Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

lundi 11 mai 2020

Début de déconfinement en Turquie, oui mais pas pour moi

En cette mi-mai, la Turquie s'engage avec prudence dans sa phase de déconfinement. Pour certaines régions seulement, dont le département d'Antalya qui inclut Finike où je me trouve avec Sabay Dii. La situation ici n'a rien à voir avec celle de la France. Pour tout le pays, et une population égale à une fois et demie celle de France, il y a dix fois moins de morts que chez nous (3500 contre plus de 30000), soit 15 fois moins en proportion. Les principaux foyers sont Istanbul, et dans une moindre mesure la région de Trabzon (au Nord, sur la Mer Noire), la zone de conflit avec la Syrie (au Sud), et sur la côte égéenne (à l'Ouest). Dans la plus grande partie du pays, l'épidémie a pu être évitée par une réaction rapide des autorités : interdiction des déplacements interdépartementaux, et fermetures de tous les lieux de rencontre : écoles, universités, bars, restaurants, supermarchés et zones commerciales, et même les mosquées).
Les "décontaminateurs" de la protection civile viennent s'occuper de la marina

Dès le mois de mars, à mon arrivée en Turquie, des équipes comme celle-là opéraient déjà.
Mais c'est surtout parce que tout le monde pouvait disposer de masques et de solution bactéricide, en vente partout à un prix dérisoire, que la catastrophe a été évitée.
Equipement standard des vendeurs, dès le début de l'épidémie.
Aujourd'hui, ils portent en plus un tablier sur lequel il est indiqué qu'on doit se tenir à 1,5 m.
Du coup, le virus est pratiquement absent d'une grande partie du territoire. Dans la région d'Antalya (en bleu sur la carte ci-dessous, il y a eu une contamination aujourd'hui jugulée. La région vient donc d'être autorisée à procéder à un déconfinement partiel.
Déconfinement seulement partiel, car les personnes non productives ou à risque doivent rester chez elles. Les établissements scolaires et universitaires restent fermés. De même que les bars et restaurants, autorisés uniquement à faire de la vente à emporter. Les mosquées ne sont pas ouvertes non plus, alors qu'on est pourtant en plein ramadan. Le déconfinement se limite donc à la libre circulation dans l'espace public des personnes âgées de 20 à 65 ans, à condition de porter un masque (chirurgical, FFP2, ou FFP3) et d'avoir une bonne raison de sortir. Ainsi, il n'y a personne sur les plages, ou dans les parcs. Et il n'y a ni enfant, ni jeunes, ni seniors dans les rues, car le confinement pour ces classes d'âge est on ne peut plus strict. A charge pour les proches et éventuellement le 112 d'assurer le ravitaillement de ceux qui ne peuvent mettre le nez dehors depuis maintenant deux mois. Étonnamment, pour l'observateur étranger que je suis, cela ne semble pas poser de problème, les turcs étant habitués aux règles arbitraires.
Ayant passé la barrière fatidique des 65 balais, cela fait donc plus de huit semaines déjà que je ne dois pas quitter le bateau. Mais étant dans une marina, je peux quand même vadrouiller jusqu'aux sanitaires (... obligatoires, car interdiction dans toutes les marinas d'utiliser les wc marins des bateaux). Ces toilettes impeccablement entretenues (désinfectées toutes les heures) se trouvent au bout du quai, soit 175 m de liberté dont j'use et abuse.


Ceux qui connaissent Sabay Dii le reconnaîtront avec son annexe rouge à ses côtés

Sur ce terrain de jeu très restreint, j'arrive sans problème à me dépenser. C'est ainsi que je fais tous les jours une heure de marche, et parfois même beaucoup plus. Il m'arrive de parcourir 12 km, ce qui avec un petit crochet entre l'aller et le retour sur le quai fait la bagatelle de 30 aller-retours, soit deux heures à marche forcée. C'est devenu un rituel et les mouettes ne rient plus de me voir arpenter le quai à toute heure du jour et parfois de la nuit.

Un aller, un retour, un aller, un retour, un aller, ... je le connais par cœur mon quai !

Pour varier les activités physiques, je rame entre les deux quais avec ma jolie petite annexe. J'étais seul à faire des allers-retours à la pagaie, sous le regard amusé des autres navigateurs affalés sur le pont de leurs bateaux, mais en un mois, j'ai fait des émules, et il arrive que nous soyons cinq à tirer sur nos avirons pendant de longues minutes. Je me suis aussi installé un système de poulies dans le cockpit du bateau et je soulève plusieurs centaines de fois par jour une bouteille de gaz locale.

Si l'on rajoute, les exercices de gainage (abdos et dorsos) et les étirements, cela fait au moins deux heures de gesticulations stationnaires, ce qui satisfait amplement mon besoin d'activité physique. Tant pis pour le paysage qui ne change pas beaucoup sur le parcours, mais je connais plein de gens qui au lieu de faire ces activités en plein air payent pour se confiner dans une salle de fitness. Du coup je trouve ma situation plus enviable que celles de tous ces "accros" aux salles de sport. 

Côté activité intellectuelle, aucun problème non plus étant donné que j'ai toujours ménagé mes méninges depuis la maternelle que je n'ai pas faite d'ailleurs, vu que j'ai eu un début de scolarité express et réduit, à jouer dans mon parc au fond de la classe, pendant que ma mère faisait cours à ses CP et CE (enfants de 5 à 8 ans). Mon cerveau continue en ce moment à marcher au ralenti, et ça lui va bien. D'abord, évidemment, parce que je n'ai pas de télévision sur le bateau. Ce faisant, j'évite une surcharge cognitive certaine, vu le niveau des émissions proposées en général. Pour ce qui est de la radio, je suis aussi tranquille car ça parle uniquement turc, ce qui semble normal dans ce pays dont je n'ai pas encore fait l'effort d'apprendre la langue. En plus, je n'ai personne à qui parler et donc personne à écouter, ce qui fait déjà de sacrées vacances pour le lobe de la communication. Pour ne pas perdre l'usage de la voix, je cause quand même un peu à mon bateau et les psychiatres ne devraient pas s'en inquiéter tant que je n'entends pas le bateau me répondre. Pour le moment, il n'assure pas la réplique, à moins que je sois sourd. Mais question ouïe, je suis rassuré toutes les cinq heures quand les hauts-parleurs de la ville retransmettent par 150 décibels l'appel du muezzin puis les prêches de l'Imam, vu que les mosquées sont fermées, et que tout bon turc doit connaître les intentions d'Allah, surtout en cette époque perturbée par des forces occultes maléfiques.

Deux photos trouvées sur Internet de l'extraordinaire mosquée que l'on construit actuellement à Finike,
et que j'irai photographier un jour de déconfinement.

De temps en temps quand même, mon cerveau se réveille et me demande quelque chose à faire, comme écouter les "Conversations scientifiques" d’Étienne Klein sur France Culture, notamment celle sur le paradoxe d'Einstein-Podolvski-Rozen, sur le phénomène d'intrication en mécanique quantique et la formidable expérience d'Aspect permettant de trancher entre les conceptions de Bohr et d'Einstein sur la nature du monde, mais le débit Internet est si faible que tout cela est impossible. Par chance, mon érudite de mère suit tout cela de près (toutes disciplines confondues !). Non seulement elle écoute, mais elle enregistre et prépare les futurs "podcasts" de son chérubin de fils. Quand mon cerveau commence vraiment à se rebeller pour motif d'inaction, en émettant de désagréables parasites pour que je lui donne quelques grains cognitifs à moudre, je le calme par la ruse ; je lui raconte des balivernes, ou plutôt des histoires contemporaines du genre "ça ne sert à rien, ces émissions scientifiques", alors que je sais très bien que c'est le contraire, mais "comme je n'en ai pas en stock", il faut bien lui faire croire que c'est inutile. Stratégie bien connue de nos dirigeants français, et mise en service pour les masques, les solutions bactéricides, les tests de dépistages, ... Et comme tout cerveau normalement constitué, le mien n'en croit pas un mot, mais étant confiné dans la boîte crânienne, il ne risque pas de sortir pour manifester, et je suis donc tranquille.

Voila pour la routine qui me voit faire ma petite gymnastique, la cuisine et le ménage, écouter de la musique plein-pot, jouer de l'harmonica à tue-tête, car je n'ai personne que je puisse déranger à la ronde. J'ai le temps de lire, et même, très rarement, de regarder l'un des innombrables films stockés sur mes disques durs. Mais en général, la journée passe à toute vitesse et il faut que je m'organise pour arriver à faire des choses essentielles sur un bateau, à savoir la maintenance. Et côté bricolage, les activités ne manquent pas, entre les vernis et peintures à rénover, les inox à traiter, les joints d’étanchéité à reprendre, des coutures à surveiller, etc. Sans parler de la révision du moteur in-board, du nettoyage de la partie immergée de la coque à faire quand l'eau sera moins froide, etc., etc.

Et puis, il y a les imprévus, comme ce satané virus. Non, non ! Pas le corona, mais un virus informatique qui a planté mon ordinateur portable en détruisant les deux disques durs externes qui étaient connectés en même temps, pour faire un transfert de sauvegarde. Résultat des courses, une semaine de boulot pour arriver à récupérer toutes les données stockées dans la mémoire paralysée de ces deux disques morts pour de bon, puis réorganiser les répertoires en renommant des milliers de fichiers. Mais j'ai pratiquement pu tout retrouver, avec un peu de chance et surtout plus d'une centaine d'heures de manipulation. Un voisin (à 100 m quand même) de ponton est allé m'acheter deux nouveaux disques durs, et les sauvegardes sont sécurisées à présent.
Le labo informatique avec 2 vieux mais indestructibles portables dopés par mes soins
et connectés à la bécane centrale du bateau, plus toute une flopées de disques durs.
Faut tout prévoir quand on part en mer longtemps et que l'informatique est utilisée pour la navigation.
En conclusion, cela fait déjà deux mois de confinement que je n'ai pas vu passer. Il va y en avoir très probablement plusieurs autres pour les petites vieilles et les petits vieux de mon âge que je veux bien défier au semi-marathon stationnaire ou au lancer de bouteilles de gaz, si d'aventure le gagnant était autorisé à reprendre la mer. Mais ce challenge ne semble pas figurer dans le programme du gouvernement turc qui, aux dernières nouvelles, vient d'autoriser les gens de plus de 65 ans à sortir entre 11 et 15 heures, ce dimanche, pour une petite promenade pédestre d'oxygénation. Et le même cadeau pourrait être offert toutes les semaines, à moins que ce ne soit tous les mois. Grand merci !

Vous m'imaginez, autorisé à titre exceptionnel à quitter le navire pendant quatre heures ?
Evidemment, ce dimanche, à 11 heures pétantes, j'étais au portail de la marina, avec mon sac à dos, de l'eau et de quoi me restaurer en chemin, bien chaussé et couvert pour me protéger du soleil et du vent, avec, bien sûr, le masque à porter obligatoirement en ville. 
Et même des bâtons de marche, car j'avais l'intention de crapahuter dans le maquis, en coupant au plus court dans la ville. En dix minutes j'étais au milieu des chèvres, surplombant la marina.

Finike à mes pieds




Heureux !!!

Pas de chemin, mais les traces des caprins et celles diaphanes de leurs probables bergers. J'ai "bartassé" (comme on dit dans le midi) dans les caillasses et les cactées, pendant trois heures, tournant le dos à la Méditerranée, et heureux de me retrouver en pleine nature, sans personne à l'horizon.


L'heure limite de sortie étant 15 heures, il me fallait penser au retour. Comme j'étais bien à 5 ou 6 km de Finike, la solution la plus rapide et la plus sûre pour arriver en moins d'une heure était de redescendre en suivant un canyon asséché pour récupérer la route nationale qui relie Antalya à Marmaris, habituellement saturée, mais incroyablement vide en cette période très spéciale. Petit footing tranquille, en longeant les plages désertes jusqu'à apercevoir Finike, et la marina qui se trouve à l'entrée de la ville en venant de Marmaris, c'est-à-dire du côté d'où j'arrivais.




A 15 heures pétantes, j'étais à la grille de la marina, pour me reconfiner jusqu'à nouvel ordre. ... Dans une semaine peut-être ou dans trois mois. Qui sait ? En tout cas, cette escapade de quatre heures avait comblé à la fois mon désir de grand espace, mon goût pour la balade-découverte sans plan préétabli, mon avidité conjuguée de liberté et de solitude, et mon besoin de dépense physique débridée. Il ne restait plus qu'à me restaurer sérieusement, prendre une douche, et faire des étirements, pour finir la journée, peinard et heureux. 
Vous l'aurez certainement deviné au travers de ce "papier", ces deux mois de confinement n'ont pas eu d'effets délétères sur ma santé, au sens large. En effet, avec tous mes exercices réguliers bien que stationnaires, j'ai acquis une forme d'athlète athénien (ou plutôt spartiate). Et dans la quiétude ambiante, j'ai conservé un mental inoxydable, deux conditions indispensables pour ne pas altérer  mon aptitude redoutable à la vie d'ermite, confiné ou pas.





Et comme on me ravitaille une fois par semaine en bonnes denrées (fruits et légumes locaux, bon yaourt turc, un peu de chatchouca, des feuilles de vigne farcies, du poulet qui court dans la campagne, des noix et des abricots secs, etc.) et que j'ai un stock invraisemblable de produits pour me faire de la cuisine thaï, malaisienne, soudanaise ou égyptienne, je suis paré à passer les mois prochains en toute sérénité, sans avoir la moindre inquiétude sur mon état physique ou mental.
Les weekends,  jours de confinement absolu,
la marina nous offre le pain le matin, livré au bateau. Sympa !

Lorsqu'on me dira que je peux naviguer, je me servirai un grand verre de jus d'oranges fraîchement pressées et je mettrai les voiles. Et lorsque j'apprendrai que je suis autorisé à revenir en France pour voir tous ceux qui me sont chers, je prendrai une grande respiration, pousserai la barre à fond pour retourner au port. Il me restera alors trois semaines pour préparer le bateau à hiverner, cinq minutes pour faire ma valise, une dizaine d'heures d'avion, et .... probablement une petite quinzaine de jours de quarantaine à l'arrivée.

Et il nous restera encore plein de temps à vivre heureux !

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