Samedi 9 juillet 2016, à 23 heures, je quitte en silence la marina endormie de Port Moresby pour rejoindre Tual, en Indonésie. Entre les deux, un peu plus de 1000 miles, mais surtout le détroit de Torres. Au sortir du bassin de Marina Port Moresby, le noir absolu ; aucune visibilité et des bateaux de pêche sans lumière. Faut y aller doucement, au moteur, en attendant de rejoindre la haute mer, c'est-à-dire le Golfe de Papouasie.
A minuit et demi, je franchis la passe Basilisk et envoie toute la toile : génois et grand-voile, au grand largue bâbord amure avec 25 nœuds de vent au départ puis une quinzaine ensuite. La mer n'est pas trop formée et le bateau avance bien.
Les fous tournent autour du bateau en espérant trouver un terrain d'atterrissage pour se reposer la nuit |
Le 11 juillet vers 10 heures du matin, soit moins de 30 heures depuis le départ, j'ai déjà avancé de près de 200 milles nautiques et me trouve à l'entrée du Détroit de Torres. Pas la moindre fatigue malgré mes deux nuits de veille, mais c'est normal, car, lorsque je navigue en haute mer, j'ai mes petites habitudes qui font que la navigation en solo de nuit ne me pose pas de problème. Je dors comme un loir et toutes les heures environ, je me réveille spontanément, jette un coup d’œil sur mes instruments (AIS et radar) et donne un coup d’œil périphérique, puis repars me coucher. Dix secondes plus tard je dors sur mes deux oreilles pour une nouvelle petite session métronomique. Et je sais par habitude que le moindre changement de cap, de vent, ou de mer me réveillera immédiatement. Du coup à six heures, quand le jour se lève, je suis aussi reposé que si je n'avais pas veillé. Je peux ainsi aligner nuit sur nuit sans aucune difficulté.
Mais dans le détroit de Torres, ce genre de navigation nocturne est impossible. En effet, ce passage qui doit son nom au premier navigateur occidental à l’avoir traversé, le Portugais Luis Vaez de Torres, est un endroit très particulier. Situé entre l'Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, sa largeur est d'environ 80 miles à son point le plus étroit. Au Sud se trouve la péninsule du cap York, le point continental le plus septentrional de l'État australien du Queensland ; au Nord, Iryan Jaya, la partie occidentale de l'^le de Papouasie-Nouvelle-Guinée annexée par l'Indonésie ; à l'Ouest la mer d'Arafura et l’Océan Indien ; à l'Est la mer de Corail et l’Océan Pacifique.
La zone est peu profonde (moins de 20 mètres) et parsemée de 274 îles et îlots, dont 17 sont habitées. Certaines îles, d’origine volcanique (à l’Est) ou anciens sommets de la cordillère australienne, submergée après la première période glacière (à l’Ouest), sont hautes et donc assez repérables, mais les autres, d’origine alluvionnaire (au Nord) ou corallienne (au centre) sont basses et particulièrement dangereuses.
De par sa topographie et sa bathygraphie, le détroit de Torres est un passage redouté.
Quand on regarde une carte, c’est impressionnant !
Mais ce n'est pas tout, car aux îles et îlots, il faut ajouter les courants, d’une part le courant subtropical sud dont le flux s’évacue toujours d’Est en Ouest, le courant d'évacuation de certains gros cours d'eau de Papouasie qui poussent vers le Sud à l'entrée du détroit, et aussi les courants de marée qui eux changent de sens 4 fois par jours, et peuvent être très violents et assez difficiles à prévoir car les marées de l'Océan Indien et de l'Océan Pacifique sont très différentes. Ajoutez à cela un gros trafic de cargos de toutes sortes et vous comprendrez aisément qu'il faut naviguer avec beaucoup de prudence dans ce détroit, surtout quand on est un petit voilier, c'est à dire un microbe comparé aux supers tankers.
Les « îles du détroit de Torres » sont toutes australiennes, y compris celles qui se trouvent à quelques milles de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont sont d’ailleurs originaires tous les habitants autochtones du détroit (environ 8000). La traversée du détroit se fait donc dans les eaux territoriales australiennes, mais n'ayant pas l'intention de quitter le bateau, je n'avais pas pris la précaution de prévenir les autorités de mon passage. En effet, il est admis de pouvoir jeter l'ancre au voisinage des îles pourvu qu'on n'ait aucun contact ni avec la terre ni avec les habitants, et j'avais bien l'intention de passer le détroit en ne naviguant que de jour.
Les « îles du détroit de Torres » sont toutes australiennes, y compris celles qui se trouvent à quelques milles de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont sont d’ailleurs originaires tous les habitants autochtones du détroit (environ 8000). La traversée du détroit se fait donc dans les eaux territoriales australiennes, mais n'ayant pas l'intention de quitter le bateau, je n'avais pas pris la précaution de prévenir les autorités de mon passage. En effet, il est admis de pouvoir jeter l'ancre au voisinage des îles pourvu qu'on n'ait aucun contact ni avec la terre ni avec les habitants, et j'avais bien l'intention de passer le détroit en ne naviguant que de jour.
Il y a 2 voies possibles pour passer de l’Océan Pacifique à l’Océan Indien et traverser le détroit de Torres. Il y a l’arrivée par le Sud et Adolphus Passage pour les bateaux qui arrivent de la côte Est australienne, et il y a le Great North East Channel pour ceux qui arrivent plus au Nord par le Golfe de Papouasie, et que je devais emprunter. Le passage par le Sud est beaucoup plus court mais il implique d’entrer en Australie et de naviguer préalablement à l’intérieur de Great Barrier Reef, ce que je n'avais pas envie de faire.
J'avais bien préparé ma navigation, et étais parti de Port Moresby de manière à arriver à la bonne heure près d'une île "acceptable" pour me reposer une première nuit à l'ancre. Et c'est ce qui s'est passé. En effet, je suis arrivé à Campbell Island que j'avais repérée bien à l'avance, vers 17 heures et une heure plus tard, j'étais à l'ancre, par 15 mètres de fond dans un endroit assez bien abrité de la mer même s'il était relativement venté.
Mouillage de Campbell Island 09 33.5541 S ; 143 29.2474 E |
Après une bonne nuit de repos, j'ai attaqué la deuxième journée de navigation. Même vent (entre 15 et 20 nœuds), même faible trafic, et un ciel plombé avec des averses réduisant très sérieusement la visibilité.
A 16 heures, j'avais avancé de 50 milles nautiques, soit suffisamment pour m'arrêter à Coconut Island pour ma deuxième nuit.
Le 13 juillet, à 7 h du matin, je remontais l'ancre pour ma troisième et dernière journée dans le détroit de Torres.
Un bon 25 nœuds soufflait, bien suffisant pour me faire avancer à toute allure avec grand-voile et génois aux près dans la matinée puis au portant à partir de Twin Island et de la jonction avec le chenal arrivant d’Adolphus Passage et de la Grande Barrière de Corail, où le trafic est beaucoup plus important.
Bateau pilote stationné à Coconut Island Position : 10 02.7894 S ; 143 03.7587 E |
A 17 heures, j'en avais fini du détroit de Torres et allais m'abriter dans l'excellent mouillage situé sous le vent de Friday Island pour une nuit très paisible.
Plate-forme pour les hélicoptères australiens qui contrôlent l'immigration. Ils m'ont ignoré. Tant mieux ! |
Remorqueur de l'AMSA, équivalent australien de notre SNSM Position du mouillage 10 35.0718 S ; 142 09.7941 E |
La mer d'Arafura s'étendait devant moi à perte de vue. J'en avais fini de l'Océan Pacifique où je venais de passer près de 4 ans. La traversée du détroit que j'avais minutieusement préparée à partir des Instructions Nautiques Australiennes pour tout ce qui concerne les îles, les fonds et les courants s'était passée beaucoup plus confortablement que prévu. Il faut dire qu’aujourd’hui, avec le GPS, une cartographie d’excellente qualité, ainsi que l’AIS et éventuellement le radar, le passage du détroit de Torres n’a plus rien à voir avec ce qu’il était à l’époque du compas de relèvement et du sextant ! Néanmoins le mythe est là, depuis l’enfance et « Vingt mille lieues sous les mers » où Jules Vernes y faisait s’échouer le Nautilus, depuis l'échouage de Cook remarquablement traduit dans une série de films présentés sur Arte, et tous les récits de tour du monde à la voile que j'avais pu lire.
Mais il me restait encore à parcourir plus de 600 milles nautiques pour rejoindre Tual dans l'archipel des îles Kai, et faire mon entrée officielle en Indonésie.
Une navigation sans incident mais pénible à cause des vagues traversières qui ont secoué le bateau pendant quatre jours et nuits.
Mais il me restait encore à parcourir plus de 600 milles nautiques pour rejoindre Tual dans l'archipel des îles Kai, et faire mon entrée officielle en Indonésie.
Une navigation sans incident mais pénible à cause des vagues traversières qui ont secoué le bateau pendant quatre jours et nuits.
Autre soucis, les bateaux de pêche. Ils sont très visibles de nuit car ils pêchent au lamparo mais ils n'ont aucun moyen d'identification (pas d'AIS, souvent pas de VHF) et ils ne voient rien tellement leurs lumières les aveuglent. Or ils n'arrêtent pas de bouger. Ils faut donc veiller en permanence pour les éviter.
Et de jour, c'est encore pire, car ils dorment et ne sont repérables que de très près.A un mille, difficile de les repérer |
Et il y en a partout |
Le 18 juillet, en début d'après-midi, j'arrivais en vue de ma destination, mais les cartes de la région étant toutes fausses, je décidais de temporiser pour une entrée de bonne heure le lendemain matin. Du coup de me mis en pêche et attrapais coup sur coup une daurade coryphène, un tazard, une autre dorade et enfin, juste avant la nuit, un marlin de plus de 2 mètres de long. Bref une pêche miraculeuse mais qui ne fit qu'une seule victime, la première prise, largement suffisante pour remplir mon petit frigo. Les autres poissons, plus heureux pourront raconter leurs aventures à leurs petits.
J'étais enfin aux portes de l'Indonésie, après plus de 20 jours de haute mer. Ouf !
Salut Pascal,
RépondreSupprimerJ'ai découvert ton blog aujourd'hui avec grand intérêt,
en tappant "tuamotu" sur Lilo, la première photo de cartographie qui sort est celle de ton blog, c'est dire si tu dois être lu.
En tout cas félicitations pour la documentation sur ton aventure, tes articles sont biens écrits et documentés.
Je suis sur le plancher des vaches en France actuellement mais j'ai moi aussi navigué dans le pacifique et ai justement emprunté la route que tu 'na pas encore pris: l'Arc mélanésien.(dont je n'ai pas fini d'écrire les récits).
Je serai ravi de rentrer en contact privé avec toi pour te demander quelques informations. tu peux m'écrire à tourdelarc@gmail.com pour prendre contact si tu es intéressé et également obtenir des informations et récits sur la route de l'arc mélanésien sur notre blog: https://tourdelarc.blogspot.fr/
Que le vent te porte !