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Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

jeudi 19 mars 2020

Confiné en France ou confiné aux confins ..., de gré ou de force

Ah mes amis !

Je vous sais confinés à cause de cette saloperie de SARS-CoV-2, et je pense bien à vous, d'autant que votre camisole de force n'est pas prête de s'évanouir. Plusieurs mois sans aucun doute possible.

Je pense bien sûr aux miens qui sont coincés chez eux, qui télé-travaillent peut-être, mais je pense aussi à ceux que je ne connais pas et qui sont enfermés à 5 ou plus dans un 2 ou 3 pièces, insalubre, avec vue sur les poubelles des autres immeubles, et encore plus à ceux qui n'ont pas de logis et qui vivent dans la promiscuité mortelle de refuges pour sans-abris.

Je pense tout autant à tous ceux, effroyablement exposés au virus, qui œuvrent avec abnégation pour soigner les malades, aux secouristes réquisitionnés, aux pompiers, ...

Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi les obscurs pions de notre société qui travaillent dans l'ombre pour assurer l'approvisionnement des confinés (nourriture, énergie, eau, etc.). Magasiniers, chauffeurs, manutentionnaires, logisticiens, ouvriers de l'industrie discrète qui pourvoie au fonctionnement minimum des services, et aussi les éboueurs, les égoutiers, ceux qui font notre ménage collectif.

Et encore, je pense aux flics qui sont aussi en première ligne pour faire rentrer dans le droit chemin de la prévention collective tous ces "cons finis" (et pas confinés) qui traînent dehors en se croyant immortels et en se foutant pas mal des autres.

Et toutes ces personnes bossent sans aucun protection, la plupart du temps, à cause de l'imprévoyance criminelle de nos dirigeants (les politiques, les experts en tout genre, les administrateurs de haut rang) qui au lieu d'imaginer le pire (c’est-à-dire ce qui peut arriver et finit un jour ou l’autre par arriver), se vantaient d'avoir préparé la France mieux que tous les autres. Depuis deux mois, faute d'avoir prévu, ils réagissent, c'est-à-dire qu'ils fonctionnent toujours en retard sur le désastre. Ça me fait penser à la préparation imbécile des grands généraux et maréchaux français qui ont été à l'origine de la débandade de nos armées en 14, en 40, en Indochine, et qui avaient soit-disant tout prévu. Ça me fait penser surtout à Tchernobyl et au gouvernement soviétique qui a envoyé à la mort, sciemment, des milliers de personnes, en les flattant d'être des héros. Je ne serais pas surpris que tous ces travailleurs forcés d’aujourd’hui en France, demandent des comptes le moment venu, du moins ceux qui ne seront pas passés à la trappe. Je ne serais pas surpris non plus que nos dirigeants reprennent leur langue de bois, en promettant une grande réflexion collective, mais en ne distribuant au bout du compte que des pensions aux veuves et orphelins.

Notre société est profondément inégalitaire, et dans les pires situations, elle le devient encore plus. Les nantis d’hier sont les mieux protégés dans leur bel appartement, leur villa avec jardin, ou leur résidence secondaire, loin des pénuries, du besoin, de l’ennui. Les moins bien lotis en temps normal constituent la masse des victimes. Et puis, il y a les « liquidateurs » (en référence à Tchernobyl) qui se dévouent corps et âme pour sauver leur pays et leurs concitoyens, les héros qui servent de chair à canon en temps de guerre, et aujourd’hui, tous ceux de la première ligne qui sont sacrifiés par nos dirigeants imprévoyants, prétentieux, et donneurs de leçons.

Mais, est-il possible aujourd’hui de sortir, collectivement et volontairement, des bras tentaculaires de cette pieuvre qu'est la société de consommation mondialisée, conçue pour repousser comme la queue du lézard, lorsqu'elle est coupée ?

Par ma naissance, donc par chance, j’ai toujours fait partie des nantis et j’en ai toujours été conscient. En classe de terminale, j’avais décidé de faire agronomie pour vouer mon existence aux peuples démunis en leur apprenant à profiter au mieux de ce que la terre nous offre. La rancune sournoise de ma prof de physique de l'époque a fait que je n’ai pu faire la classe préparatoire pour entrer à Agro, mais m’a fait découvrir, assez tardivement, pas la même occasion, à quel point j’étais doué pour les sciences. D’où ma carrière de physicien, matheux, didacticien, etc. Une vie professionnelle passionnante et une existence de nanti, encore, qui m’ont permis de mener parallèlement au boulot une vie de bourlingueur. L’occasion répétée de piqûres de rappel pour que je n’oublie pas à quel point j’étais privilégié.

Et me voilà aujourd’hui, par un hasard de calendrier, au comble du privilège …
  • Parti en Turquie juste une semaine avant le confinement de la France (mon billet d’avion avait été pris avant l’apparition du Coronavirus) ;
  • En situation d’isolement presque parfaite, puisque je suis volontairement confiné sur mon voilier, du fait même de la vie de marin ;
  • En totale autonomie, puisque je pourvoie à mes besoins énergétiques et à l’approvisionnement en eau sans dépendre de quiconque ;
  • Reste l’avitaillement que je peux réaliser en ce moment pour une survie en totale autonomie de plusieurs mois dans un pays qui n’est pas encore trop contaminé par le Covir-19

Si j’étais mesquin (et donc je le suis), je dirais que je ne dispose que de 12 m², que mon confort est des plus spartiates, qu’il fait en ce moment moins de 10°C le matin quand je me lève, que je n’ai ni télé, ni radio, ni d’autre moyen de communication qu’un téléphone, avec 2Go par mois (juste de quoi prendre et donner des nouvelles à la famille et aux copains). Je dirais aussi que lorsque le virus qui arrive en ce moment ici (aujourd'hui 98 cas et un seul décès) se déploiera, je n’aurai aucun moyen de quitter la Turquie qui a supprimé toutes les liaisons avec les France et qui sera tout aussi isolée du Monde lorsqu’elle sera infestée. Donc de nombreux mois coincé ici en perspective !

Si j’étais malhonnête (mais je ne le suis pas complètement), je dirais que finalement je ne suis pas mieux loti que vous sur mon cher Sabay Dii, car, comme vous, je n’ai pas le droit à l’erreur, qui pourrait bien m’être fatale, de contracter le virus, vu mon système immunitaire affaibli par des années de staphylocoque doré, et vu le système de santé turc. Mais je ne le pense pas, car, à la différence de vous, ma vie de confiné relève d’un choix ancien et correspondant parfaitement à ma mentalité de solitaire. La seule différence, minime entre hier et aujourd’hui, c’est que quand j’irai faire mes courses, une fois tous les quinze jours, je mettrai un masque. Oui, oui ! J’ai des masques, plus qu’il ne m’en faut, car j’en ai acheté tout un stock (des FFP2 avec ou sans valve et même des FFP3) pour les envoyer en France, mais une heure après l’achat, toute expédition de ce genre d’objet est devenue interdite et impossible.

Mon seul problème du moment (à part les pieds et le bout du nez gelés) est de savoir que, injustement, je me retrouve une fois de plus dans une situation de privilégié, sans l’avoir cherchée, et que bien que me sentant redevable de ce privilège, je n’ai rien à offrir, pas même des masques, sauf de la compassion.

Alors je pense à vous, pour me réchauffer au moins le cœur.

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