, bien qu'on soit un dimanche, les ouvriers travaillent de bonne humeur, me demandant avec un grand sourire d'où je sors, et espérant que je les prenne en photo.
Depuis l'époque de la construction de Sainte Sophie ou de la Mosquée Bleue d'Istambul, les matériaux ont peu évolué. De même pour les techniques, ces ouvriers ne disposant que d'une petite bétonnière autonome, de brouettes, d'un treuil manuel, et d'une tronçonneuse pour débiter et façonner les blocs bruts d'usine. On est très loin d'un site industriel, et cela se perçoit de loin, par l'atmosphère silencieuse, paisible, et détendue qui règne sur ce chantier .
L'artiste au travail |
Huit heures de travail par jour, sept jours par semaine, et par une simple multiplication on obtient l'une des deux raisons du prix des choses faites en Turquie, comme en Chine ou ailleurs dans le Tiers-Monde (l'autre étant la faiblesse des salaires). Sans parler de l'absence de protection sociale, de retraite, et sans se soucier de la sécurité au travail. En résumé, même si ce chantier incroyablement grand pour une équipe de 5 ouvriers n'a rien de comparable avec ceux qui ont permis l'élévation des chefs-d'oeuvre de Turquie reconnus aujourd'hui comme faisant partie du patrimoine culturel de l'Humanité, les conditions de travail de ces hommes ne doivent pas différer beaucoup de celles de leurs lointains compagnons de la période ottomane, ni d'ailleurs de celles des bâtisseurs de nos cathédrales. Le miracle dans toute cette affaire, c'est que ces gens ne râlent pas, trop contents d'avoir du boulot et donc de gagner suffisamment d'argent pour vivre honorablement, alors que dans le même temps, d'autres accumulent les richesses sans travailler, ou passent des années à faire le tour du Monde en voilier pendant que la pension tombe tous les mois sur leur compte en banque (suivez mon regard ... je louche). Chapeau et merci Messieurs ! J'espère que pour le moins, mais sans en croire un seul mot, Allah vous en tiendra compte, le moment venu.
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