Comme quoi, tout peut arriver en Turquie.
Comme vous le savez déjà, le gouvernement turc a pris très tôt un grand nombre de mesures pour ralentir à défaut d'éviter la propagation de ce fichu Covid-19. Parmi elles, deux me concernent tout particulièrement :
- le confinement absolu des plus de 65 ans qui, pour aucun prétexte, doivent se retrouver hors de chez eux, à charge pour leur entourage et/ou pour le service téléphonique du 112 mis en place par les autorités, de les ravitailler.
- La suspension de toute navigation de plaisance, pour les amateurs comme pour les professionnels. Autrement dit, personne sur l'eau à part les cargos, les navires militaires, et les bateaux des administrations maritimes (garde-côtes et douanes).
Et malgré tout cela, Sabay Dii naviguait entre Antalya et Finike ces jours derniers. La preuve ...
Explications :
J'avais souscrit le 15 avril de l'an dernier (en arrivant de Suez) un contrat annuel d'amarrage à la marina du groupe Setur, à Antalya. C'est là que Sabay Dii a passé l'hiver et c'est là que je me retrouvais confiné ces temps-ci. Au mois de mars dernier, soit un mois avant que ce contrat n'arrive à échéance, j'avais contacté la marina de Finike du même groupe Setur pour réserver un emplacement à l'année à partir du 14 avril 2020, car cet endroit m'avait particulièrement plu lors d'une courte escale l'an dernier (vous comprendrez bientôt pourquoi). Je ne pouvais pas savoir à ce moment-là que j'allais devoir rester bloqué à Antalya pour cause de pandémie.
J'avais consulté plusieurs personnes très bien renseignées qui m'avaient toutes confirmé que malheureusement pour moi, je ne pourrai pas migrer avant plusieurs mois, la faute au coronavirus. Très ennuyeux, effectivement, car cela m'obligeait à souscrire un nouveau contrat annuel à Antalya, car le prix est pratiquement le même pour 3 ou pour 12 mois. Et pas question de frauder car la punition était terrible, comme je vous l'ai déjà dit dans mon message précédent.
J'ai donc cherché à rencontrer le grand chef de la marina d'Antalya pour lui expliquer mon problème, et oh surprise, il m'a demandé un peu de patience, le temps qu'il voit ce qu'il pouvait faire pour débloquer la situation. Il m'a affirmé connaître beaucoup de monde, très haut placé et a invoqué mon cas très particulier : seul étranger de toute la région ayant un statut de résident en Turquie, et qui soit seul sur un voilier et en plus confiné dessus à cause de son âge.
J'avais vraiment très peu d'espoir que la situation se débloquât, lorsque le Directeur me fit demander quand je souhaitais partir. Vous vous doutez bien que, le bateau étant fin prêt depuis plusieurs jours, je choisis la date la plus proche ayant une météo favorable (et la situation météorologique était très compliquée, avec des tempêtes successives très violentes). Jeudi 2 avril, à la veille de cette date, je retournais à la réception pour savoir comment se présentaient les négociations avec les affaires maritimes, les garde-côtes et le gouvernement (car apparemment mon cas se traitait au plus haut niveau). Le Directeur n'étant pas là, on me fit poiroter une bonne heure, avec une réponse bien évasive qui me laissa perplexe. Coups de téléphones multiples, regards fuyants ou embarrassés du personnel administratif qui me proposait du thé pour patienter, et puis, au moment où je commençais à me dire que les carottes étaient cuites et que je pouvais retourner sur le bateau, surprise, la réponse que je n'attendais plus :
Départ accordé pour demain à 9 h du matin.
Tout le monde est prévenu.
Et c'est ainsi que le vendredi 3 avril, Sabay Dii larguait les amarres. Pas à neuf heures mais trois quarts d'heures plus tard, le temps de solder les comptes d'eau et d'électricité et de signer quelques papiers.
Durée prévue : entre 3 et 5 jours, mais sans aucune certitude, tellement la situation météorologique était compliquée, avec notamment beaucoup de petit temps entrecoupé par une tempête annoncée pour le dimanche avec des vents de 40 nœuds et des rafales à plus de 60. Mais d'une durée très courte. Très bizarre et pas simple à gérer !
Heureusement, j'ai la chance et l'avantage de connaître par cœur les 60 milles de côte séparant Antalya et Finike, et ai déjà mouillé dans toutes les criques et les abris hélas très peu nombreux qui jalonnent cette côte rocheuse faite de falaises plongeant brutalement en mer et parsemées d'îlots et de roches acores.
Sabay Dii va passer la nuit du 3 au 4 avril au mouillage de Phaselis. Elle sera tranquille dans ce site hyper touristique mais aujourd'hui désert. |
Samedi 4 avril, départ à 7 heures du matin. Reste de petite brise nocturne mais ça ne va pas durer. |
Départ samedi de bonne heure pour la deuxième étape. Première surprise, le vent n'a rien à voir avec les prédictions, c'est bon signe. Deuxième surprise, j'ai l'impression qu'un litre de parfum de jasmin a été renversé dans le bateau, et il me faudra quelques secondes pour comprendre que l'odeur que je perçois en pleine mer provient des millions de citronniers et orangers qui sont en fleur dans l'arrière pays. Magique et enivrant. Cette journée commence décidément sous les meilleurs hospices.
Toujours plein Nord. Maintenant 10 nœuds de vent. J'approche de Çineviz Limani où j'avais prévu de m'arrêter au cas où ça monterait trop fort. C'est bon donc je continue. |
20 nœuds et toujours vent arrière car la direction du vent suit la côte qui est très escarpée. |
Au vent arrière, Sabay Dii file tout droit à 7 noeuds. Les milles défilent. A cette allure, dans moins de deux heures je serai au point critique, Taslik Burnu. Avec des conditions aussi favorables, je décide de foncer et laisse à tribord Çavus Limani, la seule et dernière solution de repli possible.
Sabay Dii va faire en 7 heures ce qu'il n'est jamais arrivé à faire en moins de deux jours sur ce parcours.
Quelques milles avant Taslik Burnu, le vent est devenu fort : 30 nœuds mais régulier. Je garde toute la toile et fonce. Plus question de laisser le pilote automatique gérer la trajectoire car les vagues deviennent puissantes et la trajectoire est bordée à tribord par les falaises et à bâbord par des îles et des récifs. Plus question de faire des photos. Sabay Dii déboule à 10 nœuds, et passe avant 13 h le point le plus problématique.
Le reste du parcours sera bien plus tranquille avec 25 nœuds de vent quand même, mais plus de danger à courir. Après un départ au lof qui couchera le bateau à 45°, je réduit la toile, étant sûr d'arriver à temps à Finike.
Entrée dans la marina à 14 H 30 où les garde-côtes m'attendaient. RAS. Welcome.
Sabay Dii à quai. |
Voila donc Sabay Dii dans sa nouvelle marina, ou il risque de rester amarré à quai plusieurs mois, tant que le gouvernement turc n'aura pas levé son ordre de confinement. Mais à présent, plus question de négocier une autre sortie.
En tout cas cette petite escapade m'aura comblé. Vous pourriez penser que pour une occasion aussi rare, j'aurais pu faire durer le plaisir en mettant quatre ou cinq jours pour faire ce parcours avalé à fond de train. Eh bien, cela aurait été une très mauvaise idée vu le temps qu'il fit dimanche (mer démontée avec un vent de Sud rendant le passage de Taslik Burnu très dangereux, voire impossible), et lundi (un vent de Sud puis d'Ouest qui m'aurait drôlement compliqué la vie aussi).
Photo prise depuis le môle de la marina de Finike |
Beau ‘Poisson d’avril’. Heureuse de savoir que tu as pu t’échapper.
RépondreSupprimerEh bien NON ! Ce n'est pas un poisson d'avril. Sabay Dii était bien en mer ces derniers jours (pas très longtemps, il est vrai) et tu pourras le vérifier par toi-même au prochain message. En attendant, prends garde à toi car le Covid-19 fait des ravages aux USA. Un gros poutou.
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