Bienvenu sur le site de Sabay Dii

En laotien, Sabay Dii signifie "bonjour", "salut", "ça va"...
Dans la pratique, cette expression est utilisée chaque fois qu'on est heureux de rencontrer quelqu'un.
Pas étonnant que j'ai baptisé mon bateau "Sabay Dii", non ?

jeudi 31 octobre 2013

Deuxième séjour dans les Tuamotu

Déjà un mois que je suis à nouveau dans les Tuamotu et il va falloir que je songe à retourner du côté des îles de la Société, car la saison cyclonique approche. Ce second séjour m'aura permis de visiter Rangiroa, de revenir à Manihi où mon ami Hotu et sa petite famille m'ont accueilli si chaleureusement. Ensuite, je suis allé à Kauehi et Fakarava.
 Bientôt plein de belles images de ces atolls magiques.

Les Tuamotu en solo à la voile

Je vous ai déjà dit plusieurs fois que naviguer dans les Tuamotu n’était pas une sinécure. Alors comment faire sur un voilier, et en solitaire ?
La première chose à dire est qu’il est tout à fait possible d’explorer à la voile cet extraordinaire archipel sans courir le moindre risque, que ce soit en équipage ou en solitaire. Pour cela, il suffit de respecter impérativement trois règles simples. Quand je dis « impérativement », cela veut dire que la moindre fantaisie dans le respect de ces principes risque de se paye cash par la casse du bateau. Vous voilà prévenu !
Première règle : ne jamais naviguer dans une zone non complètement hydrographiée sans une parfaite visibilité, et ne pas se fier aveuglément aux cartes marines officielles, qu’elles soient sous forme papier ou en version informatique.
Voici un exemple : sur la carte ci-dessous présentant l’atoll de Kauehi, seul le chenal reliant la passe (au sud-ouest) au village (au nord-est) a été hydrographiée. Or la partie la plus intéressante à explorer est la côte est, bien abritée du vent dominant de sud-est pas un motu continu et boisé. Mais elle n’a jamais été hydrographiée.
Et elle est certainement truffée de « patates de corail », c’est-à-dire des blocs de récif à fleur d’eau capables de casser une quille ou un gouvernail, et même de trouer une coque.

Patate de corail repérée dans de très bonnes conditions de visibilité
Mais comment repérer ces pièges sournois ?
Sur certains des rares bateaux que j’ai croisés dans les Tuamotu, j’ai pu voir, perché plus ou moins haut dans le mât, un équipier jouant les vigies, en indiquant au barreur où se trouvaient c redoutables « patates de corail ».
Bonne précaution, mais impossible de faire cela tout seul sur son bateau. D’autant que cette stratégie impose de naviguer au moteur et sans voile. Or tous ceux qui ont eu l’occasion de naviguer beaucoup avec moi (Jef, Claire, Hervé, Natacha, Arnaud, Fabrice, Sébastien, Véro, etc.) savent à quel point j’ai horreur de mettre en route la « brise Volvo ».  Quand je navigue seul, c’est toujours ou presque à la voile, et sans moteur.
Voilà donc comment je m’y prends. D’abord, je ne navigue dans ces zones vicieuses que sont les atolls, que par beau temps et de façon à n’avoir jamais le soleil en face de moi ; par exemple, en allant vers l’ouest en fin de matinée et vers l’est en début d’après-midi. Lunettes polarisantes de rigueur, pour supprimer les reflets du soleil ou des nuages sur l’eau. Et ce n’est pas tout : je navigue sous pilote automatique électronique (et pas avec mon régulateur d’allure mécanique). Pourquoi ? Eh bien c’est tout simple : mon pilote électronique peut se commander à distance. Je me place à l’avant du bateau, la télécommande du pilote en main. Et je scrute attentivement la mer.
 Au moindre doute, quelques impulsions sur les bonnes touches et Sabay Dii change de direction. Si nécessaire (changement important de trajectoire), je retourne au plus vite dans le cockpit pour modifier le réglage des voiles, tout en regardant sur l’écran de mon Interphase.
Interphase ?
Oui ! Mon sonar à balayage horizontal ! Un équipement luxueux que je n’ai vu sur aucun autre bateau de croisière ! Un appareil cher et pas facile à étalonner, mais magique. Un peu comme un radar, il permet de voir à l’avant du bateau mais sous l’eau, il enregistre le profil du relief et il me prévient par une alarme lorsque le fond semble remonter brutalement. Grâce à lui, je peux examiner le profil sous-marin et opérer la manœuvre qui me semble la plus adaptée : déviation, virement de bord ou  empannage. Mais pour ce faire, il est nécessaire d’avoir un bateau très manœuvrant. C’est pour cette raison que je navigue aux allures de près sous grand-voile et petite voile d’avant (la trinquette) au lieu du grand génois. Ainsi gréé, mon beau Sabay Dii est capable de virer quasiment instantanément et sur place. Quant aux allures portantes, c’est sous génois seul que je navigue, ce qui me garantit un risque nul d’empannage violent.
Une fois le danger évité, je retourne à mon poste de gué avancé, car l’important, c’est l’anticipation et pour ça, rien ne vaut l’observation du lointain de visu, la portée d’un Interphase étant limitée à quelques dizaines de mètres, en général.
Deuxième règle : connaître les prévisions météorologiques. Voilà une règle que tous les capitaines sérieux connaissent bien. Mais comme je me plais à le répéter, si le capitaine doit connaître le temps prévu et prévoir sa route en conséquence, le bon capitaine, lui fait tout cela mais prévoit tout autant que les prévisions pourraient bien se révéler fausses. Et ceci, aussi bien pour choisir sa route de navigation que pour déterminer sa zone de mouillage. Voici un exemple récent.
En arrivant dans l’atoll de Kauehi, il y a trois jours, j’ai cherché au voisinage du village de Tearavaro un mouillage bien protégé du vent de nord-est annoncé par tous les services météorologiques s’intéressant à la Polynésie (Météo-France mais aussi Windguru et surtout le service américain de la NOAA qui fournit des fichiers informatique de cartes du vent). Je n’ai pas retenu le mouillage recommandé par les Instructions Nautiques (voir sur la carte ci-dessous la petite ancre dessinée à l’ouest du village) car trop exposé à mon avis, au cas où le vent serait plus nord que prévu. J’ai préféré aller plus au sud du village (Tearavaro Sud) dans un site que j’avais identifié comme bien protégé à la fois des vents d’est et nord par la barrière de corail (couleur marron). Ce faisant, j’ai aussi repéré un autre mouillage au nord du village (Tearavaro Nord) protégé à la fois des vents d’ouest et de sud, au cas où la prévision météorologique serait complètement fausse.

Avant de mouiller, j’avais pris le soin d’aller examiner les deux mouillages. Bonne précaution car, alors que le soir, à mon arrivée, le vent ENE venait effectivement de l’océan (flèche rouge), pendant la nuit, un vent violent de WSW (flèche verte) s’est levé avec une mer très dure, comme c’est souvent le cas dans un atoll. Vu le rodéo épouvantable que subissait mon bateau, j’ai considéré qu’il m’était impossible de rester au mouillage initialement choisi (Tearavaro Sud) sous peine de risquer de déraper sur le récif, et j’ai décidé de lever l’ancre, en urgence, et en pleine nuit, pour me rapatrier sur le site situé de l’autre côté du village (Tearavaro Nord).
Chose pas très facile mais possible, même de nuit par un temps de chien et sans aucune visibilité, car d’une part j’avais pris la précaution de tout inscrire sur la carte électronique que je peux lire de mon cockpit, et d’autre part tout le trajet se trouvait sur une zone parfaitement hydrographié que j’avais déjà parcourue. Donc pas de mauvaise surprise à attendre entre le point de départ et le point d’arrivée. Il me suffisait de naviguer en suivant sur mon écran la trajectoire déjà explorée et enregistrée. Ouf !
Troisième règle : respecter aveuglément toutes les balises de chenal, même si elles paraissent suivre une logique farfelue. En effet, il faut savoir que ces balises sont placées de façon à aller de l’une à l’autre en ligne brisée, en laissant les balises vertes côté barrière de corail, et les balises rouges côté intérieur du lagon. Voici un exemple : le chenal balisé pour aller de la passe de l’atoll de Manihi au motu de mon copain Hotu …
Sur la carte ci-dessous, j’ai rajouté les balises rouges et vertes que l’on voit sur l’eau mais qui ne figurent pas sur la plupart des cartes. On en déduit la trajectoire à suivre (en rouge). Mais quand on sait que la carte indique en bleu les hauts fonds, on est tenté de couper court (trajectoire verte). Suivre cette piste est certainement la plus mauvaise idée que l’on puisse avoir aux Tuamotu, car s’il y a une balise rouge ou verte à respecter, cela veut dire que de l’autre côté de la balise, souvent invisibles à l’œil nu et non représentées sur les cartes, se trouvent de traitresses patates sur lesquelles vous allez vous planter.
Donc aucune fantaisie : lorsqu’un chenal est balisé, on le suit, sans réfléchir, quelle que soit la visibilité, et quelle que soit l’urgence avec laquelle on doit rallier la destination.
Remarque : sur l’exemple précédent, le cheminement sécurisé ne semble pas très éloigné de la route directe, parce que je n’ai représenté qu’une toute petite partie de l’itinéraire. Mais dans son intégralité, la longueur du parcours pour aller de la passe d’entrée dans l’atoll de Manihi jusqu’au motu Maveca est multipliée par deux ou trois selon que l’on choisit la route directe à vue ou le passage par le chenal recommandé. Tentant d’aller tout droit par beau temps quand on est pressé, n’est-ce pas ?
Voilà donc les trois règles que je suis à la lettre, à ma grande satisfaction. Au début, j’avais bien un peu envie de me permettre quelques fantaisies, mais quelques frayeurs et la découverte de tristes épaves m’ont fait comprendre très rapidement que la rigueur absolue était le seul moyen de se faire plaisir aux Tuamotu, plutôt que de s’y faire peur.

Prochainement : comment calculer l’heure pour franchir une passe au bon moment ?

samedi 26 octobre 2013

A nouveau dans les Tuamotu

Que je vous parle un peu des Tuamotu, où je suis revenu une nouvelle fois.
Perdu au beau-milieu du Pacifique Sud, entre le tropique du Capricorne et l’Equateur, cet archipel dont le nom veut dire « les Iles nombreuses », a été découvert par les européens dès le XVIe siècle. C’est le portugais Magellan qui, après avoir passé le cap Horn au cours de son fabuleux voyage de découverte de l’hémisphère sud, ouvrit le bal en faisant une halte à Puka Puka, en 1521. Les navigateurs espagnols (Quiros en 1605) puis Hollandais (Le Maire & Schouten 1616) prirent le relais, et ce n’est qu’en 1835, soit deux cent trente années après Quiros, que furent reconnues les deux dernières îles, Kauehi et Toau, par Fitzroy. Il aura donc fallu plus de trois cents ans pour inventorier et placer sur une carte définitive les 76 atolls des Tuamotu.
Comme point de repère, pensez que Tahiti, légèrement plus à l’ouest, ne fut découverte qu’en 1767.
Pourquoi tant de temps pour mener à bien l’exploration de cet archipel hors du commun ?
Parmi les nombreuses raisons, j’en vois trois principales.
La première est que les 76 îles de cet archipel perdu en plein milieu de nulle part sont pour la plupart minuscules et surtout disséminés sur une aire gigantesque : plus de 1500 km du nord-ouest au sud-est. Autant dire que l’on peut passer en plein milieu des Tuamotu sans s’en apercevoir.
La deuxième raison est que ces îles (si l’on peut dire), sont en réalité des atolls, c’est-à-dire des anneaux plus ou moins circulaires et continus de récif corallien affleurant, avec, pour seule végétation, quelques buissons épineux et aujourd’hui des palmiers dont les premiers exemplaires ne furent plantés qu’il y a un peu plus d’un siècle. Ainsi, les Tuamotu ne dépassent que très rarement cinq mètres d’altitude. On peut donc passer tout près de l’une de ces terres, sans la voir. Pour ma part, il m’est arrivé d’être à moins de deux à trois milles nautiques de l’un de ces atolls, avec une très bonne visibilité, et de chercher en vain, où il se trouvait. Rien à voir avec les îles hautes, telle que Tahiti, Moorea, Bora-Bora ou les Marquises, dont les sommets qui peuvent culminer à plus de deux mille mètres, se voient de très loin, nimbés de cumulus. L’altitude très basse des Tuamotu explique en partie la difficulté à les repérer, et donc aussi le danger que représentaient ces récifs pour les navigateurs croisant dans les parages, surtout par mauvaise visibilité, par mauvais temps ou de nuit. Les noms donnés à cette région par les navigateurs sont suffisamment explicites : « les mauvaises eaux » (Schouten et Lemaire), « l’archipel dangereux » (Bougainville), « les îles pernicieuses » (Jacob Roggeveen, le découvreur de l’île de Pâques), …
A cette mauvaise réputation des Tuamotu, s’en ajoute une seconde, toute aussi décourageante pour des marins : la désolation et l’absence de ressources naturelles des îlots (hors mis les réserves halieutiques). Ajoutez à ce potentiel économique apparemment très limité, un environnement extrèmement défavorable : pas d’eau potable, pas d’abris sûrs, et beaucoup d’insectes. Schouten et Lemaire n’appelaient-ils pas aussi cet archipel, « les îles aux mouches »
Mais toutes ces raisons doivent être modérées par le fait que pendant les deux siècles que dura la découverte des Tuamotu par les européens, de nombreux bateaux baleiniers croisèrent dans ces eaux très poissonneuses où abondaient aussi les mammifères marins. Il est probable que tous les atolls aient été aperçus depuis plus longtemps qu’on le croit, mais il est tout aussi probable que les pêcheurs qui n’ont jamais été très diserts sur leurs zones de pêche, se gardassent bien de donner des informations précises ou de cartographier l’archipel pour l’offrir à leurs concurrents directs.
D’ailleurs, la première carte globale faisant apparaître tous les atolls ne date que de 1950. Les cartes détaillées et précises font toujours défaut aujourd’hui, car si tous les atolls sont bien indiqués et au bon endroit, ils n’en sont pas pour autant cartographiés intégralement dans leurs eaux intérieures. Et c’est cela  qui constitue le principal danger actuel à naviguer dans les Tuamotu. A l’ère du GPS et du radar, il faut vraiment s’endormir à la barre, ou faire une grosse erreur d’inattention pour venir s’échouer sur l’un des atolls. Par contre, il n’est pas rare que des bateaux de plaisance se fracassent à l’intérieur des Tuamotu, en heurtant l’une des innombrables patates de corail non indiquées sur la carte mais bien présentes à quelques centimètres sous la surface de l’eau.
Eh oui ! Les Tuamotu restent une zone de navigation dangereuse, mais la nature du danger a changé au cours des siècles. Alors que dans l’ancien temps, sans cartes marines, on risquait de venir s’échouer sur une barrière récifale très difficile à apercevoir, aujourd’hui, on risque plutôt de casser son bateau dans un beau lagon que l’on est venu explorer par curiosité, ce que les navigateurs des siècles passés se gardaient bien de faire, ayant des raisons moins ludiques à naviguer. Et puis il y avait une autre difficulté qui demeure encore aujourd’hui, c’est que le plus difficile est toujours d’entrer et de sortir d’un atoll, les courants très forts qui règnent dans les très rares passes et qui peuvent créer une mer mauvaise, voire effrayante, avec maelstrom, vagues déferlantes et même mascaret, ont de quoi inquiéter tout bon marin, quelle que soit son époque.
Alors, pourquoi venir naviguer dans une zone réputée encore dangereuse ?
Ma réponse est claire : les Tuamotu, de par leur structure géologique très particulière qui fait qu’on est sur terre mais les pieds dans l’eau, et de par leur isolement quasi continu aux cours des siècles, sont un vertige pour les sens de celui qui recherche la nature vierge ou presque, dans un isolement presqu’absolu. Fusion entre le ciel et la mer, ces ilots offrent un cadre singulier et surréaliste pour une retraite loin des hommes et de leur fureur, dans une nature sauvage, brute et austère, apaisée et apaisante,  baignée de silences et aux couleurs de bleus stupéfiantes. Je suis venu aux Tuamotu, j’y suis revenu et j’y reviendrai encore, tant que je serai en Polynésie. Le dépaysement est total, même pour celui qui vit en mer depuis des années. Pas étonnant que ce soit ici que Bernard Moitessier soit venu finir ses jours, après avoir passé une bonne partie de sa vie, seul en mer.
Voilà déjà plusieurs mois passés que j’explore les Tuamotu, et je n’en ai visité qu’une toute petite partie, celle du nord-ouest, la plus intéressante, il est vrai : Tikehau, Raiatea, Ahe, Manihi, Toau, Kauehi, Apataki, Fakarava, dont la seule évocation des noms est déjà un départ pour un ailleurs vertigineux.

Les journées passées ici auront toutes été épanouissantes, mais attention à ne pas en déduire que cet environnement vous convienne forcément. Par exemple, ne venez surtout pas aux Tuamotu si vous ne pouvez pas vous passer d’Internet pendant une semaine, ou si vous recherchez de belles plages pour le farniente. Ici, c’est le dénuement le plus absolu. Pas de sable blanc (à quelques très rares exceptions) et encore moins de plagette, mais du corail acéré partout. Pratiquement pas de route ni de piste carrossables, très peu d’hébergement hôtelier et pas de restaurants, ni de distractions (exceptée la plongée sur les atolls les plus touristiques).
Quand on vient naviguer dans les Tuamotu, soit on se retrouve seul dans un mouillage sauvage, très loin de toute activité humaine (certains atolls sont inhabités ou habités par moins de 50 personnes), soit on se rapproche du seul village (quand il y en a un), en espérant y trouver un peu de ravitaillement, mais l’accueil souriant des Paumotu (c’est ainsi que l’on appelle les habitants des Tuamotu et tout ce qui les concerne) reste toujours discret, un peu distant, les Paumotu semblant imperturbables dans leur quotidien assoupi et rythmé seulement par la pêche, le travail dans la cocoteraie, et la messe le dimanche.
Si après cette description très personnelle, vous vous sentez attiré par les tuamotu, alors n’hésitez pas, vous serez envoûté par ce filigrane de terre perdu entre ciel et mer.

Prochainement : comment peut-on naviguer à la voile, et en solitaire dans les Tuamotu ?

Les raies de Bora Bora

 Les raies manta, léopard, pastenague, … de Bora Bora

















La face cachée de Bora Bora

Quelques images de Bora Bora montrant les coins où personne ne va se balader







et d'autres images montrant qu'il n'est pas toujours aisé de naviguer dans ses eaux (vent violent, et beaucoup de chicane à négocier entre les récifs


à cette photo correspond la partie de carte ci-dessous (les navigateurs apprécieront)

Couleurs irréelles à Bora Bora

Alain Gerbaud disait que les plus beaux arc-en-ciels sont ceux de Bora Bora.
Je confirme ... avec ces images d'un arc-en-ciel formé dans les embruns de la barrière de corail.


et quelques autres belles lumières ...



Une autre vision de Bora Bora

De Bora Bora, je vous ai déjà donné mon avis, un avis mitigé sans grande valeur car étant seulement celui d’un touriste de passage, et qui plus est, vivant sur son bateau. Il est certain que les autochtones ont une vision bien différente de la mienne, plus circonstanciée, plus pragmatique.
Pour ne pas vous laisser sous l’impression de ma vision partielle et trop brève de Bora Bora, voici, une autre façon de regarder ce bout du monde (bdm), à partir d’un extrait d’un petit livre au titre prometteur : « le rêve d’une île » d’Olivier Le Carrer, que j’ai eu la chance de recevoir pour un Noël (merci Claude). Comme il est écrit sur la quatrième de couverture, c’est une « sorte de mode d’emploi décalé de l’île idéale et des moyens de s’y rendre … rédigé par un navigateur familier des archipels, à l’attention de ceux qui ont dans un coin de leur tête l’idée que le paradis peut exister ici-bas, quelque part sur la mer. Mi-sérieux, mi-poétique, entre vade-mecum illustré et récit initiatique, il vagabonde d’une face à l’autre du rêve et de sa concrétisation, proposant une réflexion à la fois amusée et utile sur ce qui nous pousse à partir… et ce qui nous attend dans l’île tant convoitée. » Exactement le livre qu’il me fallait avant d’arriver en Polynésie. Or, figurez-vous que ce livre qui dessine petit à petit, avec humour les contours imaginaires d’un idéal insulaire, se termine par un chapitre dans lequel on découvre que le rêve pourrait bien être Bora Bora … chapitre que je ne résiste pas de vous lire … en l’agrémentant de mes photos …
Pour l’île, donc, je ne vous ai pas tout dit.
Mais vous avez sans doute compris en passant qu’il valait mieux ne pas laisser traîner les yeux dans certaines directions. Dès l’arrivée magique sous le vent de la barrière, même.
Les bungalows se détachant au-dessus du corail au sud de Toopua, vous les avez vus bien sûr, mais vous n’alliez pas gâcher le plaisir pour quelques dizaines de toits de pandanus trop bien alignés. Il y avait tant d’autres choses à regarder. La transparence des brisants sur le récif, le jaillissement vertigineux de la végétation, la simplicité fascinante des motu de l’entrée, la grande histoire de la Polynésie qui sommeille dans ces images superbes.

Vous ne savez pas forcément qu’il s’est passé de drôles de péripéties sous ces cocotiers, mais vous le devinez. Sue le motu Taveiroa, par exemple, épilogue il y a plus de deux siècles d’un trafic rocambolesque autour d’une ancre. L’une des six ancres perdues en 1765 à Hitia’a par Bougainville lors de son inoubliable escale. Ancre récupérée par les Tahitiens – c’est toujours bon à prendre – puis transportée à Raiatea, la mythique Havai Nui, l’île sacrée, mère de toutes les autres selon la tradition. Elle change encore de mains quand Raiatea est conquise par Puni, le roi de Porapora. Oui, c’est bien la première orthographe officielle de l’île, le b n’existant pas dans l’alphabet maohi qui ne compte que treize lettres. A vrai dire, personne ne savait très bien comment prendre ce drôle de nom, les navigateurs européens de l’époque écrivant aussi « Bolabola », sur la foi de la prononciation locale. Et pendant que nos lettrés dissertaient sur l’orthographe insulaire, c’est finalement les pieds dans le sable de Taveiroa, près de dix ans après le passage de la Boudeuse, que l’anglais James Cook va négocier avec Puni la récupération de cette ancre française lors de sa troisième expédition, peu avant d’aller se faire rafraîchir dans les glaces du détroit de Béring puis massacrer chez les Hawaïens.
Votre ancre à vous n’a pas été facile à placer le long du motu Toopua : un mouillage calculé au millimètre, précisément à la bonne distance du rivage pour faire disparaître les bungalows de l’Hilton Resort & Spa derrière les collines et vous garder la verdure et le lagon comme seule compagnie.
Le lendemain, en filant plein sud dans le lagon vers la si belle pointe Farrone, une autre mauvaise surprise vous a encore un peu secoué. Vous ne vous attendiez sans doute pas à l’enfilade d’hôtels sur pilotis qui barre littéralement l’horizon le long des motu de l’est. Votre carte marine n’indiquait pas tout ça. C’est normal, les cartographes ont du mal à suivre par ici. En moins de quinze ans, les coraux de cette partie du lagon ont appris à se pousser pour laisser la place à près de quatre cents bungalows flambant neufs.

Alors, vous avez plutôt regardé sur votre droite, la quiétude parfaitement préservée de la baie de Taimoo, la majesté de la montagne suspendue au-dessus du ravisant village d’Anau, et la beauté sauvage de l’ensemble de ce panorama qui n’a guère changé, à part les discrètes constructions le long de la petite route côtière depuis les premiers voyageurs venus de l’est.
Près de Matira, quand vous avez débarqué pour acheter quelques produits frais, ça n’a pas raté, vous êtes tombé sur un vieil habitué. Le genre à vous parler du bon vieux temps du siècle dernier. Quand Dino de Laurentiis tournait ici Hurricane avec Mia Farrow et Trevor Howard, il y a plus de trente ans, sur fond de motu quasiment vierges, et qu’on ne savait plus où donner de la tête devant tous ces mouillages parfaits qui vous tendaient les bras. Le genre aussi à vous détruire le moral avec d’affreux racontars : les poissons fuyant le lagon en même temps que les jet-skis l’envahissent, les calendriers des vahiné faits avec des mannequins sud-américains, la nourriture des hôtels qui arrive tout droit de Nouvelle-Zélande, la merveilleuse baie du motu Tofari devenue terrain à bâtir, les chiens errants pas commodes, et les habitants qui ont tellement pris goût aux vedettes rapides qu’ils ne savent plus à quoi ressemble une pirogue à voile. Sans parler du pain encore plus mauvais qu’à l’île aux Moines.
A ce moment, vous avez peut-être hésité à hisser les voiles, désenchanté, reprendre le large vers n’importe où en vous noyant dans la belle voix grave de Lhasa chantant Fool’s gold :
Did you ever believe the lies that you told
Did you earn the foll’s gold that you gave me ?
(As-tu jamais cru les mensonges que tu racontais
As-tu bien gagné les illusions que tu m’as données ?)
Heureusement, vous êtes resté, parce que vous savez que les paradis ont besoin d’être apprivoisés. Et vous avez compris que le Bora d’aujourd’hui a beau être un peu plus fréquenté que celui des années cinquante - 1765 habitants et pas d’hôtel à l’époque, 8927 âmes aujourd’hui et 1100 chambres – il gagne toujours à être connu. Oui. Alain Gerbault s’en retournerait dans sa tombe (on peut le comprendre vu l’environnement un peu ingrat de celle-ci sur le port de Vaitape), mais il râlait de toute façon déjà dans les années trente, criant que son paradis fichait le camp et qu’il n’était de bonne Polynésie que celle du XVIIIe siècle, avant la venue des missionnaires.



Evidemment, vous pouvez rêver d’une autre époque. Vous faire du mal en pensant au lagon d’il y a quinze ans – n’oubliez pas que les visiteurs d’alors versaient une larme sur celui d’il y a vingt-cinq an. Mais si vous voulez apprécier les « bouts du monde » à leur juste valeur, il vaut mieux admettre d’entrée qu’ils ont souvent une population autochtone, laquelle est libre de s’organiser comme elle l’entend. Y compris en choisissant des voies différentes de celles souhaitées par les esthètes de passage. Les habitants des paradis ont aussi le droit de vivre.
Ça risque de ne pas vous plaire s’ils aspirent précisément au quotidien d’un citadin moderne. Pas de chance, mais cela n’aurait rien de vraiment étonnant. Nous sommes souvent séduits par ce qui semble manquer dans notre propre environnement. C’est peut-être pour ça que vous êtes venu jusqu’ici, d’ailleurs.
Je peux quand même vous rassurer : personne dans l’île n’a l’air très motivé par la réalisation d’un métro, d’une voie rapide ou d’un centre d’affaire. Tout le monde parait plutôt apprécier à leur juste valeur la majesté du paysage et la prodigalité de la nature.
La beauté du cadre ne suffit pas forcément à vivre mieux, mais elle peut aider à rendre les jours plus lumineux, pour peu qu’on ne lui demande pas de résoudre tout et n’importe quoi. Les problèmes que vous apporterez ici avec vous (rage de dents, brouille conjugale, misanthropie aiguë, découverts bancaires) ont peu de chances de se dissoudre miraculeusement dans le bleu du lagon. En paraphrasant le philosophe Alain de Botton, admettre qu’un comprimé d’aspirine ou une bonne sieste peuvent avoir un effet plus déterminant que le plus beau des atolls constitue un pas essentiel sur la voie de la sagesse.
A l’usage, vous verrez, c’est assez passionnant de réaliser qu’une île de rêve rencontre le même genre de soucis qu’un village de Champagne-Ardennes. Avec des projets qui font polémique, des lotissements qu’on aurait mieux fait d’éviter, des vues divergentes sur la façon d’envisager la voirie. La vraie vie en somme.
Ici, on a parfois du mal à s’y retrouver au milieu des pilotis, mais il se passe plein de choses encourageantes. L’état sanitaire du lagon, qui inspirait des inquiétudes il y a quelques années affiche un net progrès grâce aux efforts de la municipalité et de certains hôteliers. Malgré la polarisation de l’île sur l’activité touristique, les petites productions locales n’ont pas complètement disparu. Il est toujours possible d’acheter des fruits locaux – et notamment les succulents pamplemousses verts, doux et charnus – aux petits stands tenus un peu partout par les mamas, et les pêcheurs proposent chaque jour à l’entrée de Vaitape des poissons exquis tout juste sortis de l’eau.

Surtout, les raies manta que l’on croyait à jamais parties au début des années 2000, chassées par la frénésie de construction et la sollicitude des visiteurs, sont revenues. En partie grâce au fait que tous ces hôtels un peu encombrants sont aujourd’hui au trois­-quarts vides – quand je vous disais que les touristes n’étaient pas trop visibles… à condition de savoir rester patient et discret, vous pouvez à nouveau observer leurs majestueuses évolution en nageant à leur côté. Une aire marine protégée est en projet – chose impensable il y a peu – et des chercheurs s’activent à trouver des solutions pour régénérer les richesses du lagon. En analysant par exemple le comportement de l’atoti, poisson-demoiselle apparemment sympathique, mais capable de déséquilibrer tout le système par sa manie de cultiver des algues qui étouffent le corail.