En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?
Lamalera est un petit village perché sur le flanc d’un volcan en activité, sur la côte sud de l’île de Lembata, dans les îles de la Sonde. Il abrite l’une des deux seules communautés baleinières traditionnelles d'Indonésie. Cette chasse se pratique ici depuis le XVe siècle.
Lamalera et sa petite église
Sous les toits végétaux, les barques de pêche
Manche (long, très long) de harpon
Pale de rame. Tout est artisanal ici
Ici on fait tout à la main avec les ressources locales très limitées
Maison de pêcheur (ils le sont tous)
La vie est dure ici ; Maria n'y voit pratiquement plus et son petit fils a perdu une jambe faute de soins
Depuis Lewoleba, où étaient les bateaux du rallye, il faut bien quatre bonnes heures de piste pour rejoindre ce village de 2500 habitants, par une piste poussiéreuse en cette saison, mais qui doit être beaucoup plus difficilement praticable à la saison des pluies. Pour cette "expédition" de deux fois quatre heures de piste dans la même journée, nous étions une dizaines de courageux et pour cette occasion, on nous avait affrété un minibus local, au confort très rudimentaire, aux pneus inquiétants mais piloté par un bon chauffeur, et c'est souvent ça le plus important sur ces routes très particulières.
La fine équipe (photo Ann)
Notre super bus (je préfère ne pas vous montrer l'intérieur)
Ann du voilier australien Hybrasail. Supersympa ! Elle sera une cheville ouvrière de ce rallye
Ne pas regarder de près les pneus, surtout pas !
Formidable ce qu'il doit y avoir dans ce tacot
Notez le nombre de noix de coco dont nous venons de boire le jus délicieux
Au bout d'une heure de trajet, plusieurs personnes ont commencé à avoir la migraine, envie de vomir, et des malaises. Pas à cause de la route qui tortillait dans tous les sens, mais à cause des gaz d'échappements qui, faute d'un conduit, arrivaient directement dans le véhicule à travers le plancher troué. Idéal pour une intoxication gazeuse. D'où arrêt immédiat, suivi d'autres arrêts tout aussi immédiats, à l'aller comme au retour.
Pas sûr que ce masque serve contre le monoxyde de carbone, mais il y a une telle poussière dans le minibus
Passagers clandestins sur le toit de notre véhicule. Ils sot choisi le bon endroit
L'une des haltes "pulmonaires". L'occasion de mesurer le diamètre des bambous
Mais nous avons quand même fini par arriver à Lamalera, l'un des derniers lieux au monde à bénéficier de ce droit de chasse tant la survie des habitants en dépend. Ici, impossible de ne pas savoir que l'on vit grâce aux baleines ; les squelettes sont omniprésents, sur la plage comme dans les ruelles, les vertèbres des plus grosses servent de sièges, les mandibules délimitent les terrains ou balisent la route qui mène à ce cul-de-sac, et les morceaux de gras sont suspendus un peu partout au soleil.
La route est jalonnée d'os de baleines
Photo Françoise ; notez le pied du rouet
La Commission baleinière internationale, dont l’Indonésie n’est cependant pas membre, autorise de telles chasses, car elles sont supposées répondre aux besoins alimentaires de certaines populations. C’est sans doute vrai à Lembata. Ce l’est beaucoup moins en d’autres endroits du monde, chez les Indiens Makah (qui, après un siècle d’interruption, massacrent les très rares baleines grises protégées partout ailleurs dans le monde !) ou chez les Inuits qui peuvent aller faire leurs courses au supermarché local mais ne maintiennent ce genre de « sport » que par goût de la tradition (avec les encouragements empressés des pêcheries japonaises).
Il en est tout autrement à Lamalera, où faute de terres cultivables et de gibier, la seule activité permettant de survivre est la pêche. Les habitants troquent avec les villages voisins la viande l'huile et la graisse de baleine contre des légumes, des fruits, et du riz. Récemment encore les pêcheurs de Lamalera rapportaient une vingtaine de cachalots par an. Mais aujourd’hui les baleines se font rares et l’inquiétude monte à Lamalera. Du coup, les cibles des chasseurs ont été diversifiées, et pendant les périodes de disette, les hommes de Lamalera s'attaquent aux dauphins, aux raies manta et aux tortues marines. Autre diversification, le tourisme bredouillant dans cette contrée ; les chasseurs ne dédaignent pas embarquer quelques passagers payants pour leurs parties de pêche (à haut risque comme vous allez le voir plus loin).
A l'endroit ou à l'envers ?
A Lamalera, on vit au rythme des baleines qui, de mai à novembre, croisent au large dans leur migration de l’Océan Indien à l’Océan Pacifique. Chaque jour, les hommes partent en mer, à la rame ou à la voile (et quelle voile !), par équipages d’une dizaine de marins, sur des barques transmises de génération en génération, avec pour seule arme un harpon. A l’approche de la proie, le harponneur calé sur sa plate forme, à l’avant du bateau, attend l’instant propice. Les rameurs doivent anticiper la trajectoire du mammifère afin de se positionner à la bonne distance. Le harponneur tendu mais concentré saisit son harpon (morceau de fer pointu et rouillé accroché à un long bambou), affine l’angle de tir, puis s’élance dans les airs pour planter le harpon de tout son poids dans le corps de la pauvre bête. Et puis c'est plusieurs heures de lutte à haut risque entre la bête de plusieurs tonnes et à la force gigantesque, et l'équipage sur son frêle esquif.
Et oui ! La chasse à la baleine à la rame !
Le harpon
Photo MAX retouchée
Photo MAX retouchée
Photo MAX retouchée
Quand les conditions le permettent, la voile (et quelle voile !) remplace les rames.
Photo MAX retouchée
D'abord faut mettre en place le gréement : deux bambous jouant le rôle de mât
puis hisser la grand-voile carrée (ou plutôt rectangulaire)
Faut des bras !
Elle ressemble à ma grand-voile au bout de 40000 milles !
Paré à virer ?
Côté baleine, la mort est atroce : hémorragie après que la victime ait été percée de mille coups de couteaux et de lances (c'est aussi de cette manière que les orques parviennent à venir à bout des énormes cachalots, en leur arrachant des morceaux de chair et en les harassant pendant des heures).
Photos Internet
Côté pêcheurs, les victimes sont nombreuses, aussi. La queue puissante d’un cachalot peut facilement pulvériser les frêles embarcations.
Photo Internet
Par exemple, le 18 août 2013, 8 chasseurs de Lamarela ont disparu sans laisser de traces après qu’une orque harponnée ait entraînée leur pirogue par le fond. 4 des 12 chasseurs présents sont parvenus à nager jusqu’à la rive, mais leurs compagnons ont coulé avec la fragile embarcation, que l’orque harponnée traînait derrière elle avant de plonger. Pour les villageois, le fait que 8 d’entre eux aient disparu sans laisser de traces reste un mystère. Des recherches ont pourtant été menées par des membres de la tribu et la police locale, en vain. Aucun corps n’a été retrouvé. « Nous avons cherché ces hommes partout » a déclaré Yoseph Daison, chef du village de Lamalera. « Nous ne chassons ces baleines que pour nourrir nos familles. Il est triste que nous ayons perdu ces gens qui ne faisaient que leur travail ». Le chef de district de Lembata, Eliaser Sunur, a demandé à la base navale de la capitale régionale, Kupang, d’envoyer des navires pour aider à rechercher les corps de ces pêcheurs. En vain. L'hypothèse la plus probable, car déjà confirmée à d'autres occasions, est que d'autres congénères de cet animal grégaire et présents au moment du drame aient mangé les malheureux.
Les orques chassent en bande et sont terriblement agressives (ici avec des dauphins) - Photo Internet