Ah mes amis !
Je vous sais confinés à cause de cette saloperie de
SARS-CoV-2, et je pense bien à vous, d'autant que votre camisole de force n'est
pas prête de s'évanouir. Plusieurs mois sans aucun doute possible.
Je pense bien sûr aux miens qui sont coincés chez eux, qui
télé-travaillent peut-être, mais je pense aussi à ceux que je ne connais pas et
qui sont enfermés à 5 ou plus dans un 2 ou 3 pièces, insalubre, avec vue sur
les poubelles des autres immeubles, et encore plus à ceux qui n'ont pas de
logis et qui vivent dans la promiscuité mortelle de refuges pour sans-abris.
Je pense tout autant à tous ceux, effroyablement exposés au
virus, qui œuvrent avec abnégation pour soigner les malades, aux secouristes
réquisitionnés, aux pompiers, ...
Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi les obscurs pions de
notre société qui travaillent dans l'ombre pour assurer l'approvisionnement des
confinés (nourriture, énergie, eau, etc.). Magasiniers, chauffeurs,
manutentionnaires, logisticiens, ouvriers de l'industrie discrète qui pourvoie au fonctionnement minimum des services, et aussi les éboueurs, les égoutiers, ceux
qui font notre ménage collectif.
Et encore, je pense aux flics qui sont aussi en première
ligne pour faire rentrer dans le droit chemin de la prévention collective tous
ces "cons finis" (et pas confinés) qui traînent dehors en se croyant
immortels et en se foutant pas mal des
autres.
Et toutes ces personnes bossent sans aucun protection, la
plupart du temps, à cause de l'imprévoyance criminelle de nos dirigeants (les
politiques, les experts en tout genre, les administrateurs de haut rang) qui au
lieu d'imaginer le pire (c’est-à-dire ce qui peut arriver et finit un jour ou l’autre
par arriver), se vantaient d'avoir préparé la France mieux que tous les autres.
Depuis deux mois, faute d'avoir prévu, ils réagissent, c'est-à-dire qu'ils
fonctionnent toujours en retard sur le désastre. Ça me fait penser à la préparation
imbécile des grands généraux et maréchaux français qui ont été à l'origine de
la débandade de nos armées en 14, en 40, en Indochine, et qui avaient
soit-disant tout prévu. Ça me fait penser surtout à Tchernobyl et au
gouvernement soviétique qui a envoyé à la mort, sciemment, des milliers de
personnes, en les flattant d'être des héros. Je ne serais pas surpris que tous
ces travailleurs forcés d’aujourd’hui en France, demandent des comptes le
moment venu, du moins ceux qui ne seront pas passés à la trappe. Je ne serais
pas surpris non plus que nos dirigeants reprennent leur langue de bois, en
promettant une grande réflexion collective, mais en ne distribuant au bout du
compte que des pensions aux veuves et orphelins.
Notre société est profondément inégalitaire, et dans les
pires situations, elle le devient encore plus. Les nantis d’hier sont les mieux
protégés dans leur bel appartement, leur villa avec jardin, ou leur résidence secondaire, loin des pénuries, du besoin, de l’ennui.
Les moins bien lotis en temps normal constituent la masse des victimes. Et
puis, il y a les « liquidateurs » (en référence à Tchernobyl) qui se
dévouent corps et âme pour sauver leur pays et leurs concitoyens, les héros qui
servent de chair à canon en temps de guerre, et aujourd’hui, tous ceux de la
première ligne qui sont sacrifiés par nos dirigeants imprévoyants, prétentieux,
et donneurs de leçons.
Mais, est-il possible aujourd’hui de sortir, collectivement
et volontairement, des bras tentaculaires de cette pieuvre qu'est la société de
consommation mondialisée, conçue pour repousser comme la queue du lézard, lorsqu'elle est coupée ?
Par ma naissance, donc par chance, j’ai toujours fait partie
des nantis et j’en ai toujours été conscient. En classe de terminale, j’avais
décidé de faire agronomie pour vouer mon existence aux peuples démunis en leur apprenant à profiter au mieux de ce que la terre nous offre. La
rancune sournoise de ma prof de physique de l'époque a fait que je n’ai pu faire la classe
préparatoire pour entrer à Agro, mais m’a fait découvrir, assez tardivement, pas la même occasion, à quel point j’étais doué pour les sciences. D’où ma carrière de physicien,
matheux, didacticien, etc. Une vie professionnelle passionnante et une
existence de nanti, encore, qui m’ont permis de mener parallèlement au boulot une vie de bourlingueur. L’occasion
répétée de piqûres de rappel pour que je n’oublie pas à quel point j’étais
privilégié.
Et me voilà aujourd’hui, par un hasard de calendrier, au
comble du privilège …
- Parti en Turquie juste une semaine avant le confinement de la France (mon billet d’avion avait été pris avant l’apparition du Coronavirus) ;
- En situation d’isolement presque parfaite, puisque je suis volontairement confiné sur mon voilier, du fait même de la vie de marin ;
- En totale autonomie, puisque je pourvoie à mes besoins énergétiques et à l’approvisionnement en eau sans dépendre de quiconque ;
- Reste l’avitaillement que je peux réaliser en ce moment pour une survie en totale autonomie de plusieurs mois dans un pays qui n’est pas encore trop contaminé par le Covir-19
Si j’étais mesquin (et donc je le suis), je dirais que je ne
dispose que de 12 m², que mon confort est des plus spartiates, qu’il fait en ce
moment moins de 10°C le matin quand je me lève, que je n’ai ni télé, ni radio,
ni d’autre moyen de communication qu’un téléphone, avec 2Go par mois (juste de quoi prendre et donner des nouvelles à la famille et aux copains). Je dirais aussi
que lorsque le virus qui arrive en ce moment ici (aujourd'hui 98 cas et un seul décès) se déploiera, je n’aurai aucun
moyen de quitter la Turquie qui a supprimé toutes les liaisons avec les France et
qui sera tout aussi isolée du Monde lorsqu’elle sera infestée. Donc de nombreux mois coincé ici en perspective !
Si j’étais malhonnête (mais je ne le suis pas complètement), je dirais
que finalement je ne suis pas mieux loti que vous sur mon cher Sabay Dii, car,
comme vous, je n’ai pas le droit à l’erreur, qui pourrait bien m’être fatale, de
contracter le virus, vu mon système immunitaire affaibli par des années de
staphylocoque doré, et vu le système de santé turc. Mais je ne le pense pas,
car, à la différence de vous, ma vie de confiné relève d’un choix ancien et
correspondant parfaitement à ma mentalité de solitaire. La seule différence,
minime entre hier et aujourd’hui, c’est que quand j’irai faire mes courses, une
fois tous les quinze jours, je mettrai un masque. Oui, oui ! J’ai des
masques, plus qu’il ne m’en faut, car j’en ai acheté tout un stock (des FFP2
avec ou sans valve et même des FFP3) pour les envoyer en France, mais une heure
après l’achat, toute expédition de ce genre d’objet est devenue interdite et
impossible.
Mon seul problème du moment (à part les pieds et le bout du nez gelés) est de savoir que, injustement, je me
retrouve une fois de plus dans une situation de privilégié, sans l’avoir
cherchée, et que bien que me sentant redevable de ce privilège, je n’ai rien à
offrir, pas même des masques, sauf de la compassion.
Alors je pense à vous, pour me réchauffer au moins le cœur.
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